« C’est un produit qui a l’odeur des fonds propres, qui en a la couleur mais qui n’en est pas un au sens oú il ne modifie pas l’actionnariat”. Ainsi s’exprimait Serge Ekué, président de la Banque Ouest Africaine de Developpement (BOAD), le 14 mai 2024, en expliquant à un nombre restreint de journalistes la stratégie suivie par l’institution de developpement pour optimiser ses fonds propres.
Pendant trois ans, la banque Ouest africaine a fait d’abord de la destruction créatrice en voyant ses charges croître plus vite que ses revenus. Puis le processus s’est inversé au vu des réformes et des innovations et de l’augmentation du capital, passé de 1,5 à 3 milliards d’euros.
Ainsi, en décembre 2023, la BOAD a innové en émettant une obligation hybride par placement privé, une première mondiale par une banque multilatérale de développement. Le montant de l’opération était de 100 millions USD, souscrits par un investisseur unique, la BADEA (Banque Arabe pour le Développement Economique en Afrique). Il s’agit de la première tranche d’un programme d’obligations à placement privé de 600 millions USD qui devrait être clôturé d’ici la fin du plan Djoliba (2025).
Le produit de cette émission, réalisé en dollars américains et couvert en euros, a permis de renforcer la capacité d’endettement de la BOAD et de protéger son profil financier contre les chocs potentiels, préservant ainsi sa notation de crédit de qualité investment grade.
Les obligations super subordonnées ont été un succès . “Nous sommes d’ailleurs la première institution de developpement à utiliser un tel instrument”, précise l’ancien haut cadre de Natixis qui a ramené dans ses bagages la panoplie d’outils à l’instar de ces Canada dry qu’utilise la finance de marché pour optimiser les bilans et relever la performance des fonds propres.
“À la fin d’une telle opération, le bilan reste le même mais c’est la capacité de l’optimiser qui fait la différence”, détaille l’ancien chef de division de Natixis pour la zone Asie-Pacifique.
Autre instrument utilisé par la BOAD , l’assurance-crédit, procédé de transfert d’une partie du risque inscrit dans son bilan à des compagnies d’assurance de premier plan. “Cela permet à la banque de renforcer son profil de risque et d’optimiser l’utilisation de son capital”. Depuis 2021, la BOAD a souscrit à des polices d’assurance-crédit couvrant 11% de son portefeuille global de prêts, ce qui représente environ 500 millions d’euros de capacités mobilisées.
Cette stratégie a permis de réaliser une économie significative de fonds propres, facilitant ainsi le déploiement de financements supplémentaires. “L’assurance nous permet en gros de faire porter le risque par d’autres vu que le bilan a une taille limitée”, explique M, Ekué. Par ce procédé, la banque notée Baa1 chez Moody’s avec des clients cotés BB au mieux arrive à relever le risque de son portefeuille à A, en s’acquittant, bien entendu, d’une prime. La question est, dès lors, de savoir si cette prime génère un retour sur investissement. “C’est très profitable puisque l’assurance nous a permis d’économiser 80 milliards de FCFA et, avec l’effet de levier, nous avons pu pouvoir investir à nouveau 235 milliards de FCFA, ce qui justifie largement la prime que nous payons”. En outre, ajoute M. Ekué, “nous avons conservé le service au client, seul le risque a été transféré”.
La titrisation est le troisième axe de l’arsenal des outils financiers mobilisés par la BOAD. En transformant une partie de ses créances en titres négociables sur le marché, la plus financière des institutions africaines de developpement a augmenté ses liquidités et ses capacités d’intervention tout en diversifiant ses sources de financement. L’opération, matérialisée par la titrisation de créances souveraines de l’UEMOA, a récolté 150 milliards FCFA en 2023, un record sur le marché financier régional.
“L’investisseur tiers nous paye un taux fixe et nous lui cédons la performance (taux variable)”, schématise M. Ekué qui estime, chiffres à l’appui, que la cession d’une partie du portefeuille a un taux de 6,1% s’est avérée une bonne affaire. “Se faisant, on n’immobilise plus les fonds propres durant toute la durée de l’engagement du risque souscrit. L’argent ainsi libéré est réinjecté dans le circuit économique avec un effet de levier de 3 dollars d’engagement pour 1 dollar de fonds propres ”
Cette initiative a non seulement renforcé la position financière de la BOAD, mais elle a également rencontré un franc succès auprès des investisseurs, reflétant une confiance accrue dans la banque. Une seconde opération de titrisation de 100 Mds FCFA est en cours de structuration en vue de son exécution au courant du 1er semestre 2024. Elle portera sur une partie du portefeuille de créances sur le secteur privé.
Ainsi, l’ingénierie financière permet à la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD) de financer son plan Djoliba 2021-2025 en allant au delà des fonds propres et en ne sollicitant pas les actionnaires.
Ces différentes opérations d’optimisation du bilan visent à accroître les financements de la banque de 50% par rapport au quinquennat précédent, tout en préservant l’équilibre financier et en améliorant la notation de crédit de l’institution.
Reste à convaincre les agences de notation, qui ont tendance à sur-pondérer l’environnement d’exercice de l’institution notée par rapport au risque intrinsèque, de faire évoluer leur grille d’analyse. Mais là c’est une autre histoire.