Par Moussa SYLLA*, auteur du livre “La conformité bancaire au Sénégal et dans la zone UMOA”.
Chronique publiée dans le cadre de la Journée Mondiale du Livre.
Les mémoires d’Abdoulaye Bathily sont un pur délice de sagesse, d’érudition, d’élégance littéraire. J’ai pris plaisir à lire ce livre d’un trait, et très souvent, à le reparcourir à mes heures perdues, tant il contient des passages édifiants et inspirants.
Une histoire m’a particulièrement marqué, dans ces mémoires. Sa réussite au baccalauréat, dans des conditions qui montrent l’importance de la résilience.
Abdoulaye Bathily a été exclu de l’école pour mouvement séditieux (grève, insubordination). Aucune école ne voulut ensuite l’accepter, parce que des instructions avaient été données dans ce sens par le gouvernement. N’étant pas né dans une famille aisée, il n’avait pas les moyens de s’inscrire dans une école privée. Aussi décida-t-il de tenter sa chance au baccalauréat en tant que candidat libre.
Il travailla avec acharnement pour obtenir son baccalauréat, parallèlement à son emploi à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN). Le décès de son papa, quelques jours avant l’examen, ne le détourna pas de ses objectifs, car pour lui, lui rendre hommage revenait à réussir au baccalauréat, tant son père avait insisté pour qu’il étudiât. Il atteignit son objectif en obtenant le diplôme avec la mention Bien.
À la lecture de ce passage, je m’arrêtai pour me poser des questions : comment certaines personnes, devant certaines situations, se métamorphosent-elles pour développer leur potentiel ? Elles ne se plaignent pas, elles n’attribuent pas leurs difficultés du moment à d’autres et prennent la responsabilité de leur destin. D’autres, cependant, se plaignent, accusent le monde entier, ne se demandent pas : « Comment puis-je améliorer ma situation, que dois-je faire dans ce sens ? »
Telle est la magie des livres ; ils sont un moyen de s’élever, ils représentent la voie par excellence pour retrouver espoir et apprendre des devanciers. La lecture de biographies et de mémoires me conforte toujours sur ce point de vue. Tandis que la plupart des gens pensent que la trajectoire des personnes célèbres est linéaire, une lecture attentive de leurs mémoires ou biographies révèle que tel n’est pas le cas.
Très souvent, elles ont connu ces doutes et découragements qui sont des choses normales dans toute existence humaine. Cependant, la différence entre les personnes qui atteignent leurs objectifs et s’élèvent au sommet et celles qui connaissent un destin moyen est souvent la persistance ou le renoncement face aux difficultés.
Quand je discute avec des personnes plus jeunes que moi, je mets toujours l’accent sur l’importance de la lecture. Je leur conseille, si elles veulent changer positivement leur vie, de lire, beaucoup, et tout lire.
Avec l’avènement puis la prépondérance des réseaux sociaux, nos cerveaux sont en train d’être remodelés. Ils sont en proie àune attention et à une concentration faibles, à l’ennui persistant. Or, la pensée en profondeur facilite grandement la réussite, comme le défend Nicolas Carr dans son livre The Shallows, ou encore Cal Newport dans son livre Deep Work, sous-titré, Retrouver la concentration dans un monde de distractions.
Dans son livre précité, Cal Newport écrit : « Il est important de mettre l’accent sur l’omniprésence en profondeur chez les personnes influentes, car cela contraste violemment avec le comportement de la plupart des travailleurs du savoir — un groupe d’individus qui est en train d’oublier ce que peut apporter le fait d’approfondir les choses. »
Cette pensée de Cal Newport montre ce qu’il faut faire pour progresser dans sa carrière. C’est adopter délibérément la pensée profonde, la réflexion, refuser la superficialité. L’acquisition de ces qualités est facilitée par les livres. Dans ce sens, ils permettent d’accélérer sa carrière et d’atteindre plus facilement ses objectifs.
Les périodes les plus fécondes de ma vie ont été celles où j’ai adopté délibérément la réflexion profonde. Pendant des années, j’étais absent de tous les réseaux sociaux. Ce furent des années très productives, pendant lesquelles j’ai beaucoup publié et acquis les bases me facilitant l’écriture. Je suis revenu aux réseaux sociaux, mais m’évertue à ne pas me laisser dominer par eux. La lecture est l’une des armes favorites pour y parvenir.
Aujourd’hui, je déplore que le Sénégal ne dispose toujours pasd’une bibliothèque nationale. Dans un pays d’écrivains talentueux, cela est un scandale. Je n’ai rien contre le sport, que j’adore, mais qu’il y ait autant de stades et une arène nationale pour la lutte mais qu’il n’y ait toujours pas de bibliothèque nationale montre que notre pays ne se donne pas les chances de se développer. Se doter d’une bibliothèque nationale serait un énorme symbole, montrant que le Sénégal a compris que dans le monde d’aujourd’hui, le savoir prime, et un pays qui y investit avance(ra) plus rapidement.
Le Sénégal devrait également faciliter l’accès aux livres en construisant, comme je l’ai écrit plus haut, une bibliothèque nationale et en dotant ses terroirs de bibliothèques. Cela démocratisera le livre et contribuera à améliorer l’égalité des chances dans notre pays. Parfois, si les jeunes ne lisent pas, c’est parce qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter des livres. Ces derniers coûtent cher et ne sont pas à la portée de tout le monde. Je me rappelle qu’il y a quelques années, je cherchais les livres qui me plaisaient sur des sites internet douteux, car je n’avais pas toujours les moyens de les acheter.
Si l’accès aux livres n’est pas facilité au Sénégal, l’inégalité des chances y persistera, avec ceux et celles qui ont les moyens de s’en procurer et ceux et celles qui ne les ont pas. Le devoir de l’État est d’y remédier, afin que chaque personne qui veuille lire puisse le faire.
À un niveau individuel, nous devons comprendre les bénéfices que nous apportera la lecture. Elle nous permettra d’avancer plus rapidement dans notre carrière ou dans notre projet d’entrepreneuriat, de devenir de meilleures personnes, tolérantes et ouvertes d’esprit. Je soupçonne que les lecteurs sont en moyenne plus tolérants que les non-lecteurs.
La sirène des réseaux sociaux est tentante. Ils donnent accès aux gratifications instantanées, au neuf. Mais de là vient leur danger. Ils nuisent à ces qualités primordiales à la réussite que sont la pensée profonde, la réflexion délibérée, la capacité de s’ennuyer. Leurs fondateurs, connaissant leurs risques, refusent leurs conséquences négatives pour eux et leurs enfants en se déconnectant. Que font-ils à la place ? Ils lisent.
Suivons leur exemple et lisons. Les civilisations prospères sont des civilisations de savoir, de connaissance. Les personnes les mieux rémunérées aujourd’hui sont celles qui maîtrisent le mieux leur domaine. Cela a un coût, comme la gratification différée. Dans le cas du livre, ses effets positifs ne se remarqueront pas d’emblée. Ils prendront du temps, mais quand ils commenceront à se manifester, nous penserons que nous aurions dû lire davantage.
Si tout le monde passe son temps libre à surfer sur les réseaux ou à regarder la télévision, il n’y a aucun avantage comparatif si nous aussi le faisons. Cependant, si nous choisissons la concentration et refusons la distraction que facilite le fait de surfer sur internet, nous nous donnons des avantages qui seront décisifs, nous distinguerons et faciliterons l’atteinte de nos objectifs.
Je lance un plaidoyer fort en faveur des livres, car je sais qu’ils nous permettront de changer notre vie. Faisons le choix de lire, tout lire, même les livres qualifiés d’hérétiques. C’est ainsi que nous développerons la faculté de concentration et acquerrons la capacité de tolérance. Cela vaut un essai, dès maintenant.
À propos de l’auteur
Moussa Sylla est l’auteur du livre La Conformité bancaire au Sénégal et dans l’UMOA. Il a également écrit plusieur articles sur les livres, la compliance, notamment la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, la corruption, les flux financiers illicites, la gestion des risques. Il est passionné par la lecture.