Par Benjamin Mampuya
Le manque de financement, de capacités et d’accès aux infrastructures fiables constituent les principaux obstacles entravant le développement de l’entrepreneuriat en Afrique. Comment, dans ce contexte, proposer une approche entrepreneuriale adaptée au continent ? Malgré les défis pour les entrepreneurs africains, l’année 2022 a été marquée par un événement significatif : un montant record de 6,5 milliards de dollars a été levé dans l’écosystème entrepreneurial.
Cependant, ces chiffres spectaculaires ne suffisent pas à résoudre les problèmes persistants tels que l’informalité généralisée et le manque de champions “selfs made” africains. Ainsi, il est temps d’examiner de plus près les processus entrepreneuriaux, car le simple financement, bien qu’essentiel, ne garantit pas la durabilité et l’intégration des projets entrepreneuriaux. Parmi les différentes approches entrepreneuriales étudiées sur le plan académique, l’effectuation émerge comme la mieux adaptée aux réalités et aux besoins spécifiques des modèles africains.
La logique entrepreneuriale causale occidentale : un principe inadapté pour le continent africain
Dans la majorité des cas, la mise en place d’un projet entrepreneurial repose sur la logique dite “causale”, consistant à définir un objectif avant de rechercher les moyens nécessaires pour l’atteindre. Mais si cette logique s’avère efficace principalement dans des environnements certains, typiquement observés dans les pays occidentaux ou développés, elle l’est moins dans d’autres territoires.
En revanche, l’Afrique présente un contexte économique dynamique mais souvent turbulent, ce qui constitue un défi pour les entrepreneurs utilisant les théories entrepreneuriales classiques occidentales. Toutefois, en raison de son haut niveau d’incertitude et de ses ressources limitées, ce contexte africain semble favorable à l’application de la logique dite “effectuale”. Les cinq principes de l’effectuation encouragent l’utilisation des ressources disponibles, la minimisation de la peur du risque, l’engagement avec les parties prenantes, l’adaptation aux imprévus et la création active de l’avenir. Ainsi, en encourageant l’application des principes de l’effectuation, on pose ainsi les bases d’un marché de l’entrepreneuriat africain plus durable et inclusif à long terme.
L’entrepreneuriat en Afrique : une nécessité de survie plutôt qu’un choix délibéré
Selon une étude de la Banque mondiale en 2021, les entreprises informelles représentent 72 % des prestataires de services dans les économies émergentes et en développement. Une donnée qui s’explique notamment pour le continent africain par le constat que l’entrepreneuriat ne se limite pas à un choix de carrière, mais constitue plutôt une nécessité de survie face à des opportunités d’emplois formels limitées et à des défis socio-économiques persistants.
Contrairement à l’Occident, où le projet entrepreneurial découle souvent d’une réflexion approfondie, en Afrique, il est motivé par la pression quotidienne de subvenir à des besoins fondamentaux tels que se nourrir, se loger, se déplacer et se soigner. Cette approche proactive vise à créer des opportunités là où il n’y en a pas, plutôt qu’à suivre des aspirations professionnelles. Aussi, devenir entrepreneur en Afrique signifie faire face à de nombreux défis. Les défis rencontrés par les entrepreneurs africains incluent le manque d’accès au financement, d’infrastructures, la complexité réglementaire, les lacunes en matière d’éducation et de formation, ainsi que l’instabilité politique et économique.
Pourtant, malgré ces obstacles, l’Afrique offre un panorama économique dynamique, mais souvent instable influencé par des facteurs tels que les fluctuations économiques, les enjeux politiques, les conditions climatiques et les évolutions technologiques rapides. Dans ce contexte, les principes de l’effectuation, qui mettent l’accent sur l’action dans des conditions d’incertitude, peuvent aider les entrepreneurs à s’adapter plus efficacement aux changements rapides et aux défis imprévus. Plutôt que d’attendre une compréhension complète du marché, les entrepreneurs africains sont incités à agir immédiatement en lançant leurs entreprises malgré des variables inconnues.
Les principes de l’effectuation, une réponse entrepreneuriale à l’incertitude des marchés africains
Dans un environnement où les ressources sont souvent limitées et où l’accès au financement est difficile, les entrepreneurs africains peuvent bénéficier de l’approche de l’effectuation en se concentrant sur l’utilisation optimale des ressources disponibles. Cette approche encourage également à minimiser la peur du risque en se concentrant sur ce que l’entrepreneur est prêt à perdre plutôt que sur des gains hypothétiques, favorisant ainsi une prise de décision plus audacieuse et évitant la paralysie face à la crainte de l’échec.
L’effectuation, une approche développée en 2001 par l’économiste américaine, Saras D. Sarasvathy, professeur à l’université de Virginie, qui a reçu le prix Global Award for Entrepreneurship Research 2022. Cette théorie propose cinq principes qui encouragent à : utiliser les ressources disponibles, à minimiser la peur du risque, à s’engager avec les parties prenantes, à s’adapter aux imprévus et à façonner activement l’avenir.
Principe 1 : Démarrer avec ce que l’on a. Plutôt que d’attendre d’avoir toutes les ressources nécessaires, l’entrepreneur commence à construire son projet avec ce qu’il a sous la main. Dans le cadre de l’effectuation, l’entrepreneur commence par un inventaire de trois catégories de moyens : Qui je suis, Ce que je connais, Qui je connais.
Principe 2 : Agir et raisonner en perte acceptable. Investir en fonction de ce que l’on est prêt à perdre implique une évaluation réaliste des ressources, des efforts et des énergies que l’on est disposé à engager dans un projet, sans compromettre l’ensemble de l’entreprise ou des ressources disponibles.
Principe 3 : Obtenir des engagements – « Le Patchwork Fou ». Le principe du « patchwork fou » suggère une construction dynamique du projet, intégrant dès les débuts l’ensemble des parties prenantes pour le faire avancer sans prédéfinir avec exactitude le résultat final du projet.
Principe 4 : Tirer parti des surprises. Les entrepreneurs africains manifestent une capacité à identifier les opportunités qui se présentent à eux, mais aussi à transformer les événements négatifs en occasions de rebond, exploitant activement les imprévus pour en tirer parti.
Principe 5 : Créer le monde que vous voulez – « Le pilote dans l’avion ». Dans cette vision, l’avenir n’est pas perçu comme un état fixe à anticiper, mais plutôt comme une réalité dynamique et évolutive qui se construit chaque jour par les choix, les actions et les interactions de l’entrepreneur.
L’application de l’effectuation en Afrique présente plusieurs avantages, notamment en permettant aux entrepreneurs de s’adapter plus efficacement aux changements rapides et aux défis imprévus du marché africain, en encourageant à travailler avec des ressources limitées et en offrant une perspective alternative à la planification traditionnelle. Toutefois, pour maximiser les avantages de cette approche, une compréhension approfondie du contexte local et une adaptation aux défis spécifiques rencontrés sur le continent sont nécessaires. En définitive, l’effectuation offre un cadre adaptatif et pragmatique pour les entrepreneurs africains, contribuant ainsi au développement d’un entrepreneuriat plus durable et inclusif en Afrique.
Biographie de l’auteur
Benjamin Mampuya est un entrepreneur avec plus de 15 ans d’expérience dans la gestion de projet et la stratégie de communication à l’international, plus spécifiquement en Afrique. Ancien Directeur-Associé chez Rumeur Publique, il a développé la structure Afrique, Proche et Moyen Orient du groupe. En 2017, il fonde sa propre agence, la Compagnie Générale de communication (CGC), spécialisée dans l’accompagnement des acteurs économiques et institutionnels en Afrique. Il a également co-fondé Clipse Africa, la première plateforme numérique de gestion des contacts médias africains et panafricains.
Benjamin est également engagé en tant que bénévole, auparavant auprès du think-tank L’Afrique des Idées, du Club de l’Information Africaine (aujourd’hui « Réseau Afrique des Journalistes et pigistes »), et aujourd’hui du CEIM (Conseillers & Experts à l’International Mécénat). Il est diplômé d’un EMBA de l’emlyon business school.