Par Abderrahmane MEBTOUL, Professeur des universités, expert international -Docteur d’ Etat 1974.
Rappelons que courant 2023 , nous avons assisté à la faillite de banques américaines spécialisées dans les crypto-monnaies, la Silicon Valley Bank (SVB), la « banque de la tech » et de Signature Bank, également proche du monde des cryptos. Or, Signature Bank disposait de 110 milliards de dollars d’actifs et de 88 milliards de dollars de dépôts, la SVB de 173 milliards de dollars et ses actifs étaient estimés à 209 milliards de dollars, ce qui en faisait la seizième banque des Etats-Unis. La Fed a prêté environ 2 milliards de dollars au secteur bancaire pour éviter la crise.
En Europe, UBS a accepté de racheter Crédit Suisse, suite à sa faillite pour trois milliards de francs suisses (3,04 milliards d’euros) , selon le Financial Times. La banque qui compte parmi les 30 plus importantes banques du monde a été rachetée afin d’éviter un impact systémique, la Banque nationale suisse (BNS), ayant accepté de débloquer des liquidités pour 100 milliards de dollars en faveur de Crédit Suisse dans le cadre de l’accord.
Mais après les USA et la Suisse , entre le 24-25 mars 2023, les banques la zone euro ont été touchées avec les difficultés de la Deutsche Bank qui, le 24 mars 2023, a perdu en clôture -8,5% de sa valeur entraînant dans sa chute à Paris, Société Générale, qui a perdu 6,13% et BNP Paribas 5,27%.
Et, fin mars 2023, un nouveau scandale financier a éclaté et a touché cinq établissements bancaires français : Société Générale, BNP Paribas, Natixis, HSBC et Exane, une filière de la BNP Paribas spécialiste des investissements financiers.
Ces banques ont utilisé la technique du CumCum, où la banque peut recevoir, en échange d’une commission sur les dividendes restitués à l’actionnaire étranger pour lui avoir évité une taxation allant de 15,2 % à 30 % selon le pays de résidence du propriétaire des titres favorisant la fraude fiscale dans la mesure où un actionnaire étranger d’une société coté par exemple en France transfère temporairement, les jours précédents et les suivant les titres qu’il détient à un établissement bancaire dans le but d’éluder le paiement de la retenue à la source appliquée sur le paiement des dividendes. Mais la technique du CumCum peut se décliner dans d’autres versions, où les actionnaires des titres d’entreprises cotées peuvent passer par des sociétés écrans pour transférer leurs actions dans des pays qui bénéficient d’une exonération fiscale. Pour détecter cette fraude, estimée provisoirement à plus de 150 milliards d’euros dont 30 milliards en France , le Parquet national financier (PNF) en France a mobilisé pas moins de 150 enquêteurs du service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF), 16 magistrats français et 6 procureurs allemands.
Malgré ces scandales, les dirigeants américains et européens se veulent rassurant déclarant que les banques américaines et dans la zone euro sont robustes et disposent de positions solides en termes de capital et de liquidités et que nous sommes loin du scénario de la banque Lehman Brothers. A l’époque, presque toutes les banques de la planète étaient clientes de Lehman Brothers, d’où un effet domino quasiment immédiat de la faillite de la banque.
2.-Face aux différentes turbulences financières de l’économie mondiale avec des inégalités criardes au niveau mondial, accéléré par des mauvaises gouvernances de certains pays du Sud, et afin de favoriser le développement, que le groupe des BRICS a été créé. Le principe de cette organisation se fonde sur le co- développement, le respect du choix souverain du système politique et économique de chaque nation, tenant compte de son histoire et de son anthropologie culturelle.
D’une manière générale, l’action des BRICS a permis de soulever des problèmes jusque-là ignorés par les pays développés dans un esprit dépassé de domination, comme le déséquilibre de l’économie mondiale, et l’idée qu’il ne peut y avoir de développement global sans le développent et de prospérité de la majorité des pays en voie de développement, proposant de créer un partenariat global fondé sur le dialogue productif par une compréhension mutuelle et une coordination des efforts entre le Nord et le Sud afin de résoudre les nombreux défis de notre monde.
Bien que n’ayant pas, contrairement au G7, des affinités économiques, politiques et idéologiques, l’action des BRICS adopte des positions sensiblement communes sur des questions de relations internationales, dont la souveraineté nationale, la non-ingérence dans les affaires internes des pays, des problèmes d’environnement, du désarmement, de la non-prolifération nucléaire, des réformes des institutions internationales, du commerce international et d’autres problèmes économiques comme la sécurité alimentaire et énergétique. Le PIB des BRICS avec son élargissement représente plus de 30% du PIB mondial pour 45% de la population mondiale, mais la Chine qui y contribue à hauteur de 72,54% est largement le leader de cette organisation. La stratégie de la Chine à travers les BRICS avec son élargissement récent s’inscrit dans le cadre de la nouvelle route de la soie visant à relier économiquement la Chine à l’Europe et l’Afrique en intégrant les espaces d’Asie Centrale par un vaste réseau de corridors routiers et ferroviaires, concernant plus de 68 pays regroupant 4,4 milliards d’habitants et représentant près de 40 % du produit intérieur brut (PIB).
Par ce projet , la stratégie vise à ancrer l’Europe orientale et l’Asie occidentale dans un vaste réseau d’ infrastructures, routes, chemin de fer, pipelines, câbles de fibres optiques et terminaux portuaires qui relieront les trois continents par terre et par mer, toutes les routes conduisant à Pékin. Ce qui explique la récente contre-offensive américaine et accessoirement de l’Europe en direction de l’Afrique , enjeu économique du XXIème, avec d’ importantes richesses et un quart de la population mondiale à horizon 2040/2050 .
3.-C’est pour se prémunir contre la prédominance du dollar que les BRICS au départ constitués de cinq Etats la Chine , l’Inde – la Russie -le Brésil et l’ Afrique du Sud totalisent 25.914 milliards de dollars de PIB selon les données officielles de la Banque mondiale pour 2022 soit près de 26% du PIB mondial pour une population approchant 3,2 milliards d’habitants ,la Chine représentant en 2022 environ 69,32% et près de 18% du PIB mondial et en incluant les nouveaux membres et les pays retenus comme nouveaux membres qui a été un dosage entre les intérêts politiques et économiques ,dont l’Arabie Saoudite ; Argentine, Emiraties, Egypte , Iran , Ethiopie un PIB d’environ de 3167 milliards de dollars ce qui donne un total pour les 11 pays 29.000 milliards de dollars soit 29% du PIB mondial pour 2022 ,pour une population approchant les 45% de la population mondiale. ont décidé de dynamiser< banque de développement-NBD, créée en 2015.
Cette banque a pour objectif avec la nomination le 31 mars 2023 de l’ancienne présidente du Brésil Dilma Rousseff un contrepoids financier à travers la contribution des banques centrales des BRICS, une partie des réserves de devises étrangères et l’émission d’emprunts sur le marché financier international. C’est sous l’impulsion des BRICS que le G20 a transformé le forum de stabilité financière en conseil de stabilité financière, les BRICS ayant soutenu le rapport sur les G-SIFI pour réduire les risques moraux des institutions financières systématiquement et globalement importants, les fonds de couverture, le shadow banking, les produits dérivés financiers des marchés offshore et les agences de notation ayant été ramenés pour la première fois sous la supervision.
Les avantages de la Nouvelle Banque de développement seraient : premièrement de mieux utiliser leurs devises étrangères afin de réduire le risque d’inflation et de rétrécissement de leur réserve de devises étrangères, et de mieux servir leurs économies réelles ; deuxièmement, les bénéfices que la banque de développement pourraient tirer de l’investissement dans les économies réelles et dépasseraient largement ceux que les banques centrales pourraient tirer de l’achat de bons du Trésor des pays développés. ; troisièmement, la Nouvelle Banque de développement ferait la promotion de l’usage des monnaies nationales des pays membres, ce qui pourrait promouvoir le commerce intérieur et l’investissement réciproque de ces pays, réduisant ainsi la dépendance au dollar.
Cependant, il faut être réaliste. Bien qu’en baisse relative 78% dans les transactions mondiales, en 1980, , selon les données du London Foreign Exchange Committee sur le plus grand marché au monde, celui des monnaies, (7.500 milliards de dollars par jour), il n’y a pas le moindre signe de dédollarisation (perte de l’influence et du poids du billet vert), bien au contraire, en 2023, à Londres, première place mondiale sur les changes (38 % de l’activité mondiale), la part du dollar dans les volumes quotidiens s’est renforcée à plus de 45 % alors que celle de l’euro chutait de 19 % à 16,6 %. Pour 2024 , il est frappant note le FMI de constater que la baisse de la part du dollar au cours des deux dernières décennies n’a pas été contrebalancée par l’augmentation des parts des autres principales monnaies, que sont l’euro, le yen et la livre.
Au lieu de cela, c’est la part de ce que nous appelons les « monnaies de réserve non traditionnelles » qui a augmenté, notamment celle du dollar australien, du dollar canadien, du renminbi chinois, du won sud-coréen, du dollar singapourien et des devises nordiques. La part du dollar dans les « réserves » détenues par l’ensemble des banques centrales demeure très majoritaire, 58 %, l’euro, qui était monté à 20 %, le yen n’a jamais dépassé quelques pour cent, la monnaie chinoise, parce que inconvertible, n’est un trésor que pour la banque centrale de Chine et donc comme monnaie de transaction internationale, le dollar conserve une part encore supérieure, entre 85 et 90 % où pétrole , matières premières, bien industriels, ne sont évalués et échangés véritablement qu’en dollars, encore que guerre en Ukraine peut changer un peu les chiffres puisque la Chine achète le pétrole russe avec sa monnaie mais pas dans de grandes proportions.
Paradoxe, malgré les discours politiques, . Pour preuve , en 2022, la Chine détenait des titres du Trésor américain d’un montant de 870 de milliards de dollars, le Japon 1.082 milliards , le Royaume uni 655 milliards, la Belgique 333 milliards, le Brésil 226 milliards, la France 204 milliards de dollars et nous avons d’autres pays, même ceux les plus hostiles aux États-Unis .De façon générale, lorsque la valeur du dollar américain par rapport aux principales monnaies est plus faible, sa part dans les réserves mondiales diminue puisque la valeur en dollars des réserves libellées dans d’autres devises augmente (et vice versa lorsque le dollar est plus vigoureux).
À leur tour, les taux de change du dollar peuvent être influencés par plusieurs facteurs, tels que des facteurs politiques, des politiques monétaires et budgétaires différentes, et les ventes et achats de devises par les banques centrales. En 2024,, les USA étant la première puissance économique mondiale, suivi de la Chine, et de l’Europe qui bien que déclinante reste la troisième puissance économique mondiale.
En conclusion, le monde subit de profondes mutations géostratégiques, certains scénarios suggérant l’émergence à l’horizon 2030/2035 de deux blocs hégémoniques, l’un dominé par les USA, l’autre par la Chine, où existerait une entente entre ces deux grandes puissances pour le partage des zones d’influence et donc sur le nouveau système monétaire mondial avec deux monnaies dominantes, le dollar américain, le yuan chinois, suivi de l’euro. Avec les impacts du conflit en Ukraine, le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite et les nouvelles adhésions aux BRICS, nous devrions assister à une nouvelle configuration des relations internationales,nous orientant vers sun monde multipolaire .