Par Pape Ndiamé GUEYE, consultant, ingénieur Finance, Paris.
L’élection présidentielle du 5ème président de la République du Sénégal marquera à jamais l’histoire politique et les annales de la science politique comme un cas d’école de la théorie du « vote utile ». L’on se souviendra de cette élection comme celle ayant élu dès le 1er tour un candidat de l’opposition avec 54,28 % des suffrages valablement exprimés. On retiendra de cette élection : la transparence du scrutin, l’engouement populaire suscité avec un très fort de taux de participation des jeunes dans la matinée et la clarté des résultats proclamés dès la fermeture des bureaux de votes sans oublier le gentleman des candidats malheureux qui ont aussitôt consumé leur défaite et félicité le candidat classé en tête des tendances. L’on se souviendra également du vainqueur de l’élection présidentielle, son Excellence Bassirou Diomaye Diakhar FAYE comme le plus jeune président démocratiquement élu du Sénégal et de l’Afrique à seulement 44 ans, révolu au lendemain du scrutin.
Les populations convoquées aux urnes, ont massivement répondu présent dès l’ouverture des bureaux de votes afin de remplir leur devoir citoyen et choisir le « candidat utile » capable, selon leurs espérances, de transformer les destinées de la jeune nation à l’aune du 64ème anniversaire d’accès à l’indépendance. À Paris, on pouvait observer de très longues files d’attente qui s’étalaient sur près de cinq kilomètres et sous la pluie frileuse du printemps. Pour la première fois, une élection présidentielle s’est tenue en plein Carême des chrétiens et en plein Ramadan des musulmans. La maxime « Xëdd voter, Ndoggu jubiler » qui veut littéralement dire en wolof, aller voter après le dernier repas avant le lever du soleil et jubiler à l’heure de la rupture du jeûne.
La proclamation officielle des résultats et l’installation du tout nouveau président élu par le conseil constitutionnel est venu entériner la fin d’un long processus politique marqué de soubresauts et d’intrigues nollywood-iennes, mettant fin aux trois dernières années tumultueuses que venaient de vivre les Sénégalais. Cette situation politique chaotique n’a pas épargné de tout repos l’économie sénégalaise qui dansait tantôt aux rythmes des casseroles, tantôt aux rythmes de la douceur titanique suivant les humeurs politiciennes.
En attendant l’exploitation du pétrole offshore et du gaz, le Sénégal continue à importer la quasi-totalité des denrées alimentaires indispensables au quotidien des populations. Grand consommateur de riz à travers le plat national « Céebu Jënn » fait de riz au poisson, le pays importe chaque année plus d’un million de tonnes de riz et près de 450 mille tonnes de maïs. Les dépenses en produits laitiers représentent près de 70 milliards de FCFA. Les dépenses totales en denrées alimentaires coûtent plus de 1 000 milliards de FCFA auxquels viennent s’ajouter les achats de produits énergétiques. La balance commerciale est largement déficitaire, en raison de la faiblesse des exportations comparativement aux importations. La balance des capitaux est également en déficit du fait de l’importance des importations qui mobilisent énormément de devises (Dollars ou Euros) pour l’achat des consommables sur le marché international.
Le paiement du service de la dette représente 1 248 milliards FCFA. En 2022, le remboursement de la dette à couter 578 milliards FCFA aux contribuables sénégalais. Le service de la dette constitue le premier budget de l’État devant les secteurs de souveraineté comme l’éducation, la santé, la sécurité.
Pour l’année 2024, les dépenses des comptes spéciaux du trésor sont de 221,5 milliards FCFA. Les dépenses d’investissement sur les ressources internes se situent à 1 134,7 milliards FCFA et 701,6 milliards FCFA sur les ressources externes.
Le déficit budgétaire du Sénégal est supérieur à la norme communautaire des pays membres de la communauté économique des États de l’Afrique (CEDEAO). Ce critère de convergence est fixé à 3% pour chacun des États membres. Les nouvelles autorités auront le challenge de baisser le déficit budgétaire de 3,9% à 3 % soit un gap de 840 milliards FCFA qui devra être comblé afin d’équilibrer les comptes publics. (voir sources)
Du côté des recettes totales, les prévisions pour l’année 2024 s’établissent à 4 915,2 milliards FCFA contre 4 096,4 milliards FCFA en 2023 soit une hausse de 20 %. L’essentiel des revenus proviennent de la fiscalité avec un taux de pression fiscale à l’ordre de 19 %. À titre indicatif les recettes douanières au titre de l’année 2023 ont rapporté aux caisses de l’État 1 427 milliards FCFA. Le taux de pression fiscale est relativement faible en raison des innombrables exonérations fiscales ou des remises fiscales accordées aux entreprises produisant la quasi-totalité des richesses intérieures en usant des moyens techniques et structurels mis en place par l’État. Notons également que l’assiette fiscale à l’origine du taux de pression fiscale ne tient pas compte du secteur informel qui représente près de 90 % de l’économie sénégalaise. Une étude de l’ANSD portant sur le secteur privé montre que 97 % des 500 000 petites et moyennes entreprises(PME) recensées sont de caractère informel.
Les recettes adoptées lors du projet de Loi de finance 2024 sont constituées d’une part de 4 390 milliards FCFA de recettes internes, d’autres part de 303,8 milliards FCFA en dons budgétaires et en capital et de 221,5 milliards FCFA dédiés aux comptes spéciaux du Trésor.
En 2023 l’administration publique a mobilisé à elle seule une masse salariale annuelle de 1 273 milliards FCFA soit 18 % du budget national. Pour rappel, lors du vote du projet de Loi de Finance 2024 adopté par l’assemblée nationale le 30 novembre 2023, le budget avait été arrêté à 7 003,6 milliards contre 6 411,5 milliards FCFA en 2022. À titre de comparaison, le budget 2024 de la Côte d’Ivoire est de 13 720,7 milliards FCFA. La masse salariale de l’administration publique sénégalaise n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Des augmentations démentielles de salaires, d’indemnités et de recrutement de personnel ont été réalisées dans les différentes structures de l’État. Les dernières augmentations en date dont les plus flagrantes ont été constatées à la Radio et télévision sénégalaise (RTS) et à la SONACOS sur injonction du régime finissant avant le passage de relais aux nouvelles autorités. C’est dire l’inélégance des libéraux déterminés jusqu’au bout à pourrir les dossiers de passation de services.
Dans une économie saine, en condition normale et de température, les salaires sont augmentés lorsque l’économie performe au point de dégager une croissance soutenue du produit intérieur brut (PIB). En pareille situation, dans une volonté de redistribution de la richesse additionnelle créée au cours de l’exercice, une hausse des salaires trouverait tout son sens et une objectivité économique.
L’on aura vu et connu tout le contraire avec le régime libéral sortant. En 2022, la masse salariale avait été augmentée de 38 % à un moment où le taux de croissance chutait drastiquement de 36,5 % passant de 6,5 % à 4,2 % en raison de la crise liée à la COVID et la guerre en Ukraine. On se serait réjoui si le déni des apéristes avait une âme ou une raison. L’appétit venant en mangeant, le régime libéral sortant a remis une pièce dans le jukebox à la veille des élections présidentielles avec de nouvelles augmentations salariales. La masse salariale est ainsi passée de 106,7 milliards FCFA en Novembre 2023 à 131,5 milliards FCFA à janvier 2024, soit une hausse de 23,24 %. L’effectif de l’administration publique est passé de 176 620 agents en décembre 2023 à 179 071 agents en janvier 2024. Quelle aberration ! Quelle folie des grandeurs ! Quel cynisme !
Aucun adjectif ne saurait qualifier la démence du régime finissant des libéraux au moment où les populations essaient de survivre afin de joindre les deux bouts d’un cordon sans embouts. Ces pratiques moralement inacceptables sont dépourvus d’objectivité économique. Les nouvelles autorités sont prévenues, le mal est non seulement profond mais, il est béant. Le lait est tiré et n’attend plus qu’à être consommé. Aux Sénégalais, il faudra s’armer de patience et laisser le temps aussi petit qu’il soit pour permettre aux nouvelles autorités de s’imprégner des dossiers et nettoyer les cafards enfouis par leurs prédécesseurs. Ils devront tout même rester au contact des affaires courantes et suivre les pas des nouveaux dirigeants. Ces opérations de veilles permettent de corriger immédiatement les manquements constatés.
L’administration publique sénégalaise qui représente à peine 1 % de la population soit environ 180 mille fonctionnaires siphonne une part importante des recettes totales, laissant les miettes restantes aux millions de ménages sénégalais. Comment un pays si pauvre logé au contingent des 25 nations les plus pauvres au monde puisse se permettre un tel luxe lourd de conséquences sur les finances publiques ?
Ceci pose une vraie question d’équité et de justice sociale. Aucun pays au monde encore moins les pays développés ne peuvent supporter un tel fardeau sur le compte des finances publiques. Il est notamment de la responsabilité des organes de presse à s’intéresser davantage à l’utilisation des deniers publics, à surveiller les actions publiques posées par les acteurs politiques et les dénoncer pour éclairer la lanterne des Sénégalais en cas de besoins.
Les revenus poussifs dégagés à coup de bras et de forces des acteurs économiques ainsi que l’absence de production de richesses endogènes couvrent à peine les dépenses totales de l’État, poussant ainsi les argentiers à l’endettement afin de compenser le gap. Le Sénégal dispose d’une bonne signature a-t-on entendu des différents ministres des finances successifs. Les autorités abusent de la bonne note du Sénégal attribuée par les agences de notation Moody’s, Fitch, etc. pour creuser la dette et financer leurs caprices. Le train de vie exorbitant de l’administration publique mérite une attention toute particulière au risque d’alourdir le legs des générations futures. La dette publique constitue 80 % du PIB. La dette est en soit inéluctable à tout État néanmoins elle devrait être orientée au financement des investissements portant sur les secteurs touchant directement les populations, l’accessibilité aux produits de première nécessité de consommation, à l’éducation, la santé, la sécurité, l’environnement, etc…La dette ne devrait pas suivre un objectif de satisfécits et d’entretien d’une clientèle politique.
La scène étant montée et le décor planté, il ne reste plus qu’à introduire les acteurs. Le gouvernement nouvellement installé a la lourde responsabilité de porter le legs caillouteux de leurs prédécesseurs, de corriger les errances qui ont rendu bancale les piliers de l’économie sénégalaise. La conjoncture économique mondiale est certes une norme inscrite au quotidien de la finance mondiale, mais ne saurait à elle seule justifier la cherté de la vie ainsi que la hausse substantielle des prix des denrées alimentaires de première nécessité.
Durant ces dernières années, les Sénégalais ont été bâillonnés, bastonnés, agressés dans leur dignité, emprisonnés avec ou sans motif. Leur vote à cette élection présidentielle est le signe d’un ras-le-bol et une volonté de construire un meilleur avenir. Les Sénégalais attendent de connaître le fonds des différents scandales financiers dont la liste est longue. Les responsabilités devront être situées sur le braconnage des deniers publics sans oublier les festins des Oryx algazelles au ministère de l’environnement. Comment expliquer la mort des deux Oryx algazelle lors de leur transfert d’une réserve publique à un domaine privé supposé appartenir au ministre de l’environnement ?
La réédition des comptes est plus qu’une demande sociale, elle est la base angulaire d’une nouvelle ère, d’une promesse de rupture portant à sanctionner sans complaisance les personnes incriminées et citées dans les différents rapports des corps de contrôle. À la justice d’être au rendez-vous de l’impartialité peu importe la couleur politique du justiciable. Ses décisions devront dire le droit et rien que le droit.
Le mal est certes profond mais, il n’est pas incurable. Chacun des 18 millions de sénégalais à sa place et un rôle à jouer et ceci dans la continuité de l’élan de mobilisation à l’origine de cette alternance politique. Les nouvelles autorités conscientes des enjeux, mesurent l’ampleur de la mission. Cependant, une implication inclusive leur faciliterait le défrichage et le déminage des sabotages ainsi que le redressement des comptes. Tout changement nécessite des sacrifices et des périodes d’austérité parsemé de patience et c’est en cela que les populations sont convoquées dans ce nouvel attelage politique.
Pape Ndiamé GUEYE, Consultant, Ingénieur Finance Paris.
Sources :
– Projet de Loi de Finance 2023
– Projet de Loi de Finance 2024
– Coface
– Site Web : economie.gouv.sn
– Tableaux de bords (TBO) Direction de la prévision et des études économiques (DPEE)
– Agence Nationale de la Statistique et du Développement (ANSD)
– Communiqué de la commission nationale de recensement des votes
– Communiqué du Conseil Constitutionnel