Par Charles de Blondin
Au Mozambique, le nouveau fonds souverain a vocation à gérer les revenus liés à l’exploitation du GNL. Selon les prévisions les plus optimistes, une enveloppe de recettes annuelles de plus de 6 milliards de dollars par an pourrait être à disposition de l’État à l’horizon 2040. Cette manne servira notamment à garantir la transition énergétique du pays.
C’était une décision attendue depuis plus de quatre ans : après de nombreuses discussions et un vote au parlement en décembre dernier, le président mozambicain Filipe Nyusi a promulgué la loi créant le Fonds souverain du Mozambique (FSM). Ce fonds doit permettre au gouvernement de mieux gérer les revenus provenant de l’exploitation du gaz naturel liquéfié dans le bassin de Rovuma au Cabo Delgado, ainsi que trois projets de liquéfaction de GNL déjà approuvés (le site sous-marin de Coral Sul Liquefied Natural Gas LNG, le Golfinho/Atum Liquefied Natural Gas et le Rovuma LNG). La Banque du Mozambique sera le gestionnaire opérationnel de ce fonds, par délégation du gouvernement. Au cours des 15 premières années de fonctionnement du FSM, les recettes seront réparties à hauteur de 40 % pour le compte unique du fonds et 60 % pour le budget de l’État (puis à hauteur de 50 % pour chacune des parties).
Cette organisation « permettra non seulement d’assurer la transparence du processus, mais apparaît également comme un outil essentiel pour garantir des avantages à long terme à la population et à la nation dans son ensemble », estime Ernesto Max Elias Tonela, Ministre des ressources minérales et de l’énergie : « Les projections indiquent que les exportations annuelles pourraient atteindre 91,7 milliards de dollars US au cours de leur cycle de vie dans un scénario où tous les projets de production de gaz naturel liquéfié approuvés sont en activité ». Ce qui représenterait, à l’horizon 2040, une enveloppe de recettes annuelles de plus de 6 milliards de dollars par an à disposition de l’État.
Au-delà de cette échéance, le Mozambique devrait disposer des ressources nécessaires, grâce aux fonds collectés, pour financer son développement dans un contexte de raréfaction du gaz naturel. La création du FSM s’inscrit donc aussi dans une logique de transition du modèle énergétique. C’est précisément dans cette optique que le gouvernement du Mozambique a adopté l’an dernier une stratégie visant à réduire la dépendance du pays aux combustibles fossiles, dont la mise en œuvre devrait coûter 80 milliards de dollars d’ici 2050, avec à la clé une augmentation de 2 000 MW de capacité hydroélectrique à l’horizon 2030, et l’expansion du réseau de transmission pour permettre l’ajout d’une plus grande quantité d’énergie renouvelable.
Un fonds sous surveillance
Face à ces projections enthousiasmantes et à ce socle sur lequel les finances incertaines du Mozambique pourraient enfin trouver leur stabilité, des voix critiques se sont élevées lors des discussions au parlement, où les partis d’opposition ont voté contre la création de ce fonds souverain.
Ils n’en contestent pas la légitimité mais les modalités pratiquesqui sont au cœur de leurs préoccupations. Le Renamo (Résistance nationale mozambicaine), principal adversaire du Frelimo (Front de libération du Mozambique) au pouvoir, critique ainsi le manque d’envergure du fonds voté par la majorité, car selon le député Alfredo Magumisse, il « se limite uniquement aux ressources minérales ou d’hydrocarbures de la province de Cabo Delgado, plus précisément dans le bassin de Rovuma ». De nombreuses autres ressources, avérées ou potentielles, ne font pas partie de ce fonds, et laissent planer l’hypothèse d’une gestion à la discrétion de l’exécutif. Les paramètres de transparence sont scrutés attentivement par les oppositions, dans un pays où les affaires de corruption font souvent l’actualité. Le MDM (Mouvement démocratique du Mozambique), troisième acteur politique du pays, stigmatise ainsi le manque de publicité d’un certain nombre de décisions à venir dans le fonctionnement du fonds : « La proposition donne au directeur opérationnel (…) la possibilité d’embaucher des gestionnaires externes sans appel d’offres public international, soulignait ainsi le député Fernando Bismarques, au cours des débats, ouvrant ainsi la voie au népotisme, au clientélisme et au risque d’embaucher des gestionnaires ayant des antécédents de corruption ».
Ces interrogations ne sont pas spécifiques au Mozambique. Les enjeux financiers liés à de tels fonds appellent partout la vigilance, particulièrement en Afrique, où plus d’une vingtaine de pays sont dotés de ce genre de structure. Elles portent notamment sur le rôle d’autorité opérationnelle fréquemment attribué aux banques centrales, comme c’est le cas au Mozambique, et sur leur proximité avec les exécutifs en place.
Créé en 2020, le fonds souverain de l’Ile Maurice fait l’objet de reproches assez similaires. La Mauritius Investment Authority (MIA), un instrument modeste de réactivation économique (après la crise du Covid) est doté de 400 millions de dollars. Parmi les premiers bénéficiaires de ce fonds : l’hôtellerie, secteur clé de l’économie mauricienne.
Dès le début, les critiques se sont focalisées sur le lien étroit entre le fonds et la Banque centrale de Maurice, où sont collectées les réserves à redistribuer. Une banque centrale accusée par la classe politique d’être à l’origine du désordre monétaire et économique du pays. Perçu comme un simple guichet de cette Banque centrale, le fonds est aujourd’hui l’objet d’une demande insistante d’institutions internationales, comme le FMI, de rompre ce lien en cédant ce rôle au Trésor public.
Les réserves émises lors des discussions sur la création du fonds souverain au parlement du Mozambique renvoient aussi à la mauvaise conscience d’un pays qui a été mis au ban des organisations financières, il y a huit ans, en raison du scandale de la dette cachée de 2 milliards de dollars. Une affaire de corruption avait provoqué la suspension des aides du FMI. Le dossier est clos depuis 2022, date à laquelle le Mozambique a renoué avec l’institution de Bretton Woods. D’où le discours d’Ernesto Max Elias Tonela face aux députés lors des débats au Parlement : le ministre de l’Économie a assuré que le FSM prenait en compte « des exemples réussis dans le monde, et des cas moins bons », pour justement éviter l’écueil de la dilapidation des revenus qui seront collectés.
La caution des grandes institutions financières internationales
A contrario de l’exemple de l’Ile Maurice, une nouvelle génération de fonds souverains africains apparaît comme une garantie de gestion des ressources à long terme, au bénéfice des générations futures du continent. C’est le sens du discours de Mohamed Benchaâboun, directeur général du Fonds Mohammed VI pour l’investissement, à l’occasion du dernier Africa Investment Forum : « Véritables instruments stratégiques de l’État, les fonds souverains qui réussissent sont les véhicules qui parlent le langage du secteur privé, tout en œuvrant pour les priorités du secteur public ». Avec un capital initial de 1,5 milliard de dollars, le Fonds Mohammed VI pour l’investissement propose des mécanismes de financement innovants aux entreprises marocaines, adaptés à leurs besoins de financement au Maroc et à l’international pour accroître leur compétitivité. Au sein même du royaume chérifien, ce mécanisme est considéré comme une garantie de bonne gestion et un gage de bonne gouvernance. C’est d’ailleurs ce qui motive, plus ou moins explicitement, les grandes institutions financières qui soutiennent fortement la création du nouveau fonds mozambicain.
Le FMI a ainsi salué la création du fonds souverain comme « un pas important vers une gestion transparente ». Plus qu’une caution, c’est une véritable garantie de solvabilité, puisque ce fonds était une condition du FMI en échange de 456 millions de dollars de crédit accordés l’an dernier au Mozambique, afin de soutenir la reprise économique et les programmes de réduction de la dette publique.
Dans un même élan de confiance vis-à-vis du Fonds souverain du Mozambique, la Banque Africaine de Développement (BAD) lui a octroyé un don de 33,25 millions de dollars pour la mise en œuvre du projet de ligne de transport Songo-Matambo qui vise à faciliter l’approvisionnement électrique dans les régions centrales et septentrionales où réside la majeure partie de la population. Cette modernisation favorisera aussi la réalisation d’interconnexions énergétiques prioritaires avec les pays limitrophes, notamment le Malawi et la Zambie. Indirectement, la création du fonds souverain et la stabilité à long terme qu’il implique deviennent ainsi des gages pour une meilleure intégration régionale du Mozambique, cruciale pour le développement du pays.