Le tout dernier livre de Carlos Lopes, économiste de renom, sonne comme une douloureuse piqûre de rappel. « Le piège de l’auto-illusion, Explorer les dimensions économiques de la dépendance à la charité dans les relations Afrique-Europe », titre le professeur qui, au milieu des années 2010 alors qu’il était secrétaire général de la Commission économique africaine (CEA), a participé à imposer dans l’agenda 2063 de la Commission de l’Union Africaine, le débat souvent minoré de l’intégration et de l’industrialisation de l’Afrique.
Le livre traite des rapports toujours déséquilibrés entre l’Union Européenne et son vassal, l’Union Africaine dans une approche apaisée car scientifique et factuelle. Un temps haut représentant de l’Union Africaine dans les négociations avec l’Union Européenne, Carlos s’est très vite heurté à une sorte d’agressivité passive de la part des négociateurs du vieux continent. Normal, préconisant une approche unifiée en lieux et place des accords ACP avec l’Europe, un exemple de balkanisation du continent (l’Afrique du Nord ne fait pas partie de ce cadre qui, par ailleurs, ne pourrait pas cohabiter avec la ZLECA), le bissau-guinéen finira par jeter l’éponge. Ce livre présente un point de vue document et propose des solutions pour permettre à l’Afrique de sortir de cette dépendance séculaire.
L’approche d’une négociation de continent à continent et non de continent à blocs régionaux proposée par Carlos Lopes lui a valu une vive opposition en interne. Ses prises de positions lors de ces négociations sont scientifiquement documentées, avec des chiffre et des statistiques réunis avec soin et parvenant chaque fois à la conclusion que le traitement différencié de l’Afrique par ses « généreux » interlocuteurs la maintient dans une fragmentation pernicieuse et une dépendance économique aux conséquences sociales explosives. Le « gâteau à plusieurs couches » de l’UA représentait une vulnérabilité tout au long du processus, ouvrant la voie à des intérêts concurrents que les acteurs européens habiles exploiteraient avec finesse”, écrit l’auteur. « Dans ce cadre complexe, le rôle du Haut Représentant de l’UA est devenu une danse délicate, nécessitant un équilibre subtil entre les divers points de vue tout en repoussant les tentatives de l’UE d’exploiter les discordes internes ».
Le haut représentant de l’Union Africaine dans les négociations parviendra à mettre en place une « stratégie africaine pour l’Europe » en réponse au document intitulé « Une stratégie européenne pour l’Afrique ». Jusque-là, ce cadre unifié n’existait pas. Et pour ne rien arranger aux choses, l’Afrique du Sud préférera faire bande à part. Idem pour l’Afrique du Nord, qui optera pour négocier individuellement, des accords préférentiels avec l’UE.
« Ce livre est né de mes observations de ces processus et cherche à souligner l’importance cruciale d’une diplomatie proactive, d’une stratégie cohérente et d’une résistance vigilante contre les manipulations passives-agressives », écrit Carlos Lopes, qui finira par jeter l’éponge de son poste de Haut représentant, ayant compris qu’il n’était pas dans le camp de la majorité au sein d’une élite africaine qui n’a pas encore intégré le principe usité selon lequel » l’Union fait la force ». Un livre à lire.