Par Abderrahmane MEBTOUL, professeur des universités, expert international, docteur d’Etat.
1.-Le Conseil constitutionnel, le 14 septembre 2024, vient de donner les résultats définitifs de l’élection présidentielle du 7 septembre 2024. Avec 11 226 000 voix exprimées sur un corps électoral de 24 351 551, le taux de participation est de 46,1 %. M. Abdelmadjid Tebboune a obtenu 7 976 291 voix exprimées, soit un taux de 84,3 %, Hassani Cherif du MSP, 940 642 voix, soit 9,5 %, et Youcef Aouchiche du FFS, 580 495 voix, soit un taux de 6,14 %.
Selon le Conseil constitutionnel, sans comptabiliser les non-inscrits, nous avons 9 447 428 voix qui se sont exprimées pour les candidats sur un total de 11 226 000 voix exprimées, ce qui donne un nombre de bulletins nuls de 1 728 582 voix, soit 7,11 % du corps électoral. Pour chaque candidat, par rapport aux inscrits, le taux d’Abdelmadjid Tebboune est de 32,75 %, celui du MSP de 3,86 %, et celui du FFS de 2,38 %.
L’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) avait donné un taux cumulé pour les trois candidats le soir du 7 septembre 2024, avec 5,630 millions de votes enregistrés : 5,320 millions pour le candidat Abdelmadjid Tebboune, soit 94,65 % des suffrages exprimés, contre 3,17 % pour le MSP et 2,16 % pour le FFS, avec un taux total pour ces trois candidats de 23,46 %, sans inclure les bulletins nuls, qui doivent être inclus pour obtenir le taux de participation.
En référence aux résultats de l’ANIE, si on inclut les bulletins nuls de 1 728 582 voix, nous aurons un total de 7 358 582 voix exprimées, soit 30,81 %. Par rapport aux résultats du Conseil constitutionnel, qui a donné 46,10 %, cela représente une différence de 15,29 %, soit un nombre de voix par rapport aux inscrits de 3 723 344 voix ajoutées par le Conseil constitutionnel, et non près de 6 millions comme cela circule sur certains sites et médias. Une explication s’impose, tant pour l’opinion nationale qu’internationale.
2.- Malgré cette importante correction, le taux de participation, inférieur à 50 %, sans compter les non-inscrits en âge de voter qui dépassent les 2,5 millions, reste relativement faible. Cela démontre une méfiance vis-à-vis de la politique, un phénomène qui n’est pas propre à l’Algérie. Les anciennes méthodes de mobilisation ne fonctionnent plus aussi bien dans un monde saturé de médias et d’influence des réseaux sociaux, ce qui entraîne une démobilisation des citoyens, comme on le constate dans la majorité des pays.
De plus, les partis politiques, certains segments de la société civile, et les personnalités dites « nationales » qui ont soutenu M. Abdelmadjid Tebboune ont eu un impact limité. Leur présence s’est manifestée de manière formelle et ostentatoire lors des élections, comblant un vide mais restant souvent impuissants à influencer le cours des événements et à formuler clairement les préoccupations et aspirations de la société réelle. Ils ne sont donc pas perçus comme redevables à celle-ci, ce qui offre à M. Tebboune une marge de manœuvre pour la formation d’un gouvernement de redressement national.
Ce sont là des raisons suffisamment importantes pour envisager sérieusement de réorganiser ces partis afin qu’ils puissent remplir leur rôle dans tout système politique démocratique. Il convient de laisser le marché, et non l’administration par la création artificielle, mesurer leur poids réel au sein de la société, en fonction du nombre de leurs adhérents réels.
3.-Comme je l’ai démontré dans mes nombreuses contributions, le passage de l’État de « soutien » à l’État de justice, qui renvoie à la refondation du système politique, est, de mon point de vue, un pari politique majeur. Il implique tout simplement un nouveau contrat social et un nouveau contrat politique entre la nation et l’État. L’Algérie ne pourra revenir à elle-même que si les faux privilèges sont bannis et que les critères de compétence, de loyauté et d’innovation sont instaurés comme passerelles vers la réussite et la promotion sociale, grâce à une nouvelle gouvernance, une transparence totale, une clarté sans nuance dans la pratique politique, et donc une moralité sans faille de ceux qui dirigent la Cité.
(Interviews et contributions du Pr Abderrahmane Mebtoul à la télévision internationale Al Jazeera en anglais, dans Financial Afrik, Mond/Afrique Paris/Dakar, Repubblica Italie, El Pais Espagne, Institut financier de la City à Londres, Maghreb Voices USA, avec reproduction synthétique sur RT Russie.)
La restructuration du système partisan et de la société civile, en adéquation avec les aspirations de la population algérienne, ainsi que l’accélération des réformes, seront déterminantes pour l’avenir de l’Algérie entre 2025 et 2030. J’ai tracé les axes directeurs de ces réformes dans le programme de l’Association Nationale de Développement de l’Économie de Marché (ADEM), dont j’ai eu l’honneur d’être le président de 1992 à 2016, et repris dans plusieurs contributions et conférences nationales et internationales depuis plus de 30 ans. Mais avons-nous été écoutés ?
(Pr A. Mebtoul sur les réformes politiques et économiques – plusieurs conférences devant le Parlement européen, à l’Université de Clemson en Caroline du Sud (USA), au siège de l’UNESCO, devant les ambassadeurs accrédités à Alger, au siège du ministère des Affaires étrangères d’Algérie, à l’Académie Interarmes de Cherchell, à l’École Supérieure de Guerre, à l’Institut militaire IMPED-MDN, devant les cadres de la DGSN et de l’État-Major de la Gendarmerie nationale, aux universités de Annaba, Constantine, Tizi Ouzou, Béjaïa, Sidi Bel Abbès, Tlemcen, Oran, et à l’École Nationale d’Administration d’Alger – ENA.)
Voir l’ouvrage collectif toujours d’une brûlante actualité sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul : « Les enjeux de l’Algérie : réformes et démocratie », 2 volumes, Casbah Édition, Alger, 2005 (520 pages) – « Le Maghreb face aux enjeux géostratégiques », Harmattan, Paris, 2017/2018.
En conclusion, il existe un lien dialectique entre sécurité et développement. Il est essentiel de privilégier uniquement les intérêts supérieurs du pays et d’adopter un langage de vérité pour éviter les erreurs du passé. Malgré le faible taux de participation, ce qui est reconnu par tous les observateurs internationaux et nationaux, et compte tenu des tensions géostratégiques aux frontières ainsi que des tensions budgétaires internes, l’Algérie reste un facteur déterminant de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine. Les résultats du Conseil constitutionnel n’ayant pas fondamentalement modifié la tendance, le pays dispose désormais d’un président élu reconnu par la majorité de la communauté internationale.
Maintenant, les défis de l’Algérie pour 2025-2030 sont de s’atteler au redressement national en approfondissant les réformes politiques, notamment pour comprendre les raisons de ce fort taux d’abstention, qu’elles soient liées à la sécurité nationale, aux institutions, à l’économie, aux questions sociales, ou à d’autres facteurs solidaires. Sans une mobilisation générale, étant donné les tensions géostratégiques aux frontières et les réformes structurelles souvent différées qui seront douloureuses, il ne faut pas s’attendre à un développement durable. Ce développement reste trop souvent ballotté par les fluctuations des prix des hydrocarbures, des prix qui dépendent fondamentalement de facteurs exogènes échappant à toute décision interne.