Par Landry DJIMPE, associé du cabinet Innogence Consulting, spécialisé en Intelligence Économique.
Si la RDC est souvent qualifiée de “scandale géologique”, c’est en référence à ses énormes richesses minières. En effet, il existe en RDC plus d’un millier de différentes substances minérales répertoriées et une cinquantaine de gisements de minerais, dont une douzaine en exploitation : cuivre, cobalt, argent, uranium, plomb, zinc, diamant, or, étain, tungstène, manganèse et certains métaux rares tels que le coltan. Le pays est en voie de ravir au Pérou le second rang mondial en matière de production de cuivre, est responsable de 73% de la production mondiale de cobalt et d’environ 40% du coltan. Au-delà de la quantité de réserves, la RDC est énormément prisée pour la qualité de celles-ci, en témoigne la teneur moyenne de 6% pour le cuivre sur le site de Kamoa ou encore la mine de Zinc à Kipushi dont la teneur moyenne devrait se situer autour 36%, en faisant la mine de zinc majeur ayant la plus haute teneur au monde.
La RDC se retrouve donc au centre de la conversation sur la transition énergétique pour la quantité et la qualité de ses ressources, attirant ainsi l’intérêt de toutes les grandes puissances. Les chinois sont aujourd’hui les principaux opérateurs du secteur en RDC, responsables de 60% à 80% de toute la production de minerais dans le pays. Les indiens sont positionnés sur le segment de la sous-traitance, fournissant aux exploitants les engins nécessaires pour les travaux de forage, découverture et autres. Côté occidentaux, Glencore (Mutanda, Kamoto), Ivanhoe (Kamoa, Kipushi) et Barrick (Kibali) restent les seuls majors à jouer un rôle prépondérant dans l’exploitation.
Si la majeure partie des exploitants occidentaux se sont retirés du pays dans les années troubles, notamment au tournant des années 2000, ceux-ci essayent d’y revenir pour sécuriser leur approvisionnement en minerais stratégiques, critique à l’ère de la mobilité électrique. Ils manifestent d’ailleurs leur intérêt pour d’autres maillons de la chaîne de valeur. C’est notamment le cas du projet de chemin de fer de Lobito, projet d’infrastructure trans-régional reliant le sud de la RDC et le nord-ouest de la Zambie aux marchés commerciaux mondiaux via le port angolais de Lobito, qui a reçu le soutien de l’Union Européenne et des États-Unis. Conscient de l’intérêt grandissant pour leurs ressources et leur exploitation principalement par des étrangers, le gouvernement a institué une politique de contenu local pour s’assurer que les nationaux puissent bénéficier du développement du secteur et regagner de la souveraineté industrielle sur un secteur stratégique pour la pays : responsable de 99% des exportations du pays, 46% des recettes publiques, 13,5% du PIB et environ 25 % de l’emploi.
C’est ainsi qu’en 2017 a été passée une loi (N°17/001 du 08 février 2017) sur la sous-traitance qui dit rendre obligatoire la soustraitance des activités annexes et connexes de l’activité principale et à la réserver, quelle que soit sa nature, aux entreprises congolaises à capitaux congolais en vue d’en assurer la promotion et favoriser ainsi l’émergence d’une classe moyenne congolaise. Selon cette loi, une entreprise est considérée comme congolaise à capitaux congolais si elle a son siège social en République Démocratique du Congo, son capital étant détenu à 51% par une personne physique ou morale de nationalité congolaise, gérée par des personnes majoritairement de nationalité congolaise et avec une équipe composée de personnes essentiellement de nationalité congolaise. Ladite loi s’applique à tous les secteurs d’activité de l’économie du pays. Pour accompagner cette loi, le gouvernement a décidé de créer des agences devant apporter des réponses concrètes aux trois principaux challenges à son applicabilité effective – Premièrement, elle a créé l’Autorité de Régulation de la sous-traitance dans le Secteur Privé (ARSP), sorte de gendarme ayant pour mission de s’assurer que toutes les entreprises au Congo, dont les miniers, respectent tous l’obligation de sous-traiter auprès d’entreprises locales. Ensuite, pour répondre à la problématique du manque de capacité des entrepreneurs locaux, le gouvernement a donné plus d’autonomie à l’Agence Nationale de Développement de l’Entrepreneuriat Congolais (ANADEC) pour former et accompagner la montée en compétences des PMEs locales.
Enfin, a été créé un Fonds de Garantie de l’Entrepreneuriat au Congo (FOGEC) pour faciliter l’accès aux financements pour ces sous-traitants qui ont souvent besoin de pré-financer une partie des marchés auxquels ils postulent ou qui leur sont accordés. L’ARSP a initié lors du second semestre 2023 sa première campagne de contrôle auprès d’entreprises dans 20 secteurs d’activités, dont les mines, les télécommunications, le bâtiment et travaux publics, l’agroalimentaire, la cimenterie, etc. Dans la première phase, et ce sur l’unique secteur des communications électroniques, sur les 1428 entreprises sous-traitantes recensées par l’ARSP, seulement 218 sont des sociétés congolaises éligibles à la sous-traitance (soit environ 15% des sous-traitants recensés). On constate d’ailleurs que sont généralement réservées à la sous-traitance locale des activités annexes (nettoyage, jardinage, restauration, etc) et pas les activités centrales.
De ce fait, ces sous-traitants auront du mal à remonter dans la chaîne de valeur de la filière, par manque de compétences. Toujours dans une dynamique de booster la transformation locale de ses minerais et prendre une place plus importante dans la conversation sur les changements liés à la mobilité électrique, le pays a entrepris de se positionner sur la production de batteries électriques en misant notamment sur ses importantes réserves de lithium et de cobalt. Pour coordonner son action sur ce segment, le gouvernement congolais a mis sur pied le Conseil Congolais de la Batterie (CCB), dont le seul but est de mettre en place, de promouvoir et de gérer une chaîne de valeur des minerais qui entrent en compte dans la fabrication des batteries.
En plus du CCB, la RDC regarde à l’installation d’une première usine de fabrication des précurseurs de batteries électriques dans la province du Haut-Katanga. Malgré ces initiatives, le pays peine à voir émerger un champion local dans sa filière minière. Pour un meilleur accompagnement des acteurs locaux devant déboucher sur un regain de souveraineté industriel sur le secteur minier, la République Démocratique du Congo devrait dans un premier temps définir son propre agenda pour le développement de son secteur minier et ne pas essayer de s’aligner sur ceux des autres, notamment sur le développement des filières de minerais dits stratégiques, où l’on voit que chaque pays à une liste particulière en fonction de son plan de développement.
Ensuite, l’État doit investir massivement dans la recherche pour mieux connaître ses réserves et ainsi baisser les barrières à l’entrée notamment au regard des coûts d’exploration généralement très élevés et donc inaccessibles à la majorité d’entreprises locales. Troisièmement, il est nécessaire d’avoir une certaine préférence nationale dans l’octroi de permis par le cadastre minier, accordant ainsi certains des meilleurs gisements à des exploitants locaux pouvant justifier des capacités technique et financière adéquates pour développer ces gisements. Paramètre important et pas des moindres, le besoin d’investir massivement dans la formation pour avoir des locaux formés aux métiers à forte valeur ajoutée. Tout cela devra être fait en concomitance de la résolution des principaux challenges qui minent le secteur, notamment les conflits qui limitent l’accès à certains gisements à l’Est du pays, la très grande place des mineurs artisanaux, le manque d’infrastructures énergétiques et de transport, ainsi que la position de price maker de l’industrie minière chinoise, principale productrice et consommatrice de minerais au monde. Toutes ces mesures sont indispensables pour un regain de souveraineté industrielle dans le secteur..
Cette chronique est parue dans le spécial RDC paru dans Financial Afrik numéro 109.
A propos de l’auteur
Landry DJIMPE est associé du cabinet Innogence Consulting, spécialisé en Intelligence Économique. Basé à France, avec des équipes en Côte d’Ivoire, Nigéria et RDC, le cabinet accompagne ses clients dans leur développement sur le continent en leur fournissant des analyses sur la structuration des marchés africains. Responsable du bureau de Kinshasa, Landry et son équipe accompagnent les entreprises dans les secteurs clés de l’économie congolaise : mines, services financiers, énergie, BTP, etc.