L’économiste sénégalais Demba Moussa Dembelé livre dans cette tribune un regard dépassionné sur les relations entre la Chine et l’Afrique. En plein sommet entre l’Empire du Milieu et la Terre de Lucie, cette analyse approuve la posture de non ingérence et du respect de la souveraineté que Pékin a toujours mis en avant dans ses rapports avec le reste du monde.
Le 9e Forum de coopération Afrique-Chine (FOCAC), prévu du 4 au 6 septembre 2024 à Beijing, se passe dans un contexte mondial en plein bouleversement. La coopération entre la Chine et les pays africains est devenue un modèle, non seulement entre pays du Sud mais également au niveau international.
Le modèle de coopération chinois
En effet, ce modèle de coopération est basé sur la non-ingérence, le respect et soutien mutuels et la coopération mutuellement avantageuse. S’appuyant sur les principes de la coexistence pacifique, que la Chine elle-même et l’Inde avait proposés il 70 ans, la diplomatie chinoise est caractérisée par la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays, quel que soit son poids économique ou son système politique. C’est pourquoi, la Chine a toujours appelé au respect de l’indépendance et de la souveraineté de chaque pays. Le second pilier de la coopération chinoise est la promotion de la solidarité Sud-Sud. Ce qui signifie des relations horizontales caractérisées par l’entraide et le respect de la souveraineté des partenaires. C’est pourquoi la Chine considère comme un devoir de faire bénéficier son expérience de développement aux pays du Sud Global, notamment aux pays africains.
C’est sur la base de ces principes qu’il faut comprendre le rôle du Forum de coopération Afrique-Chine (FOCAC), lancée en 2000, ainsi que l’Initiative « la Ceinture et la Route », lancée en 2013. Le FOCAC est organisé tous les trois ans, alternativement en Chine et en Afrique. Il est doté de plusieurs instruments financiers et techniques destinés à soutenir divers projets de développement en Afrique pour le bénéfice mutuel des pays africains et de la Chine.
Le lancement en 2013 de l’Initiative la Ceinture et la Route, ou « nouvelles routes de la soie », a donné une nouvelle impulsion à la coopération sino-africaine.
L’Initiative la Ceinture et la Route
Lancée par l’actuel président chinois Xi Jinping, à ce jour, elle compte plus de 150 pays et entités internationales. Selon le gouvernement chinois, 52 pays africains et plusieurs organisations africainesont signé des accords de coopération dans le cadre de l’Initiative. Incontestablement, elle a contribué à stimuler les investissements et les échanges entre la Chine et l’Afrique. Depuis 2009, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique. En 2023, le volume des échanges a dépassé 280 milliards de dollars. Pour les sept premiers mois de 2024, de janvier à juillet, les échanges se sont hissés à 167 milliards de dollars. Si ce rythme est maintenu, les échanges entre l’Afrique et la Chine pourraient dépasser les 300 milliards de dollars cette année.
Les investissements chinois sont palpables dans tous les domaines, comme la construction de routes, d’autoroutes, de chemins de fer, de ponts, d’aéroports, de ports, de barrages, d’hôpitaux et d’autres infrastructures de base
Les autres initiatives
En dehors l’Initiative la Ceinture et la Route, la Chine a lancé trois autres initiatives d’envergure mondiale au cours de ces dernières années. Ce sont l’Initiative pour le développement mondial (IDM) ; l’Initiative pour la sécurité mondiale (ISM) et l’Initiative pour la civilisation mondiale (ICM). Toutes ces Initiatives a visent à favoriser un monde de paix, de sécurité, de coopération et de respect mutuel, qui sont nécessaires pour créer les conditions d’un développement inclusif et durable. Ces Initiatives sont à l’opposé de la conception occidentale des relations internationales considérées comme « un jeu à somme nulle ». C’est pourquoi les initiatives chinoises attirent de plus en plus de monde, notamment au niveau du Sud Global
Les accords de swap de devises
L’un des aspects le moins connu de la coopération sino-africaine est constitué des accords de swaps de devises entre banques centrales. Ces accords sont destinés à stimuler les échanges économiques par l’utilisation des monnaies nationales, en se passant de devises étrangères, notamment du dollar et de l’euro. Ces accords passés avec plusieurs pays africains et non des moindres, comme l’Afrique du Sud, l’Angola, l’Algérie, l’Egypte, le Kenya, le Maroc, le Nigeria, l’Ethiopie, l’Ile Maurice, le Zimbabwe, etc. ont contribué à l’essor des échanges commerciaux entre ces pays et la Chine. Ces accords de swaps de devises contribuent également au mouvement de dédollarisation, c’est-à-dire à la baisse de l’utilisation du dollar dans les échanges internationaux, observé dans le monde.
Déconstruire le narratif occidental
Les initiatives chinoises et la montée fulgurante des relations entre l’Afrique et la Chine suscitent, comme on pouvait s’y attende, une grande inquiétude de la part des pays occidentaux. Leurs gouvernements et leurs médias ont entrepris depuis plusieurs années une campagne médiatique sans précédent contre la Chine dans le but d’enrayer ses relations avec le continent et même de freiner son développement. Cela est surtout évident de la part des Etats-Unis et de certains de leurs vassaux. Ainsi, des tas de livres, des études par des instituts de recherche et des milliers d’articles de presse ont-ils été produits à travers le monde dans le but de présenter les relations sino-africaines sous un angle peu favorable.
Selon le narratif occidental, la Chine viendrait pour« coloniser l’Afrique ». Curieusement, la « colonisation » ne concernerait que l’Afrique, mais pas l’Amérique latine ou l’Asie, régions dans lesquelles la présence de la Chine est beaucoup plus importante par rapport à l’Afrique! Avec un tel narratif, les Occidents veulent prendre les Africains pour des demeurés, en leur faisant « oublier » que les puissances impérialistes européennes du 19e siècle s’étaient liguées pour se « partager » l’Afrique, lors de la tristement célèbre Conférence de Berlin de 1884-1885. Dès lors, comment imaginer un seul pays –si grand soit-il- être en mesure de coloniser tout un continent, plus large que la Chine, toute l’Europe et les Etats-Unis réunis ?
Il est vrai que dans la mentalité impérialiste occidentale, le seul type de relation envisageable avec l’Afrique c’est la domination et l’exploitation. Il est dès lors très difficile, voire impossible, d’imaginer l’Afrique nouer des relations basées sur l’égalité, le respect mutuel et l’avantage réciproque.
La fable du « piège de la dette »
Un autre aspect du narratif occidental est la fable du « piège de la dette » dans lequel tomberaient les pays africains qui participent à l’Initiative la Ceinture et la Route. En effet, des tas de mensonges ont été inventés à propos de ce « piège » en donnant des chiffres farfelus et très loin de la réalité, pour essayer d’attribuer à la Chine la responsabilité dans le surendettement du continent. C’est ainsi que certains médias occidentaux, français notamment, avaient avancé que la Chinedétenait 40% de la dette extérieure de l’Afrique ! En réalité, une étude publiée par des chercheurs de l’Université d’Oxford (Grande Bretagne) a démontré que la Chine ne détient qu’environ 12% de la dette africaine !
Par contre, les créanciers privés occidentaux en détiennent 35%. En outre, la même étude a montré que les taux d’intérêt moyens des prêts chinois –publics et privés- étaient d’environ 2,5% tandis que les taux d’intérêt moyens sur les prêts occidentaux étaient supérieurs à 5%. Ces chiffres sont confirmés par le président de la Banque africaine de développement (BAD) qui indique que la dette privée de l’Afrique est passée de 17 % dans les années 2000 à 40 %aujourd’hui. Cela veut dire que les taux d’intérêt sont plus élevés et les délais de remboursement plus courts. Comme on le voit, c’est bien le niveau de plus en plus élevé de la dette privée qui est à la base des risques de surendettement de l’Afrique, pas la Chine.
Par ailleurs, il faut noter que les conditions associées aux prêts chinois sont très différentes de celles associées aux prêts occidentaux. Avec la Chine, la majeure partie des prêts sont à long-terme, avec des périodes de grâce, avec de faibles taux d’intérêt et des possibilités de rééchelonnement ou même d’annulation. C’est le cas notamment pour les créances dues par plusieurs pays africains classés comme « pays les moins avancés » ou PMA, comme le Sénégal.
Selon l’ONG britannique « Debt Justice », dans le cadre de l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) par les pays du G20 pendant la Covid-19, sur les 10,3 milliards de dollars suspendus par les créanciers bilatéraux, la Chine a contribué à hauteur de 5,9 milliards, soit plus de 57% du total, suivie de loin par la France (900 millions), de l’Arabie Saoudite et du Japon (500 millions chacun). La plupart des pays occidentaux n’ont pas participé à l’Initiative. Quant aux banques commerciales occidentales, leur contribution était de 0,2% !
Tous ces chiffres mettent à nu les mensonges éhontés des médias occidentaux sur le « piège » imaginaire de la dette que la Chine tendrait aux pays africains.
Nouer des relations stratégiques
En dépit de l’importance des liens économiques entre l’Afrique et la Chine, celle-ci cherche plutôt à nouer des relations politiques basées sur une stratégie de longue durée.C’est pourquoi les relations de la Chine avec la plupart des pays africains ont été élevées au rang de partenariat stratégique. La quasi-totalité des pays africains, y compris le Sénégal, jouissent de ce statut
Depuis plusieurs années, le ministre chinois des Affaires étrangères consacre sa première visite à l’étranger au continent africain, au début de chaque année.
Au Conseil de sécurité de l’ONU, la Chine soutient les demandes de l’Afrique pour l’obtention d’un ou deux sièges permanents. Elle défend les pays africains contre les menaces de sanctions de la part des pays occidentaux et contre la politisation des « droits de l’homme » que ces pays cherchent à utiliser contre les pays africains. Il faut ajouter que parmi les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, la Chine est le plus grand fournisseur de contingents aux Casques bleus de l’ONU sur les théâtres d’opération africains.
La Chine contribue également à la lutte contre le terrorisme en Afrique, de la Corne de l’Afrique (Somalie et Ethiopie) au Sahel en passant par l’Afrique centrale (Centrafrique et RDC). Elle fournit une assistance à l’Union africaine et aux pays concernés par la formation et la fourniture d’armes
Dans sa lutte pour l’instauration du multilatéralisme, la Chine peut compter sur le soutien des pays africains, car cette lutte est dans leur intérêt. Cela se voit au sein de plusieurs instances internationales où la Chine et les pays africains adoptent les mêmes positions au grand dam des pays occidentaux qui cherchent à maintenir « l’ordre fondé sur les règles », c’est-à-dire leur hégémonie sur le reste du monde.
Conclusion
Incontestablement, le modèle de coopération instauré par la Chine a permis à l’Afrique de mieux se faire respecter par les « partenaires » traditionnels, tels que les pays européens et les Etats-Unis. Ainsi, dans un monde en pleine mutation, l’Afrique a-t-elle intérêt à renforcer ses relations stratégiques avec la Chine, un des piliers des BRICS +, qui sont devenus la force motrice de l’économie mondiale. C’est cette option qui permettrait à l’Afrique de renforcer son indépendance et de préserver sa souveraineté.