Par Rose Marie Bouboutou-Poos
Les diplômés issus des universités africaines font souvent face à des obstacles lorsqu’ils cherchent à intégrer le marché du travail européen. Malgré leurs compétences et leurs qualifications, ses détenteurs se heurtent à des barrières liées à la reconnaissance de leurs diplômes, qui peuvent être perçus comme moins valables ou moins pertinents que leurs équivalents européens. Cette situation engendre du sous-emploi, où des individus qualifiés se retrouvent contraints d’accepter des postes sous-qualifiés, faute de reconnaissance de leurs acquis.
Les chiffres sont éloquents selon une étude de Mc Kinsey, Ethnocultural minorities in Europe: A potential triple win, publiée il y a quelques semaines : dans les pays de l’Union européenne, les personnes issues de minorités ethnoculturelles représentent 5 à 18% de la population nationale, avec une moyenne de 10% (les personnes ayant un passé migratoire récent, et jusqu’à la troisième génération dans leur pays de résidence).
Suivant les pays, entre 22 et 44% d’entre elles sont détentrices d’un diplôme d’études supérieures, soit une proportion semblable aux autochtones. Cependant, ces communautés sont jusqu’à trois fois plus susceptibles d’occuper des emplois peu qualifiés et jusqu’à deux fois et demi plus susceptibles d’être surqualifiées pour leur fonction actuelle.
Les minorités ethnoculturelles sont également jusqu’à quatre fois plus susceptibles d’être au chômage ou en dehors du marché du travail dans chacun des six pays inclus dans l’analyse de Mc Kinsey – Belgique, Danemark, France, Allemagne, Italie et Pays-Bas.
En Belgique, les minorités ethnoculturelles représentent 32% des individus ayant poursuivi des études supérieures, dépassant ainsi légèrement les 27% de la population dite locale. Malgré cela, dans ce pays, le taux de chômage parmi ces minorités est plus de trois fois supérieur à celui des non-minorités, tandis qu’elles sont presque deux fois plus susceptibles d’être surqualifiées pour leur emploi.
J’ai ainsi eu en tant que Coach emploi à accompagner Florence qui vivait en Belgique. Après 3 années de galère à travailler comme femme de chambre, elle avait pu retrouver un emploi d’assistante juridique dans un cabinet d’avocat, correspondant à ses qualifications. Son travail précédent lui provoquait des crises d’angoisse et elle était tout le temps en dépression à cause de la pression psychologique.
Selon les données de l’INSEE, en France en moyenne, les immigrés affichent un niveau de diplôme plus élevé que les non-immigrés occupant la même profession. Malgré cela, ces travailleurs immigrés se retrouvent souvent confrontés à une sous-évaluation de leurs qualifications. Cette sous-évaluation peut découler d’une discrimination à l’embauche à l’égard des personnes immigrées, mais également d’autres obstacles tels que la non-reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger ou les barrières linguistiques.
Parmi les immigrés originaires d’Afrique, une tendance marquée se dessine : une sous-évaluation significative de leurs diplômes, bien que leur niveau de qualification moyen soit proche de celui de l’ensemble des immigrés.
J’ai ainsi eu à accompagner dans sa recherche d’emploi Yasmine, basée en France. Elle était au chômage depuis au moins 5 ans et n’avait jamais eu de travail »stable » depuis la fin de ses études.
Elle alternait entre chômage et petits boulots (ménage, préparation de commande, manutention…) malgré son Master. Elle avait pu décrocher son premier “vrai” poste comme gestionnaire santé dans une mutuelle à l’issue de l’accompagnement.
Concernant les descendants d’immigrés, la sous-évaluation des diplômes est peu marquée, voire inexistante, à l’exception de ceux dont les parents sont originaires d’Afrique et de Turquie. Par ailleurs, cette sous-évaluation s’ajoute à un accès à l’emploi plus difficile pour les descendants d’immigrés africains, même avec des caractéristiques similaires.
Ces taux de surqualification et de sur-chômage suggèrent les obstacles à la pleine participation des minorités ethnoculturelles hautement qualifiées au marché du travail.
Mais ce « talenticide » peut et doit stopper !
Selon McKinsey, l’intégration des professionnels issus de ces minorités pourrait ajouter 120 milliards d’euros au PIB européen chaque année, combler un quart des emplois vacants et employer 1,6 million de personnes supplémentaires sur le Vieux Continent.
Et ce, alors que les entreprises européennes sont confrontées à une importante pénurie de travailleurs qualifiés. Selon des données récentes de l’Union européenne, 29 pays européens connaissent une pénurie de talents. Le taux d’emplois vacants dans l’UE a augmenté d’environ 70 % depuis 2020, les pénuries de main-d’œuvre étant particulièrement répandues dans les professions liées au développement de logiciels, aux soins de santé, au travail social, à la construction et à l’ingénierie.
Dans un monde de plus en plus connecté, où les frontières se dissipent et les échanges internationaux se multiplient, il est indispensable de reconnaître et de valoriser les diplômes délivrés par les universités africaines. Cette reconnaissance équitable est d’autant plus cruciale pour prévenir le sous-emploi des minorités ethnoculturelles diplômées et compétentes en Europe.
Pour remédier à cette injustice et promouvoir une véritable égalité des chances sur le marché du travail européen, plusieurs mesures peuvent être envisagées :
Harmonisation des Standards de Reconnaissance : Mettre en place des normes et des critères clairs pour évaluer les diplômes étrangers, en prenant en compte la qualité de l’enseignement et des programmes académiques des universités africaines, afin de garantir une reconnaissance juste et équitable des qualifications.
Accords de Coopération Universitaire : Renforcer les partenariats entre les universités européennes et africaines, favoriser les échanges d’étudiants et d’enseignants, ainsi que la collaboration dans la recherche et l’innovation, pour accroître la confiance dans les diplômes africains et promouvoir leur reconnaissance internationale.
Programmes de Sensibilisation et de Formation : Sensibiliser les employeurs européens aux spécificités des diplômes africains, ainsi qu’aux compétences et aux aptitudes des diplômés issus de ces universités.
Promotion de la Diversité et de l’Inclusion : Encourager encore davantage les entreprises européennes à adopter des politiques de recrutement inclusives, valorisant la diversité des profils et des expériences. Reconnaître la richesse apportée par les travailleurs issus de différentes cultures et horizons académiques favorisera une meilleure intégration des minorités ethnoculturelles sur le marché du travail.
En parallèle de ces mesures, il est également crucial de renforcer la lutte contre la fraude académique, la contrefaçon de diplômes et la falsification des qualifications. La prolifération des faux diplômes compromet la crédibilité des systèmes éducatifs et nuit à la confiance dans les diplômes légitimes, qu’ils soient délivrés par des institutions africaines ou européennes.
Pour contrer ce fléau, des mécanismes de vérification rigoureux doivent être mis en place pour authentifier les diplômes et les qualifications des candidats, en s’appuyant sur des bases de données fiables et sécurisées.
En adoptant une approche proactive et collaborative pour combattre la fraude académique, nous protégeons l’intégrité des diplômes légitimes. Cela renforcera la confiance dans les systèmes éducatifs et favorisera une reconnaissance juste et équitable des qualifications, tant en Afrique qu’en Europe.
Ensemble, nous pouvons faire la différence pour l’atteinte de l’ODD8 pour un travail décent et une croissance économique inclusive.
Ensemble, nous pouvons créer un avenir plus juste et prospère pour tous.