Par Julien BRIOT-HADAR[1]
La consommation croissante de drogues sur le continent africain est une véritable source d’inquiétude publique. Bien que les pays d’Afrique ne se situent pas traditionnellement sur les principaux itinéraires de trafic de drogues, les groupes criminels se tournent de plus en plus vers ce continent pour procéder au transbordement de cocaïne, d’héroïne et de méthamphétamine. En Afrique de l’Ouest, la cocaïne saisie dans la région du Sahel est passée de 35 kilos en 2021 à 863 kilos en 2022, selon le Rapport mondial sur les drogues 2023 de l’ONU.
Les ports africains sont en pleine frénésie commerciale, en pleine concurrence l’un avec l’autre et sont devenus des portes tournantes pour le trafic international de drogues. Un rapport de décembre 2022 de la Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GI-TOC) a identifié les ports de Durban en Afrique du Sud, Pemba et Nacala au Mozambique, Dar es Salaam et Zanzibar en Tanzanie, Mombasa au Kenya et Walvis Bay en Namibie comme ayant enregistré davantage de saisies de cocaïne. Les infrastructures, y compris nouvelles ou/et en expansion, de Kribi au Cameroun (port ayant accueilli ses premiers navires en 2014), de Walvis Bay en Namibie (port agrandi en 2019), ainsi que de Mombasa au Kenya ou de Tema au Ghana (en cours d’agrandissement) n’ont pas réussi à endiguer le flux de cocaïne en provenance d’Amérique latine ou d’héroïne en provenance d’Asie du Sud.
L’épicentre de la production mondiale d’héroïne s’est déplacé de l’Afghanistan vers le Myanmar, à la suite d’une répression des talibans contre la culture du pavot à opium. Mais le port de Mombasa au Kenya reste la destination la plus importante des cargaisons d’héroïne expédiées depuis l’Asie du Sud et du Sud-Est vers l’Europe.
Le captagon et le tramadol sont acheminées vers le continent pour y rester. Depuis le début des années 2010, le Soudan est identifié comme une plaque tournante locale pour la production et la distribution de captagon. Mais du fait de la poursuite de la guerre civile dans le pays, les trafiquants de drogues pourraient chercher d’autres voies pour approvisionner leur clientèle sur le continent africain. Si le captagon n’est toujours pas répandu, l’usage illicite de tramadol est une véritable épidémie. Les ports africains sont assiégés par les saisies de tramadol. En avril 2023, 143,8 millions de comprimés de tramadol, d’une valeur estimée à 138 millions de dollars, ont été découverts dans le port d’Apapa au Nigéria. Les port d’Afrique de l’Ouest au Togo, au Bénin et au Nigéria sont les principaux points d’entrée du tramadol.
Mais la question que l’on pourrait se poser est la suivante : que faire pour lutter contre ce fléau ? La coopération avec les pays occidentaux semble primordiale. L’exemple du Nigéria est ici à pointer du doigt. Créée en 2012 par la National Drug Law Enforcement Agency (NDLEA) et la Drug Enforcement Administration (la fameuse « DEA », une unité d’élite nigériane a vu le jour. Cette dernière est devenue membre, en 2014, du programme d’investigation bilatérale de la DEA, le Sensitive Investigative Unit Program. La NDLEA-SIU multiplie les enquêtes et les saisies dans le sud du pays. Cette aide des USA permet d’augmenter les démantèlements de laboratoires de méthamphétamines, dont le Nigeria est un producteur important, et d’intensifier la lutte contre le trafic de captagon. Dès novembre 2022, la NDLEA a annoncé avoir découvert l’existence de projets d’importation de cette drogue, produite principalement en Chine et jusqu’alors peu connue en Afrique de l’Ouest.
En mai 2023, une première saisie de fentanyl est réalisée dans l’État d’Anambra (Sud-Est du Nigéria) par l’équipe d’élite. Grâce à cette collaboration, les saisies de drogues, ont augmenté à Lagos, plus particulièrement dans le port de Tin Can. Malheureusement des vulnérabilités existent toujours, notamment dans le port d’Apapa, où près de 130 conteneurs sont pourtant scannés chaque jour, les enquêteurs nigérians formés par la DEA n’ont réalisé aucune saisie au cours des six derniers mois. Ce problème est le même au sein de l’important port maritime de Tema au Ghana qui est divisé en deux : les conteneurs sont soit scannés par une entreprise locale soit par Meridian Port Services (une coentreprise entre Ghana Ports and Harbours, Africa Global Logistics et APM Terminal). Pour les trafiquants de drogues, le choix est évident.
Scanner chaque conteneur semble néanmoins une très bonne idée pour le Nigéria et s’inspirer d’autres pays comme l’Australie, la Belgique ou le Brésil semble intéressant. En 2019, le gouvernement belge s’est engagé à scanner 100 % des « conteneurs à haut risque » et a acheté cinq nouveaux scanners pour le port. Au Brésil, le port de Santos a l’obligation légale de scanner chaque conteneur vide entrant dans le pays. En vue d’harmoniser leurs mesures de sécurité contre le trafic de drogues et combattre leur infiltration par les réseaux criminels, une alliance des ports africains serait intéressante.
Bien évidemment, le déploiement de ces technologies n’éradiquera pas le trafic de drogues et, s’attaquer à la corruption est la dernière étape pour réduire le trafic de stupéfiants sur le continent africain. Il doit être exigé une transparence totale des hauts fonctionnaires sur leurs patrimoines et sur leurs conflits d’intérêts. Il serait intéressant à ce titre de créer une institution en charge de la transparence de la vie publique. Par ailleurs, la densification du système de contrôle de l’admnistration portuaire doit constituer un des rouages de la politique de lutte contre la fraude fiscale. Des contrôles administratifs, techniques ou financiers, a priori et à posteriori, doivent être mises en place régulièrement dans les ports du pays et sans avertir au préalable les agents pour éviter toute acte de corruption passive.
[1] Julien Briot-Hadar est le fondateur de BH Compliance Consulting, un cabinet de conseil spécialisé dans les questions liées à la fraude fiscale mais aussi à la lutte contre le blanchiment d’argent. Depuis 2021, il conseille et forme, à ce titre, les gouvernements, les institutions financières et les écoles de commerce à la lutte contre la criminalité financière.