Au Gabon, le président de la transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, essuie ses premières critiques. Après l’optimisme qu’a suscité le coup d’Etat les premiers mois, les promesses de « mieux vivre » peinent à aboutir. Pire, certains indices laissent craindre une dérive autoritaire. Une instabilité qui ne bénéficie pas au développement économique du pays.
Plus de huit mois après le coup d’Etat au Gabon qui a renversé le président Ali Bongo Ondimba, la transition ne se passe pas exactement comme pouvait l’espérer les Gabonais. Un calendrier de deux ans a été mis en place en vue des élections programmées pour 2025. Certaines voix s’élèvent cependant pour dénoncer une gouvernance considérée comme autoritaire.
Un dialogue « inclusif » contesté
Le nouvel homme fort du Gabon a lancé le 2 avril un dialogue national inclusif d’un mois au Palais des Sport de Libreville, la capitale du pays. Commencée en grande pompe, la conférence nationale s’est fixée comme objectif de préparer le contenu d’une nouvelle constitution et les élections pour l’année prochaine. La première séance de travail s’est tenue le lendemain dans une telle désorganisation que les 580 participants ont été renvoyés chez eux sans avoir commencé les travaux qui n’ont débuté finalement que le 8 avril. Le rapport vise à rassembler les 38 000 doléances recueillies auprès de la population gabonaise en vue d’éditer une nouvelle constitution à lui soumettre pour la fin de l’année 2024.
L’opposition dénonce les résultats de ce dialogue remis en main propre par l’archevêque de Libreville, Jean Patrick Iba-Ba, coordinateur des travaux, au général Oligui Nguema le 30 avril. Les contestataires mettent notamment en avant le fait que sur les 580 personnes choisies par le général lui-même pour participer à ce dialogue national, 300 sont directement issus des administrations nommées par le nouveau pouvoir. Mieux, sur ce total de 300, on totalise 196 civils dont d’anciens hauts fonctionnaires du président déchu. Une sélection qui pose question alors que l’ancienne administration était accusée de corruption. On dénombre aussi 104 militaires, alors même que le pays ne connait pas de crise sécuritaire qui pourrait justifier un tel poids politique de l’armée. Certains observateurs internationaux deviennent de plus méfiants.
Ainsi, selon la Fondation Jean Jaurès, cet événement : « ne porte aucune caractéristique d’un dialogue, tant les conditions imposées par les organisateurs sont loin des standards démocratiques attendus et annoncés ». Tous ces participants sont désormais proches du nouveau pouvoir en place qui n’hésite pas à rappeler également des habitués de l’ancienne présidence comme l’expert judiciaire francogabonais, Pierre Duro. Remis à la tête de la task force sur le règlement de la dette du pays, celui-ci s’était vu remercier en octobre 2020 suite à de « nombreux dérapages » dont il était accusé. Sa proximité avec la famille Bongo dont il a participé à la construction du Palais du Bord de Mer à Libreville et avec certaines entreprises ou hommes d’affaires condamnés interroge, là encore, sur cette décision du gouvernement de transition de le remettre à son poste.
Vers une hyper présidentialisation
Cette période de transition ne bénéficie pas aux 2,4 millions de gabonais dont un tiers vit sous le seuil de pauvreté selon la Banque mondiale. « Environ 8,2 % de la population vit dans l’extrême pauvreté et n’a pas les moyens d’acquérir les denrées alimentaires de base pour couvrir ses besoins nutritionnels minimaux de 2 100 kilocalories (kcal) par personne et par jour», précise le rapport publié en mars 2020. Or l’opposition s’inquiète des potentielles dérives qui pourraient surgir à la suite de ces travaux inclusifs. Ce dialogue, qui n’est pas public, mais dont une petite partie a fuité dans la presse, préconise par exemple la suppression du poste de Premier ministre ainsi que la suppression de tous les partis politiques légalement reconnus. Cela, dans l’attente de l’établissement de nouvelles règles régissant leur fonctionnement. Avec le risque de déboucher sur un régime hyper-présidentiel. La charte de la transition précise que les cadres des institutions de transition ne pourront pas se présenter à la prochaine présidentielle mais… sans qu’une mention particulière ne soit faite sur la situation du général Oligui. .
En plus du boulevard constitutionnel que pourrait s’offrir le général, l’opposition dénonce également un début de culte de la personnalité du président de transition à la télévision pour préparer les prochaines élections. « L’optimisme béat des premières semaines cède désormais à un scepticisme profond, révélant l’absence de corrélation entre les promesses de restauration des institutions affichées et l’orientation despotique de la junte », dénonce la Fondation Jean Jaurès dans sa note.
Des conséquences qui pèsent sur le développement du pays
Cette instabilité n’encourage pas le développement économique au service des Gabonais. « Le risque d’instabilité demeure et la confiance des investisseurs reste fragile , ce qui pourrait avoir un impact négatif sur les perspectives économiques du pays », souligne la Banque mondiale. Une des premières promesses du général Brice Oligui Nguema après son coup d’Etat a été de placer sous gestion du secteur privé les caisses de retraite et de maladie. L’objectif était de « mettre fin aux souffrances » des usagers qui attendent, certains depuis plusieurs années, leur pension de retraite. Cette impatience stimule le germe d’une grogne sociale. Ainsi, en décembre dernier, une grève a éclaté à la Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG). Les syndicalistes demandaient le paiement de leur 13e mois. Arrêtés et détenus durant trois jours par les services de renseignements militaires, les huit syndicalistes dont deux femmes ont eu un interrogatoire musclé et sont sortis le crâne rasé.
Pourtant, les défis de ce pays sont immenses, à commencer par sa jeunesse qui représente plus de la moitié de la population. Manganèse, pétrole, gaz, fer, bois : le Gabon est l’un des pays les plus riches du continent africain par habitant. Le secteur des hydrocarbures représentait en 2019 près de la moitié du PIB du pays. Mais cette manne ne profite que peu au développement du pays qui manque cruellement d’infrastructures comme dans le secteur de la santé, de l’éducation ou de transport. L’isolement politique relatif du pays, suspendu jusqu’en mars 2024 des instances de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), n’aide pas Libreville à s’extraire de cette situation. Une « transition démocratique » qui inquiète plus qu’elle ne rassure la population et les investisseurs internationaux qui voient d’un mauvais œil la tendance qui se dessine.