Synthèse du Forum sur le financement de l’Habitat organisé par la Fédération des Associations Professionnelles des Banques et Établissements Financiers de l’UEMOA (FAPBEF-UEMOA), le 15 mars à Abidjan, Côte d’Ivoire.
Le Forum sur le Financement de l’Habitat dans les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) s’est tenu vendredi 15 mars à Abidjan, Côte d’Ivoire, en présence de toute la chaîne de valeur de l’activité : États, promoteurs, constructeurs, banquiers, régulateurs, agents immobiliers, notaires. Le quorum était atteint dans cette conférence technique aux allures d’États généraux.
Dans son allocution d’ouverture, Bruno Koné, le ministre ivoirien de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme a d’emblée donné le ton de la rencontre : « 10 000 logements sont construits chaque année en Côte d’Ivoire pour un besoin annuel de 80 000 unités. Pourquoi une offre aussi faible ? Est-ce lié à la capacité des banques ? » Il faudrait certainement, opine le ministre, travailler à réduire les coûts des logements d’une part, et les charges de l’acquéreur d’autre part. Devrait-on privilégier la location simple au détriment de l’acquisition comme en France où 6 millions de personnes sont logées à travers ce dernier procédé ?
Les réponses vont au-delà des taux d’intérêt et de l’engagement des banques, touchant aussi les administrations. Celles-ci sont invitées à digitaliser les procédures et à faciliter la délivrance du titre foncier, base du crédit hypothécaire. L’introduction récente de la signature électronique dans le pays permettra certainement de réduire les tracasseries administratives.
La Côte d’Ivoire a besoin de 40 000 milliards de FCFA pour faire face au déficit.
En Côte d’Ivoire, il faudrait donc produire au moins 80 000 logements annuellement pour résorber un déficit cumulé estimé à plus de 800 000 unités, souligne le ministre. « Cela représente plus de 40 000 milliards de francs CFA (60 milliards de dollars), soit quatre fois le budget annuel du pays », a-t-il affirmé.
L’ampleur du déficit a poussé la Côte d’Ivoire à initier le programme présidentiel de 25 000 logements sociaux sur commande publique, marquant le retour de l’État dans un domaine où l’expérience montre que les besoins sont supérieurs à la capacité financière du secteur privé. Le projet est financé par l’État à travers la Banque Arabe pour le Développement Économique en Afrique (BADEA), la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) et d’autres partenaires financiers. Dans son offensive en faveur du logement, l’État ivoirien a recapitalisé la banque de l’habitat de Côte d’Ivoire (BHCI) à hauteur de 70 milliards de FCFA et procédé à l’encadrement des corps de métier intervenant dans le secteur.
La forte croissance démographique a vu le déficit en logements passer de 500 000 unités en 2020 à 830 000 en 2023, rappelle Jérôme Ehui, président de l’Association des Banques et Établissements Financiers de Côte d’Ivoire (APBEF-CI), et, par ailleurs, directeur général de Versus Bank. Par ailleurs, le taux d’urbanisation est passé de 5 % en 1950 à 55 % en 2023, détaille le banquier appelant à une mobilisation générale de tout l’écosystème pour relever le défi de l’habitat.
Ne pas réduire la problématique du logement au financement.
Le défi est énorme à l’échelle régionale et le problème du logement ne doit pas être résumé à la seule question du financement, insiste Bocar Sy, Président de la Fédération des Associations Professionnelles des Banques et Établissements Financiers de l’UEMOA (FAPBEF-UEMOA). « Les solutions passent nécessairement par la prise en compte du secteur informel et de la population non salariée », précise celui qui est par ailleurs l’Administrateur directeur général de la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS).
L’encours du crédit logement a augmenté mais reste encore modeste
Pour sa part, Coulibaly Chalouho, directeur national Côte d’Ivoire de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), met en exergue le taux de croissance démographique (2,7 %) de l’UEMOA, l’un des plus élevés dans le monde, avec un « important déséquilibre entre l’offre et la demande de logements, des financements faibles et des taux d’intérêt élevés ».
Des réformes ont été entreprises dont le lancement de la Caisse Régionale de Refinancement Hypothécaire (CRRH-UEMOA) en 2010. Depuis, l’encours crédit a explosé, passant de 78 milliards de FCFA en 2010 à plus de 1 000 milliards de FCFA en 2023. « Néanmoins, le crédit logement est encore faible, de l’ordre de 1,43 % du PIB de la zone », précise le banquier central.
À l’échelle de l’UEMOA, le déficit en logements est estimé à 3,5 millions d’unités. Et « 80 % des demandeurs de logement dans la région appartiennent à la catégorie des revenus modestes » selon Sory Maiga, Président de l’Association des Promoteurs Immobiliers du Mali (APIM). Ce pays avait estimé son déficit à 400 000 logements en 1995, ce qui équivaudrait aujourd’hui à 1,5 million sur la base de la croissance démographique et de l’urbanisation. « Comme dans la plupart des pays de la zone, le Mali est confronté aux problèmes de ressources longues, à une fiscalité peu attractive et à une quotité cessible trop basse ».
C’est en partie pour trouver une solution à ce dernier point que la CRRH-UEMOA a été créée, portant les maturités jusqu’à 20 ans. « Depuis sa création, la CRRH-UEMOA a mobilisé 198 milliards de FCFA avec 9 émissions obligataires sur 10 ans, 12 ans puis 15 ans », déclare Mme Yedau Ogoundele, directrice de l’institution.
Bref, les défis du financement de l’habitat sont multidimensionnels, englobant des paramètres financiers, notamment les taux d’intérêt, la quotité cessible, l’hypothèque et ses conditions de réalisation, les ratios prudentiels des banques, le financement des promoteurs, les crédits acquéreurs, l’obtention de titres fonciers, etc.
Autant de questions dont les réponses, estime Anna Ba Dia, Présidente Directrice Générale de la société sénégalaise SIPRES (Société Immobilière de la Presqu’île), passent par une meilleure structuration du secteur, la mise en place de banques spécialisées dans le domaine de l’habitat et le renforcement des capitaux propres des sociétés de promotion immobilière. « Les sociétés de promotion immobilière sont souvent sous-capitalisées et les banques exigent un apport complémentaire en numéraire », explique-t-elle. De plus, la capacité financière limitée des promoteurs fait que la construction est menée en tranches avec un étirement des délais sur 48 mois, 68 mois ou plus, venant diminuer la rentabilité du projet.
En définitive, pour baisser les coûts de construction et la charge financière sur les acquéreurs, les conférenciers préconisent aussi des mécanismes alternatifs comme la promotion des matériaux locaux, une piste explorée par le Mali depuis quelques années, ou encore, spécificité sénégalaise, le recours aux coopératives de l’habitat, un modèle de communauté solidaire dans l’acquisition de logement, présenté au public par Rose Gaye, Directrice des partenariats et des projets structurants à la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS).
Au delà de la problématique du financement, l’écosystème devra aussi trouver une solution à la problématique des titres précaires qui ont la qualité de «documents cessibles » et qui exposent les banques aux dispositions prudentielles, comme l’a rappelé Souleymane Soumaré, directeur général de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers du Sénégal (APBEF).
En clair, pour amener les banques à envisager des prises du risque de crédit au-delà des fonctionnaires et à s’intéresser au logement social, l’État doit jouer sa part en réduisant le risque administratif lié à la simplification des procédures et au raccourcissement des délais d’obtention des documents (certificat ou titre de propriété, permis de construire) …
Sur cette question du risque sur les titres de propriété, Me Fulgence Ahobaut-Besset, Président de la Chambre des notaires de Côte d’Ivoire, qui rappelle au passage les trois titres habilités à être hypothéqués dans son pays (le certificat de propriété, le certificat de mutation et l’arrêté de concession définitive), s’interroge sur l’usage qui consiste à ce que le détenteur du titre le cède au promoteur qui le présente en assiette hypothécable, ce qui n’est pas sans présenter un risque supplémentaire pour la banque. Pour consolider le modèle, les banques ne devraient-elles pas descendre plus bas dans la chaîne de valeur et financer aussi le promoteur dans la phase de l’acquisition du terrain au lieu de se limiter à la phase de construction et de commercialisation en exigeant un apport en numéraire ?