“La BOAD enregistre la toute première obligation hybride libellée en euros d’une banque multilatérale de développement”
Le président de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD), Serge Ekué, poursuit sa politique de renforcement des fonds propres de l’institution à travers des instruments innovants. Après une émission subordonnée en dollar avec la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) en décembre 2023, c’est au tour de la banque italienne CDP (Cassa Depositi e Prestiti ) de conclure avec la BOAD un accord historique permettant à l’institution ouest-africaine de renforcer son capital sans solliciter ses actionnaires, sans risque de dilution pour ces derniers et, important, avec un effet immédiat sur le bilan.
L’accord signé le 2 août 2024 au siège de la Cassa Depositi e Prestiti en présence d’Edmondo Cirielli, vice-ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, de Serge Ekué, président de la Boad, et de Dario Scannapieco, PDG de CDP, s’est traduit par la souscription par le Fonds pour le climat d’une obligation hybride d’un montant de 100 millions d’euros, émise par la Boad.
Les fonds seront utilisés pour la construction et la réhabilitation des infrastructures de production d’électricité à partir de sources renouvelables, pour éviter les émissions de CO2 et réduire les coûts de production de l’énergie, contribuant ainsi à la réalisation de l’Objectif 7 de développement durable (Une énergie abordable et propre) dans les pays membres de l’Uémoa : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo.
Il s’agit donc, explique Serge Ekué dans cet entretien exclusif, de la toute première obligation hybride libellée en euros émise par une banque multilatérale de développement. Avec cette opération, la BOAD, banque d’ingénieurs et d’experts, avec un tracking record éprouvé sur les projets d’infrastructures, renforce son ancrage dans le domaine de l’innovation financière.
Propos recueillis à Rome par Daniel Djagoué
Qu’est ce que cette transaction représente pour la BOAD ?
Cette transaction est avant tout historique, c’est une première, et je tiens à ce que cela soit bien souligné. Lorsqu’on réalise une première, c’est toujours plus difficile, car on affronte toutes les difficultés initiales. Ceux qui suivront notre exemple, et je suis convaincu qu’ils le feront, bénéficieront de notre expérience, comme cela a été le cas pour l’opération que nous avons menée en décembre dernier en dollars.
Être les premiers sur une transaction implique de faire face aux obstacles, de surmonter les défis. C’est donc un moment historique. Dans l’histoire de la finance internationale, il sera retenu que la BOAD, en collaboration avec la CDP en Italie, a réalisé une première : la toute première obligation hybride libellée en euros émise par une banque multilatérale de développement. C’est indéniable.
C’est également un pas décisif qui renforce les liens et la coopération entre la CDP et notre Afrique subsaharienne, afin de soutenir le développement de notre région.
Je tiens également à souligner, et j’insiste sur ce point, que c’est une façon moderne de financer le développement, une nouvelle manière de soutenir la croissance, puisque la Caisse des dépôts contribue à la consolidation du bilan de la BOAD.
Elle permet de renforcer notre capital, et nous pensons que c’est un modèle moderne pour que le Nord collabore avec le Sud global. Nous croyons vraiment en la modernité de cette approche, car la BOAD est une institution d’ingénieurs, une maison technique reconnue pour son expertise et sa proximité avec les secteurs public et privé.
Depuis 2015, nous intervenons sur les marchés. Cela fait donc 9 ans que la BOAD dialogue avec les investisseurs, les banques, et les acteurs financiers du monde entier. Tous les grands investisseurs ont acquis de la dette de la banque. En outre, la BOAD est une banque de techniciens, maîtrisant les sujets techniques liés aux infrastructures routières, autoroutières, aéroportuaires, et bien plus encore. Nous savons également travailler dans l’agriculture et dans les domaines du capital humain, de l’éducation et de la santé.
La technicité de la BOAD, alliée à son historique et à sa connaissance de notre économie régionale, a séduit la CDP, qui a vu en cette première une opportunité. Ils ont estimé que nos objectifs s’alignaient parfaitement. Cela nous permet d’obtenir des ressources supplémentaires pour renforcer notre capital et investir dans les projets évoqués. En ce qui concerne cette opération, l’objectif est la croissance durable et la lutte contre le changement climatique. Voilà pourquoi cette transaction est si significative, tant pour nous que pour nos partenaires italiens.
La BOAD nous a habitués à une innovation continue depuis le premier bond à objectifs de développement durable en 2021, une première en Afrique. Vous avez également été la première banque multilatérale de développement à émettre une obligation hybride en décembre 2023. Pourriez-vous commenter l’aspect innovant de cette nouvelle transaction ?
C’est une innovation parce que, d’une part, nous ne sommes pas dans une obligation ou un renforcement de nos fonds propres traditionnels et classiques. Lorsqu’on procède à une augmentation de capital classique, les actionnaires souscrivent à une augmentation de capital qui se divise entre le capital libéré, c’est-à-dire ce que les actionnaires apportent immédiatement, et le capital appelable, qui n’est versé qu’en cas d’extrême nécessité. Cela s’étend dans le temps.
Cependant, avec cette opération, dès que la CDP effectue un transfert, le renforcement du capital de la banque est immédiat. Il n’y a plus de capital appelable. Le capital de la banque est renforcé immédiatement de 100 millions d’euros. L’effet est immédiat et se reflétera directement dans notre bilan. C’est un élément majeur.
Le deuxième élément est l’absence d’effet dilutif : nos actionnaires ne voient pas leur part réduite. Chaque actionnaire, notamment les actionnaires régionaux, conserve la part de capital qu’il détenait initialement. Cette opération ne modifie pas la composition de notre actionnariat. Nos huit pays détiennent chacun, de manière directe, 5,9 % du capital, et cela reste inchangé après l’opération. De plus, la structure de gouvernance de la banque ne change pas non plus.
Vous augmentez le capital, mais la gouvernance reste la même, avec un conseil d’administration, un conseil de ministres, et la conférence des chefs d’État. Rien ne change. Nous obtenons tous les avantages de l’augmentation de capital sans toucher à la gouvernance de la banque ni à la part de capital détenue par chaque actionnaire.
Enfin, cela se fait avec un partenaire de choix, la Caisse des dépôts italienne, un investisseur stratégique avec une histoire de plus de 175 ans dans le développement de son propre pays, et qui comprend bien les enjeux du développement. Nos ambitions se sont alignées, ce qui a permis la réalisation de cette opération, que je qualifie à nouveau d’historique.
Quelles seront les répercussions sur la région ?
Les répercussions sont déjà immédiates. Comme je l’ai mentionné, en augmentant immédiatement notre capital de 100 millions d’euros, nous aurons la capacité d’investir jusqu’à 400 millions d’euros, soit entre 240 et 250 milliards de francs CFA, qui seront injectés immédiatement dans le système UEMOA. Si l’on considère la production et les engagements annuels de la banque, qui s’élèvent à environ 800 milliards de FCFA, cette opération représente un potentiel d’intervention s’élevant entre un quart et un tiers de nos engagements annuels. Cela montre l’effet immédiat et puissant de cette transaction, ainsi que le choix stratégique d’un partenaire pour une opération à très long terme, sur une période de 30 ans, qui renforcera nos fonds publics pendant au moins 5 ans.
L’effet immédiat est donc colossal, car nous disposons immédiatement d’une capacité d’engagement de 240 à 250 milliards de francs CFA.
Comment cette transaction s’articule-t-elle avec le plan stratégique Djoliba de la BOAD ?
Tout est dans le plan stratégique. Nous avions clairement indiqué que nous allions travailler sur le renforcement du capital dur, des fonds propres durs, ce que l’on appelle le Tier 1. Nous avions également prévu de travailler sur le capital hybride, ce que nous faisons actuellement, ainsi que sur l’assurance de portefeuille et la titrisation de nos actifs.
Cette opération illustre parfaitement ce que nous avions annoncé. Aujourd’hui, nous disposons d’une enveloppe validée par le Conseil des ministres de 600 millions d’euros. Nous avons déjà réalisé plus de 200 millions et il reste une partie à réaliser. De manière générale, le plan Djoliba est exécuté à 80 % à l’heure où je vous parle. Nous sommes confiants que nous pourrons atteindre notre objectif de 100 %.
Cette transaction s’inscrit donc directement dans le cadre de notre plan stratégique, qui est en bonne voie d’achèvement.