Par Pr Amath Ndiaye, FASEG-UCAD.
Le contenu local d’un projet réalisé grâce à investissement direct étranger désigne les facteurs de production d’origine locale utilisés dans le processus de production par le projet. Il s’agit des équipements, du travail, des biens et des services utilisés comme consommations intermédiaires.
Dans la leçon précédente, nous avions supposé que le contenu local en travail était de 100%, maintenant nous allons prendre une hypothèse plus réaliste.
La Richesse créée avec un contenu local en travail limité
On suppose, au départ, que la République du Sahel ne dispose pas, au niveau local, de toute la main d’œuvre qualifiée pour l’exploitation des hydrocarbures ; Sahel Hydrocarbures (SH) va donc utiliser de la main d’œuvre expatriée et lui verser 30% des salaires.
Reprenons notre exemple : pour l’année 2023 Sahel hydrocarbures a réalisé une production de 1500 milliards CFA hors taxes, a payé à ses fournisseurs 600 milliards CFA. Les 600 milliards représentent donc la valeur des consommations intermédiaires (CI) de SH (matières et matériaux divers, eau, électricité, communication, sous-traitance et consultance, fournitures de bureau et informatiques, transport et déplacement, etc.).
A partir de ces données agrégées, on peut calculer la valeur ajoutée brute (VAB) de SH en 2023. VAB = Production – CI = 1500 – 600 = 900.
Donc SH a créé directement une richesse économique de 900 milliards CFA en 2023. Par ailleurs SH a payé des droits de douane de 5 milliards et versés 90 milliards de TVA sur les ventes destinées au marché intérieur. Donc, indirectement SH a créé 95 milliards de richesse économique au bénéfice de l’Etat du Sahel. Si on fait le total de la richesse créée directement et indirectement par SH, nous aurons une richesse économique totale créée de 900 + 95 = 995 milliards CFA.
Rappelons qu’il ne faut pas confondre richesse créée (995) et Production ou chiffre d’affaires (1500). En effet, ce sont les 995 milliards CFA qui vont être comptabilisés dans le PIB du pays et que vont se répartir SH, les travailleurs et l’Etat du Sahel.
La Répartition de la richesse créée : cas d’un contenu local en travail limité
Maintenant, on considère que les 40% de la VAB vont aux travailleurs sous forme de salaires. Ce qui représente un montant de 360 milliards (40% x 900). Dans ces 360 milliards, les travailleurs locaux sahéliens vont percevoir les 70%, c’est dire 252 milliards et les travailleurs étrangers 108 milliards (360 – 252). Retenez que les salaires versés aux travailleurs étrangers ne diminuent en rien le PIB du Sahel.
La répartition primaire de la richesse totale créée se fera comme suit : Salaires 360, Excédent Brut d’exploitation (EBE) 540, Etat (impôts indirects) 95. Si, on considère que les travailleurs expatriés vont consommer 50% de leurs salaires et envoyer le reste à l’étranger, quelle sera la part de l’économie nationale ?
Sur les 108 milliards de salaires perçus par les étrangers, 54 milliards vont donc être consommés sur place et rester dans l’économie nationale. Ainsi, la part de l’économie nationale, dans la richesse créée directement et indirectement par SH, sera composée des salaires perçus par les travailleurs locaux sahéliens (252 milliards), des dépenses de consommation des salariés étrangers (54 milliards) et des impôts indirects perçus par l’Etat (95 milliards). Ce qui fait au total : 252 + 54 + 95 = 401 milliards CFA.
Si on s’arrête à cette répartition primaire, on peut considérer que l’économie nationale du Sahel obtiendra au moins 401 milliards (non compris les amortissements) c’est à 40, 3 % de la richesse totale créée grâce aux activités de SH. A ce niveau, l’on se rend compte que la république du Sahel gagne déjà plus que ce que les actions de l’Etat (18%) vont rapporter !
Par ailleurs, si dans l’avenir, la république du Sahel arrive à augmenter son contenu local en travail et à fournir toute la main d’œuvre, la part de l’économie nationale sera augmentée de 54 milliards ; cette somme représentera ce que les travailleurs étrangers envoyaient chez eux.
En réalité, la part de l’économie nationale est plus importante, si l’on prend en compte les dividendes perçus par l’Etat et les impôts sur le bénéfice. Si on considère que les amortissements sont de 8 milliards et que le taux de l’impôt sur les sociétés est de 25%, alors SH aura à payer un montant d’impôt sur le bénéfice de : 25% x (540- 8) = 133 milliards.
Les actionnaires de SH vont répartir un bénéfice après impôt de (540 – 8 – 133), c’est-à-dire 399 milliards CFA. La Société européenne Schengen Pétrolium avec 82% des actions recevra 327, 18 milliards CFA et L’Etat du Sahel avec 18% recevra 71,82 milliards.
En considérant les amortissements comme des investissements dont bénéficie le Sahel, la part de l’économie nationale du Sahel est finalement de 61,69% et celle du Reste du Monde de 38,31.
En conclusion nous retiendrons deux leçons :
1. Ce qu’une économie nationale gagne dans un investissement direct étranger est de loin plus important ce que les actionnaires locaux y gagnent. Dans le cas présent, l’Etat n’est actionnaire qu’à 18% mais l’économie nationale s’accapare de 61,69%.de la richesse créée.
2. Les gains de l’économie nationale sont d’autant plus importants que le contenu local du projet est consistant.
Notice:
Le grand public a besoin de connaître certaines notions de base de l’économie. Cela facilitera la compréhension des problèmes économiques et contribuera, nous l’espérons, à la « convergence » d’idées sur les politiques économiques. Nous ne sommes pas des donneurs de leçons. Nous pensons en toute modestie que nous devons nous rendre utiles comme tout le monde en partageant du peu que nous savons.
A propos du Pr Amath Ndiaye
Prof. Amath Ndiaye est un éminent économiste sénégalais, titulaire d’un Doctorat d’État en Sciences Économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (2001) et d’un Doctorat de 3e cycle en Économie du Développement de l’Université de Grenoble, France (1987). Depuis 1987, il enseigne à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Expert reconnu, il a collaboré avec des institutions prestigieuses telles que la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, et le FMI, se spécialisant notamment dans les domaines des taux de change, de la croissance économique, et du développement institutionnel. Il a également participé au projet de mise en place de la Banque Centrale Africaine sous l’égide de l’Union Africaine. Prof. Ndiaye est l’auteur de nombreuses publications influentes, notamment sur les régimes de change et la croissance économique en Afrique de l’Ouest. Trilingue, il maîtrise le wolof, le français et l’anglais.