Par Dr Boris Houenou*, économiste, Partenaire à Goldbricks Capital
Cambridge, le 4 avril 2024. Dans un communiqué de presse daté du 28 mars 2024, le Groupe de la Banque Mondiale a rendu publiques des données cruciales, éclairant le paysage du risque de crédit des investissements dans le secteur privé et public des marchés émergents. En divulguant des statistiques confidentielles, qui incluent un faible taux de défaut de 4,1 % pour le portefeuille du secteur privé de la Société Financière Internationale (SFI) de 1986 à 2023 et un modeste taux de défaut annuel moyen de 0,7 % pour les emprunteurs souverains, la Banque mondiale a franchi un pas louable vers la démystification des risques d’investissement dans ces régions. Cependant, si cette publication représente un progrès dans la promotion de la transparence et de la confiance parmi les investisseurs, elle ne constitue qu’un petit pas face au bond géant nécessaire pour transformer fondamentalement l’investissement dans les économies en développement, particulièrement en Afrique – une région qui requiert plutôt de la Banque mondiale une garantie permanente et universelle des investissements.
Le continent africain, avec son immense potentiel de croissance et de développement économiques, continue de souffrir d’une perception de haut risque, augmentant significativement le coût du capital. Cette perception de risque prohibitive, selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), coûte à l’Afrique 74,5 milliards de dollars annuellement. Ce chiffre n’est pas qu’une statistique ; c’est l’équivalent économique de l’effacement du PIB entier de pays comme le Ghana ou la République Démocratique du Congo (RDC) chaque année. La réalité crue est que le marché actuel a normalisé la résilience, reconnaissant le potentiel immense de retours sur investissements dans ces régions, quoique ce potentiel soit fortement gaspillé par les perceptions de risque. Ces perceptions réduisent les marges, laissant peu de place à de nouveaux investissements financés par l’épargne et favorisant plutôt une dépendance à l’endettement en spirale comme principal moyen de financer le développement.
L’initiative du Groupe de la Banque mondiale, bien qu’admirable, n’aborde pas la cause profonde du problème : la prudence excessive du marché, induite à tort par des systèmes de notations subjectifs et fondée sur la peur de l’aléa moral. Cette prudence ne prend pas en compte les effets équilibrants de l’effet Pygmalion et les stratégies de compensation des risques employées avec succès par ces marchés, comme le révèlent les propres données de la Banque Mondiale. L’effet Pygmalion décrit des situations dans lesquelles des attentes plus élevées conduisent à une augmentation de la performance. Si une entreprise sait qu’elle bénéficie d’une garantie, cela peut être interprété comme une attente de réussite, qui motive alors l’entreprise à dépasser ces attentes.
Les individus vivent l’effet Pygmalion tout le temps, les pays également. Savoir qu’un mentor vous soutient ne mène pas à l’autocomplaisance ; au contraire, cela vous motive à dépasser les attentes dans le but de rendre votre mentor fier. Pour établir un parallèle au niveau des pays, on peut examiner le domaine de la monnaie, en particulier la garantie de convertibilité illimitée offerte par la France (et aujourd’hui par le Conseil Européen) au franc CFA, arrimé à l’euro. Cette garantie a rarement été exercée, sauf notablement en 1994, ce qui a entraîné la dépréciation de la monnaie. Cet exemple sert d’expérience naturelle de l’effet Pygmalion au niveau macro, démontrant que des attentes positives peuvent effectivement conduire à des résultats positifs – une prophétie auto-réalisatrice.
Ce que nous préconisons, c’est un bond vers une garantie permanente et universelle des investisseurs par le groupe de la Banque Mondiale en cas de défaut de pays et du secteur privé dans les marchés africains. Un tel mouvement audacieux pourrait modifier radicalement le paysage de l’investissement dans les économies en développement. Selon l’Union Africaine, il faudrait un financement additionnel de près de 200 milliards de dollars américains par an pour atteindre les Objectifs de Développement Durable d’ici à 2030. Rappelons que les engagements actuels de la Banque Mondiale envers l’Afrique Sub-Saharienne s’élèvent à environ 30 milliards de dollars pour 2023. Ces chiffres démontrent la disparité significative entre les ressources actuellement mobilisées et les investissements requis pour un développement durable et inclusif de l’Afrique Sub-Saharienne.
Par son soutien, la Banque mondiale peut réduire le risque perçu qui entrave actuellement l’investissement, potentiellement sans jamais avoir besoin d’exercer sa garantie. Si l’institution annonçait demain aux marchés financiers que tous les investissements dans les marchés africains sont entièrement garantis par son aval, ces marchés connaîtraient un important gain de crédibilité, se voyant essentiellement attribuer un sceau d’excellence et témoignant d’une manifestation réelle de l’effet Pygmalion. Cela débloquerait non seulement l’immense potentiel de croissance et de développement dans ces régions, mais servirait également de catalyseur pour un changement positif, démontrant la confiance dans la résilience et les capacités des marchés émergents.
Les leçons tirées du modèle d’assurance de la monnaie, les données confidentielles récemment divulguées, et le besoin évident d’une approche plus audacieuse pour encourager l’investissement dans les économies en développement, soulignent l’urgence d’une garantie permanente et universelle des investissements. Le groupe de la Banque Mondiale a franchi un pas louable avec la publication de ses données sur le risque de crédit, mais il est temps de faire un bond – un bond qui pourrait inaugurer une nouvelle ère de développement, entraînée par un investissement massif et durable. Ce bond ne serait pas seulement un témoignage de l’engagement de la Banque mondiale envers le développement mondial, mais aussi une réponse à la demande de réforme des marchés financiers qui fonctionnent pour les pays en développement, une percée dans les flux de capitaux pour d’innombrables agents économiques dans les marchés émergents aspirant à la croissance économique.
*A propos de Dr. Boris Houenou
Dr. Boris Houenou fut professeur d’économie avant d’effectuer une transition vers une carrière dans l’industrie technologique, consacrant des années à l’accès à la connectivité à haut débit dans les marchés émergents au sein d’une entreprise de premier plan de la Silicon Valley. Il a cofondé Golbricks Capital, un fonds d’investissement dédié à des investissements stratégiques en Afrique. Dr. Houenou siège au sein de nombreux conseils d’administration et intervient régulièrement lors de conférences prestigieuses à l’échelle mondiale. Il est par ailleurs consultant pour l’Union européenne, les Nations Unies et divers gouvernements africains en matière de politique économique, des investissements et de la transformation digitale.