Par Pr Amath NDiaye FASEG-UCAD.
En sciences économiques, la loi des rendements décroissants constitue un paradigme incontournable pour comprendre les théories économique de la production. Les grandes théories classique et néoclassique de la croissance économique en font une hypothèse de base tandis que les nouvelles théories de la croissance la critique et pose de nouvelles hypothèses.
Les théories de la croissance exogène décrivent le processus de croissance économique d’un pays ou d’une région comme le résultat de facteurs externes plutôt que de facteurs internes. Elles considèrent que la croissance économique est principalement influencée par des facteurs tels que le progrès technique, les investissements étrangers, les transferts de compétences et de connaissances et les avantages comparatifs du commerce international.
La Loi des rendements décroissants
La loi peut s’énoncer le plus simplement de la manière suivante : lorsqu’on augmente la quantité utilisée d’un facteur de production, au-delà d’un certain niveau, la production augmente de moins en moins.
Prenons l’exemple d’un champ de 10 hectares de pommes de terre avec 2 tracteurs, avec un nombre variable de travailleurs (facteur travail). Voir tableau 1 ci-dessous. Une augmentation du nombre de travailleurs permet d’augmenter la récolte (production) de pommes de terre de manière absolue. Mais cette augmentation décroît après l’ajout du deuxième travailleur, car chaque travailleur supplémentaire doit récolter les pommes de terre sans tracteur, ce qui est plus difficile.
Comme on le voit, la production augmente plus que proportionnellement à l’augmentation du nombre de travailleurs dans un premier temps. Mais à partir de l’ajout du 3 ème travailleur, elle augmente moins que proportionnellement et atteint son maximum qui est de 155.
Tableau 1
Nombre de travailleurs | Unité(s) de capital | Production en tonnes | Production marginale | Production moyenne (par travailleur) |
1 | 2 | 50 | 50 | 50 |
2 | 2 | 110 | 60 | 55 |
3 | 2 | 135 | 25 | 45 |
4 | 2 | 150 | 15 | 37,5 |
5 | 2 | 155 | 5 | 31 |
6 | 2 | 155 | 0 | 25,83 |
Comme l’indique le graphe 1 ci-dessous, lorsqu’on arrive à 5 travailleurs, la production est à son maximum mais les rendements ont commencé à diminuer depuis l’arrivée du 3 ème travailleur car ce dernier va travailler sans tracteur.
Graphique 1
La production marginale ou productivité marginale du travail est égale à la production du dernier travailleur. La production moyenne par travailleur est égale à la production totale divisée par le nombre de travailleurs. Si on analyse l’arrivée du 3 ème travailleur, on voit que la production totale passe de 110 à 135, sa production marginale est de 25 et la production moyenne est de 45.
Les rendements décroissants sont illustrés dans le graphique 2 ci-dessous : la production marginale et la production moyenne par travailleur commencent à baisser à partir du 3 ème travailleur.
Graphique 2
Nota Bene : Pour maximiser la production, on est obligé de produire dans la zone des rendements décroissants. Ici, on s’arrêtera à 5 travailleurs car le 6 ème a un rendement nul. Ajouter un 7 ème ferait baisser la production !
La croissance chez les classiques : l’état stationnaire
Les économistes classiques sont les fondateurs de l’économie politique moderne. Adam Smith (1776) et David Ricardo (1819) présentent tous deux la croissance économique comme résultant de l’accumulation du capital, c’est-à-dire de la quantité des instruments (« moyens de production produits », selon Smith) à la disposition des travailleurs. L’augmentation de la richesse par tête provient de celle du capital par tête. Cependant, les classiques partagent une vision plutôt pessimiste du long terme : à cause des rendements décroissants, la croissance est destinée à disparaître progressivement, à s’annuler dans un « état stationnaire ».
Économiste anglais, David Ricardo publie en 1817 « Principes de l’économie politique et de l’impôt » et est considéré comme l’un des économistes classiques les plus importants.
Qualifié de « libéral pessimiste », il pense alors que la population ne cesse de croître tandis que les rendements de la terre sont décroissants ; c’est-à-dire que chaque nouvelle terre mise en culture pour faire face aux besoins d’une population croissante est moins fertile que les terres précédemment cultivées. Il arrive un moment où la terre ne rapportera plus suffisamment pour faire face au développement démographique. On atteint alors ce qu’il appelle « l’état stationnaire ».
Ainsi, à cause des rendements décroissants dans l’agriculture, le coût de production du blé augmente. Ce qui entraine une augmentation du prix du blé et des salaires. En effet, à l’époque de Ricardo, le blé était le principal bien-salaire ou la principale composante du panier de la ménagère. Dès lors, l’augmentation des salaires va à son tour entrainer une baisse des profits. Donc au fur et à mesure de la mise en culture de nouvelles terres moins fertiles, on arrive à un point où le taux de profit moyen de l’économie devient nul. S’il n’y a plus de profit, il n’y a plus d’investissement donc plus de croissance. L’économie entre alors dans un « état stationnaire ».
En 1817, David Ricardo fournit une argumentation solide contre les lois interdisant l’importation du blé en Angleterre. Il était, peut-on dire dans la conception dominante de notre époque, contre la souveraineté alimentaire de l’Angleterre. Ne pas importer du blé moins cher constituait un facteur de cherté de la main d’œuvre donc un frein à l’industrialisation. Pour Ricardo, l’Angleterre avait donc intérêt à se spécialiser dans le textile, où il a un avantage comparatif, plutôt que de continuer à consacrer des facteurs de production à l’agriculture.
A long terme, ce mécanisme des rendements décroissants, selon Ricardo, doit être contre balancé par le progrès technique et les avantages du commerce extérieur. Pour toute société, l’enjeu est de gérer cet arbitrage entre progrès technique et avantages comparatifs d’une part et rendements décroissants d’autre part.
La croissance chez les néoclassiques : le modèle de R. Solow
Dans le modèle de Solow, l’augmentation des facteurs de production (travail et capital) explique une part de la croissance. C’est donc parce qu’il y a une augmentation de la population (facteur travail) et des investissements (facteur capital), qu’il y a de la croissance de la production.
Cependant, le rendement des facteurs étant décroissant, toute économie atteint à un moment du temps un point où toute augmentation des facteurs de production n’engendrera plus d’augmentation de la production par tête. Ce point correspond à l’état stationnaire où chaque économie est censée converger à terme. Une fois, l’Etat stationnaire atteint, le produit par tête n’augmente plus sauf si le progrès technique survient et permet d’augmenter la productivité globale des facteurs travail et capital.
Dans son article publié en 1958, A contribution to the Theory of Economic Growth, R. Solow démontre que la plus grande partie de la croissance provient en réalité du progrès technique. Mais la faille majeure du modèle de Solow est le caractère inexpliqué du progrès technique. Il ne l’explique pas et le considère comme donné (telle une « manne tombée du ciel »).
Joseph Schumpeter (1883 – 1950)
Schumpeter explique que l’économie est gouvernée par un phénomène particulier : la « destruction créatrice ». C’est « la donnée fondamentale du capitalisme et toute entreprise doit, bon gré mal gré, s’y adapter ». La croissance est un processus permanent de création, de destruction et de restructuration des activités économiques. En effet, « le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à le nuire ». Ce processus de destruction créatrice est à l’origine des fluctuations économiques sous forme de cycles.
L’innovation est donc au cœur du processus de croissance. Schumpeter distingue cinq types d’innovations : les produits nouveaux, les procédés, les marchés (débouchés), les sources de matières premières nouvelles et les changements dans l’organisation des firmes. Le résultat (qui est aussi l’objectif) de l’entreprise qui innove est d’échapper à la concurrence. L’innovateur se trouve en situation de monopole sur le marché qu’il a inventé. Il peut ainsi fixer un prix de vente supérieur à son coût marginal (qui serait le prix en situation de concurrence parfaite), et prélever par ce moyen une rente sur ses clients. Cette rente sera seulement provisoire : l’innovateur fait ensuite l’objet d’imitation. Des concurrents s’introduisent dans la voie qu’il a tracée, offrant des biens similaires, l’obligeant à réduire son prix ou à innover encore pour à nouveau se différencier. La course à la rente est donc le moteur du progrès économique.
En conclusion, ces modèles de croissance exogène mettent en exergue l’importance de la technologie, de l’innovation et des échanges avec l’extérieur pour contrebalancer les rendements décroissants et créer une dynamique de croissance auto-entretenue.
A propos de Pr Amath Ndiaye
Prof. Amath Ndiaye est un éminent économiste sénégalais, titulaire d’un Doctorat d’État en Sciences Économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (2001) et d’un Doctorat de 3e cycle en Économie du Développement de l’Université de Grenoble, France (1987). Depuis 1987, il enseigne à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Expert reconnu, il a collaboré avec des institutions prestigieuses telles que la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, et le FMI, se spécialisant notamment dans les domaines des taux de change, de la croissance économique, et du développement institutionnel. Il était expert-membre du comité de pilotage de la Commission de l’Union Africaine pour la Création de la Banque Centrale Africaine.. Prof. Ndiaye est l’auteur de nombreuses publications influentes, notamment sur les régimes de change et la croissance économique en Afrique de l’Ouest. Trilingue, il maîtrise le wolof, le français et l’anglais.