Par Makoko Theophane, conseiller senior (Senior Advisor) auprès d’Averi Capital.
Face à la résurgence des enjeux climatiques ces dernières années, l’architecture financière mondiale a dû se réinventer progressivement en intégrant, dans son jargon et dans sa pratique, les émissions obligataires vertes, aussi appelées « green bonds ». Ces instruments de financement visent à soutenir et à accélérer les projets dédiés à la préservation de l’environnement (énergies propres, préservation et reboisement de forêts, biodiversité, agriculture biologique, etc.). En 2023, d’après une étude menée par Bloomberg, les émissions de « Green bonds » ont atteint près de 939 milliards USD. Cette performance croissante est justifiée par les projections de retours pour l’indice GSS (Global Aggregate Green Social and Sustainability) qui s’établissait à 9,94 %, traduisant ainsi une évolution de près de +8,2 % en 2023 par rapport à 2022 pour les Green bonds uniquement. Une analyse plus approfondie révèle que le marché des crédits carbones est un corollaire direct à cette évolution du marché vert ; plus les États et les grands groupes investissent dans des projets jugés « CO2 free », plus ils ont accès à un palier de financements encore plus attrayants.
Concernant les crédits carbone, la Harvard Business Review les définit simplement comme des instruments financiers par lesquels l’acheteur paie une autre entreprise pour qu’elle prenne des mesures visant à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, et l’acheteur obtient un crédit pour la réduction. Cette monétisation des crédits carbones crée indubitablement une bulle financière inquiétante, qui pousse les groupes à se conformer uniquement à des normes réglementaires environnementales, plutôt que d’investir de manière réelle à moyen et long terme dans la décarbonisation. Le récent scandale des crédits carbones fantômes impliquant Shell révèle les contours relativement flous entre les crédits issus de véritables réductions sur les émissions de carbone et les crédits fantômes. Cet état de fait, au même titre que plusieurs instruments financiers dits innovants, repose très souvent sur des hypothèses volatiles, rendant le couple « risque-rendement » fortement fluctuant. En effet, les bases de calculs et d’appréciation sont très peu solides et peu susceptibles de permettre des évaluations pleinement objectives. Il est donc possible d’affirmer sans ambages que, tant que les hypothèses de détermination et de calcul des crédits carbones sont définies par les pays pollueurs, dits développés, il nous sera presque impossible d’avoir une architecture financière fiable et objective. Cela supposerait donc d’être à la fois juge et partie.
L’Afrique est confrontée à deux réalités : l’insuffisance de l’offre énergétique et le manque de ressources techniques capables de suivre l’évolution du marché carbone sur son continent. De nombreux grands groupes présents dans les industries extractives (mines, pétrole et gaz) et forestières ont lancé en Afrique des programmes de recherche et de production de biocarburants, de plantation de forêts artificielles et de reboisement, dans le but de réduire leurs empreintes carbones. Cependant, il est évident que nos États ne disposent pas des moyens techniques et financiers nécessaires pour mesurer et contrôler l’effectivité des politiques mises en place. En effet, la plupart des filiales, qui sont rattachées à leurs structures mères souvent cotées en bourse, doivent inéluctablement montrer « patte verte » afin de bénéficier de ces nouvelles niches financières, basées sur la transition énergétique. En France, le dernier rapport de la Cour des comptes, en date du 13 décembre 2023, mentionne que l’utilisation des biocarburants jusqu’en 2021 ne représentait qu’à peine 7 %, contre 93 % pour les énergies fossiles. Cela se justifie principalement par le coût très élevé des biocarburants et donc un modèle économique peu fiable.
En somme, la transition énergétique coûte cher. C’est un processus qui doit se financer et bénéficier de ressources financières longues et conséquentes. À mon avis, les États africains doivent se focaliser sur le développement de grands projets régionaux. Une ceinture énergétique régionale, réunissant un ensemble de grands projets à financer, préalablement évalués et financés de manière syndiquée par les différents États, pourrait être une base de départ.