Par Alassane BA.
Ancien DG pi Africa50, Ancien DG Shelter Afrique, Ancien Chef de Division Industries et Services à la Banque africaine de Développement, Alassane BA apporte son analyse sur l’un des investissements privés les plus importants de la présente décennie.
Etant la septième du monde par sa capacité de 650 000 barils par jour, la raffinerie Dangoté revêt toutes les caractéristiques d’un projet pharaonique qui bouleverse tout. Il s’agit d’un nouveau paradigme pour l’avenir industriel du continent. Tout est gargantuesque ! Son promoteur ne manque pas d’ambition et surtout d’audace, conditions essentielles pour le développement industriel de l’Afrique. Comme disait Goethe « quoi que vous rêviez d’entreprendre, commencez-le. L’audace a du génie, du pouvoir et de la magie ». Le projet est en soi un cas d’école digne d’être enseigné dans les meilleures écoles de commerce et d’Ingénieurs du monde pour comprendre tous les enjeux qui se posent au financement des projets industriels, leur mise en œuvre et leur exploitation.
A chaque phase, l’échec n’est pas loin, l’écart entre le succès et sa face cachée qu’est l’échec est aussi fine qu’une lame de rasoir ou le temps de latence entre l’inspiration et l’expiration. Il a fallu tout construire : le port, la centrale électrique, la logistique de transports et même les routes. Du néant, il a édifié un site industriel de classe mondiale qui a coûté 20 milliards USD. A titre analogique, seuls 2 pays de l’UEMOA ont un PIB supérieur à 20 milliards de USD.
Un projet de 20 milliards dollars est en général hors de portée d’une personne physique, fût-elle la plus riche d’Afrique. Seules les multinationales et investisseurs institutionnels sont attirés par de tels projets, en raison de leur surface financière et leurs appétits pour de tels risques en raison de leur capital patient. Les raffineries de pétrole sont très risquées, en raison des conditions d’approvisionnement en pétrole brut, le niveau de fonds de roulement, la faiblesse des marges et la réglementation environnementale sur les produits finis.
Les exigences en fonds propres et assimilés de la raffinerie Dangoté avoisinent 8 milliards USD. Le projet initial aurait été estimé dans sa phase d’étude à 9 milliards. Le coût d’investissement actuel de 20 milliards de USD est le résultat de l’augmentation des coûts due au COVID et plus fondamentalement à la nature de tels projets toujours exposés au dépassement des coûts estimés, à l’image des jeux olympiques, les grands barrages, les tunnels et projets pétroliers. Les surcoûts moyens sont au minimum de 50% du coût initial, posant de sérieuses difficultés de boucler le plan de financement en raison des exigences de fonds propres et assimilés ainsi que la rentabilité financière qui se trouve très affectée. Surmonter ces difficultés est herculéen et cela ne va pas de soi. Le temps nous le dira.
La dette est portée essentiellement par les agences de crédit à l’export comme les EXIM Bank et AFREXIMBANK, ces institutions ont l’audace de leur mandat duquel dérive leur modus operandi. Le bouclage du financement du projet signifie que l’appétit existe pour le risque africain, particulièrement pour les projets pertinents et financièrement viables. Le risque pays existe certes mais il a été accepté comme modéré pour ce type de projet. Il est à noter que les banques de développement comme la BAD et la SFI sont présentes mais à des niveaux très bas dans le schéma de financement. Une question légitime se pose : est ce que ces banques sont adaptées pour le financement industriel qui constitue une vraie urgence en Afrique ? Ma réponse est non. Leur déclaration d’appétence aux risques et la taille de leurs allocations pour le financement non souverain exclut les grands projets de transformation des matières premières sur place. Tout projet d’envergure est hors de leur champ de financement créant une asymétrie entre le besoin de financement industriel de l’Afrique et les capacités financières existantes pour être l’investisseur d’ancrage. L’Afrique a besoin d’une institution financière dédiée au financement de l’industrie, à l’image de ce qui a été fait, avec le concours de la BAD, pour les assurances, le logement abordable, le commerce et les infrastructures. Une institution dédiée a l’appétence aux risques définie dans sa mission et les outils nécessaires pour la gestion des multiples risques.