« Le déficit de financement des PME en Afrique subsaharienne est estimé à plus de 300 milliards de dollars »
En prélude de l’Africa SME Forum qui aura lieu les 9 et 10 octobre 2024 à Abidjan, nous avons rencontré Didier Acouetey. « Le déficit de financement des PME en Afrique subsaharienne est estimé à plus de 300 milliards de dollars », estime-t-il en proposant des solutions concrètes. À dix jours de cette rencontre unique dans son genre, en voici les perspectives.
Pour cette édition 2024, quelles nouveautés ou dimensions supplémentaires apporterez-vous par rapport aux éditions précédentes afin de soutenir encore plus efficacement les PME africaines ?
Le AFRICA SME CHAMPIONS FORUM, comme vous le savez, est l’événement international de référence dédié à la promotion et à la croissance des PME africaines. Le forum réunit depuis bientôt dix ans les acteurs clés de l’écosystème des PME, notamment des dirigeants d’entreprises, des institutions financières, des décideurs politiques et des experts internationaux. Ce forum vise à encourager les réformes publiques permettant de favoriser le développement des PME et la création d’emplois, de faciliter l’accès au financement et aux marchés.
Cette édition 2024 du Africa SME Champions Forum marque un tournant important. Nous introduisons une innovation majeure car nous réunirons une sélection des meilleures PME africaines pour faciliter les rapprochements entre ellesafin qu’elles deviennent des géants industriels pour réussir à mobiliser plus facilement des financements et à jouer un rôle stratégique dans leur secteur.
Le forum fournit ainsi une plateforme unique grâce à nos partenaires comme la Banque Arabe pour le Développement Economique en Afrique (BADEA), la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) et d’autres institutions de référence qui nous accompagnent depuis plusieurs années comme Afreximbank, la BRVM, la SFI etc.
Il est utile de rappeler que les partenariats stratégiques, les joint-ventures et les alliances industrielles sont des leviers puissants pour transformer une entreprise en géant industriel. Ces collaborations permettent aux entreprises de mutualiser les ressources, de partager les risques et d’accéder à de nouveaux marchés plus rapidement.
Le financement des PME : Selon vous, quel est le principal obstacle qui empêche 90% des PME africaines de franchir le cap des 5 ans ? Est-ce un problème lié à la gestion interne des PME ou un manque de soutien de la part des banques, des fonds d’investissement, des fonds de garantie ?
Le principal obstacle à la survie des PME en Afrique est multifactoriel et repose à la fois sur des faiblesses de gestion interne et un manque de soutien financier.
Le déficit de financement des PME en Afrique subsaharienne est estimé à plus de 300 milliards de dollars, ce qui menace leur capacité à se développer, à embaucher et à améliorer leurs opérations.
Comme l’a démontré une étude de la Banque mondiale, environ 80% des PME africaines n’ont pas accès au financement bancaire.
Sur le plan interne, de nombreuses PME rencontrent des difficultés de gestion, notamment en ce qui concerne la gestion financière, les ressources humaines et la planification stratégique. Dans plusieurs pays africains, il y a par ailleurs un déficit de compétences techniques et peu d’accès aux services de conseil qui permettraient d’aider les entrepreneurs à structurer leur entreprise pour la croissance.
Une partie du problème vient également du fait que lesbanques commerciales en Afrique sont souvent réticentes à prêter aux PME en raison de la perception de risque élevé, de l’absence de garanties suffisantes, et d’un manque d’historique financier clair. Les banques préfèrent financer des projets plus sûrs, comme ceux des grandes entreprises ou des gouvernements, souvent en raison de l’environnement économique volatil dans certaines régions.
Les banques demandent également souvent des garanties physiques (terrains, bâtiments, etc.) ou des actifs que la plupart des PME ne possèdent pas. De plus, même lorsque les PME disposent de certains actifs, la formalisation de la propriété (titres fonciers, documents de propriété) peut poser problème dans certains pays africains où les systèmes de titularisation foncière ne sont pas toujours bien développés.
En Asie, par exemple, des pays comme l’Inde ont résolu ce problème en créant des fonds de garantie de crédit dédiés aux PME. Le Credit Guarantee Fund Trust for Micro and Small Enterprises (CGTMSE) permet aux banques indiennes d’accorder des prêts sans nécessiter de garanties physiques, en s’appuyant sur ces mécanismes pour réduire leur risque. En Afrique, des initiatives comme African Guarantee Fund, le FAGACE, le FSA offrent des solutions similaires, mais à une échelle encore limitée.
Le manque de données financières fiables est un autre grand sujet selon les banques.
De nombreuses PME évoluent dans le secteur informel et n’ont pas de bilans financiers formels ou d’historiques de crédit, ce qui rend difficile leur évaluation par les banques. Cette absence de transparence financière fait que les banques ne peuvent pas évaluer précisément la capacité de remboursement des PME. Cela contraste avec les grandes entreprises, qui ont des bilans audités et des rapports financiers plus clairs.
Dans des pays comme Singapour, le gouvernement a mis en place le Singapore Credit Bureau, un système qui centralise les données financières des entreprises, y compris les PME, afin que les banques puissent mieux évaluer le risque. En Afrique, des systèmes similaires sont en cours de développement comme ce que fait la BCEAO en Afrique de l’ouest, mais à des niveaux beaucoup plus fragmentés. Le recours à des solutions technologiques, comme les fintechs qui analysent les données mobiles et les transactions électroniques (ex : M-KOPA au Kenya), pourrait offrir des alternatives viables pour évaluer les PME sans nécessiter des états financiers traditionnels.
Par ailleurs, les banques en Afrique considèrent souvent que les coûts associés à l’octroi de prêts aux PME sont trop élevés par rapport aux gains potentiels. Gérer des centaines de petites demandes de prêts nécessite des ressources humaines et technologiques supplémentaires, ce qui peut entraîner une hausse des coûts opérationnels pour les banques. Les grandes entreprises, en revanche, représentent des projets plus sécurisés avec des marges bénéficiaires plus importantes, incitant ainsi les banques à privilégier ces clients.
.Un autre facteur important est la méconnaissance des spécificités des PME par les banques africaines. Contrairement aux grandes entreprises, les PME ont souvent besoin de financements flexibles, avec des périodes de remboursement ajustées en fonction des cycles de trésorerie, notamment dans des secteurs comme l’agriculture où les revenus peuvent être saisonniers. Cependant, la plupart des produits financiers disponibles sur le continent sont standardisés et ne sont pas adaptés aux besoins spécifiques des PME.
. Le manque de formation financière des dirigeants de PME qui ont souvent une méconnaissance des mécanismes financiers nécessaires pour structurer des demandes de crédit solides est également un problème récurrent.
Le financement des PME est certes un défi mondial, mais il prend des formes spécifiques selon les régions et des réponses ont ou être trouvées ailleurs.
En Asie, les pays comme la Chine et l’Inde ont mis en place des programmes gouvernementaux pour faciliter l’accès des PME aux financements à travers des banques de développement et des fonds publics. En Chine, par exemple, la Banque de développement de Chine joue un rôle crucial dans le financement des PME, notamment dans les secteurs stratégiques comme la technologie, la production, et les énergies renouvelables. L’exemple actuel des voitures électriques est une parfaite illustration. De plus, des plateformes de financement participatif et des fintechsémergent rapidement en Asie pour offrir des solutions alternatives de crédit aux PME, en utilisant des données non traditionnelles pour évaluer les risques.
Singapour offre un modèle intéressant de soutien aux PME. Le gouvernement singapourien a mis en place des initiatives telles que le SME Working Capital Loan et le Enterprise Financing Scheme, qui offrent des garanties gouvernementales pour les prêts commerciaux, réduisant ainsi le risque pour les prêteurs et facilitant l’accès au crédit pour les petites entreprises. De plus, le Singapore EconomicDevelopment Board soutient les PME à travers des subventions pour l’innovation et des programmes de mentorat pour améliorer leur compétitivité sur le marché international.
Aux États-Unis, le Small Business Administration (SBA)fournit des garanties pour les prêts aux PME par l’intermédiaire de banques partenaires. Ces garanties permettent aux PME d’accéder à des financements qu’elles n’auraient pas pu obtenir autrement, réduisant ainsi le risque pour les prêteurs. Et les entreprises sont très regardantes sur ces pratiques.
En Afrique, on voit émerger néanmoins des solutions. Le rôle des fintechs par exemple devient de plus en plus crucial dans le financement des PME. Des entreprises comme M-KOPA et Tala au Kenya utilisent des données mobiles et des algorithmes innovants pour évaluer la solvabilité des PME, contournant ainsi les canaux bancaires traditionnels. Ce modèle a permis à des milliers de PME d’accéder à des financements basés sur leur historique de transactions mobiles plutôt que sur des bilans financiers formels .
Les fonds de garantie qui se développent de plus en plus visent à atténuer le risque pour les banques, en couvrant une partie des pertes potentielles en cas de défaillance des PME.
On observe également les investisseurs en capital-risquequi investissent de plus en plus dans des startups et des PME en phase de croissance, notamment dans les secteurs de la technologie, de l’agriculture et de l’énergie.
Quelles solutions concrètes seront discutées lors de cette 9e édition du Africa SME Champions Forum pour améliorer l’accès des PME africaines au financement ?
Lors de cette édition, plusieurs solutions concrètes seront mises en avant pour améliorer l’accès au financement des PME africaines. Nous discuterons d’approches innovantes telles que les fintechs, qui utilisent des données alternativespour évaluer le crédit des PME. Ces fintechs permettent de contourner les contraintes traditionnelles des banques, notamment l’absence de garanties.
Nous discuterons des financements via le marché financier comme la bourse et les financements hybrides qui peuvent constituer également des mécanismes intéressants pour le financement des PME.
Les financements hybrides représentent une catégorie de mécanismes financiers qui combinent les caractéristiques des financements traditionnels, tels que la dette, avec des éléments de financement en capital. Ce type de financement peut offrir une grande flexibilité aux entreprises, particulièrement aux PME, qui ont souvent des besoins spécifiques et des difficultés à accéder aux financements bancaires traditionnels en raison des garanties exigées ou du manque de bilan financier solide.
Voici quelques exemples concrets de financements hybrides qui seront examinés :
La dette mezzanine est une forme de financement qui se situe entre la dette traditionnelle et le capital. Elle permet à une entreprise d’emprunter des fonds sans avoir à fournir autant de garanties qu’un prêt classique, mais avec des intérêts plus élevés. Le remboursement est souvent flexible, avec une partie pouvant être convertie en capital si certaines conditions ne sont pas respectées. Cette forme de financement est particulièrement utile pour les PME en forte croissance, car elle leur permet de conserver une plus grande autonomie sans diluer immédiatement leur capital.
Le Capital-Risque avec Revenu Variable
Dans ce modèle, les investisseurs fournissent un capital initial à la PME en échange d’un pourcentage des revenus futurs, plutôt qu’une prise de participation au capital. Cela permet aux entreprises d’éviter la dilution de leurs actions tout en accédant à des fonds, tout en offrant aux investisseurs un retour sur investissement lié à la performance de l’entreprise. Cette méthode est idéale pour les PME qui n’ont pas encore atteint un niveau de rentabilité stable mais qui ont un fort potentiel de croissance.
Les Obligations Convertibles
Les obligations convertibles sont des instruments de dette qui peuvent être transformés en actions après une certaine période ou sous certaines conditions. Cela permet à l’entreprise d’emprunter de l’argent tout en donnant à l’investisseur la possibilité de convertir la dette en capital si l’entreprise atteint ses objectifs de croissance. Pour les PME, cela signifie qu’elles peuvent accéder à des fonds sans diluer immédiatement leur capital, tout en offrant un potentiel attrayant pour les investisseurs.
Les Fonds Mixtes (Blended Finance)
Les fonds mixtes, ou blended finance, impliquent l’utilisation de fonds publics ou philanthropiques pour attirer des investissements privés en partageant les risques. Ces mécanismes permettent de financer des PME à fort impact social ou environnemental en réduisant les risques pour les investisseurs privés. Ils sont particulièrement pertinents pour les PME africaines qui évoluent dans des secteurs essentiels tels que l’agriculture, l’énergie propre et les services financiers.
Le Capital Développement avec Flexibilité de Remboursement
Ce modèle de financement hybride accorde aux PME des financements sous forme de capital développement avec des options de remboursement différé ou variable. L’idée est de permettre à l’entreprise de se concentrer sur sa croissance immédiate sans avoir la pression d’un remboursement rigide, tout en offrant aux investisseurs un rendement qui augmente à mesure que l’entreprise se développe.
Le Africa SME Champions Forum vise à sensibiliser les entrepreneurs africains à ces options et à leur permettre de les exploiter pour devenir des leaders dans leurs secteurs respectifs.
Quel rôle doivent jouer les gouvernements africains pour améliorer l’environnement financier et permettre aux PME d’accéder plus facilement aux financements et aux marchés ?
Pour améliorer l’environnement financier et permettre aux PME africaines d’accéder plus facilement aux financementset aux marchés, les gouvernements africains doivent jouer un rôle clé à plusieurs niveaux :
– Créer un Cadre Réglementaire Favorable
Les gouvernements doivent instaurer des réformes institutionnelles pour améliorer l’accès des PME aux financements. Cela inclut l’établissement de législations qui favorisent la transparence financière, la simplification des procédures fiscales. Un cadre plus favorable aiderait les banques à prêter plus facilement aux PME, en réduisant les risques perçus.
– Mettre en Place des Fonds de Garantie et desProgrammes de Soutien
Les gouvernements africains doivent déployer beaucoup plus de fonds de garantie pour couvrir une partie des risques pris par les institutions financières lorsqu’elles prêtent aux PME. Ces fonds peuvent compenser l’absence de garanties ou de bilans financiers solides, permettant ainsi aux PME d’accéder aux prêts.
– Favoriser les incitations Fiscales et le Soutien à l’Investissement Privé
Les gouvernements doivent offrir des incitations fiscales pour encourager l’investissement dans les PME, notamment à travers des réductions fiscales pour les investisseurs et les entreprises qui investissent dans le développement des petites et moyennes entreprises. Cela attirerait davantage de capital-risque et d’investisseurs privés vers les PME, tout en stimulant la croissance.
– Développer des Infrastructures Financières
Les gouvernements doivent favoriser le développement d’infrastructures financières qui facilitent les transactions des PME. Cela inclut la mise en place de bureaux de crédit, de systèmes de notation de crédit pour les PME, et de plateformes numériques pour améliorer la transparence et la confiance entre les PME et les prêteurs.
– Faciliter l’accès aux Marchés Internationaux et Intégration Régionale
Les gouvernements doivent promouvoir l’intégration régionale à travers des initiatives telles que la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAF), qui permet aux PME d’accéder à de plus grands marchés. En facilitant les échanges intra-africains, les PME peuvent non seulement accroître leurs ventes mais aussi améliorer leur compétitivité.
– Renforcer la Formation et Développement des Compétences
Les gouvernements doivent investir dans la formation des entrepreneurs et des gestionnaires de PME, en renforçant leurs capacités à structurer des projets financiers solides et en les aidant à mieux comprendre les mécanismes de financement. Une meilleure éducation financière et managériale permettrait aux PME de soumettre des dossiers plus attractifs pour les investisseurs et les banques.
– Soutenir l’Innovation et la Digitalisation
Les gouvernements doivent encourager l’innovation et l’adoption des technologies digitales par les PME en fournissant des subventions et des incitations à la digitalisation. Les entreprises qui adoptent les outils numériques, comme les fintechs, sont mieux positionnées pour attirer des financements et pénétrer de nouveaux marchés.