Par Alassane Ndiaye
Alassane Ndiaye est le fondateur de Rayon Investments (PTY) Ltd, un cabinet de conseil en investissement qu’il dirige à partir de Johannesburg, d’où il couvre principalement l’Afrique de l’Ouest, du Centre et Australe. Ancien cadre supérieur à IFC (Groupe Banque mondiale), il est diplômé de Northeastern University et Boston University, et également accrédité par l’Institut des Banquiers d’Afrique du Sud (IOBSA). Alassane Ndiaye est par ailleurs membre non-exécutif du Conseil d’Administration de Digitech Africa Ltd, un groupe insurtech en pleine expansion sur le continent. Cette chronique exprime le point de vue d’un dirigeant d’entreprise sur un sujet d’actualité qui tient de nombreux africains en haleine.
Aussi farfelu que cela puisse paraître, ou plutôt que les médias dits mainstream (médias grand public), bras armé du soft power de l’ordre mondial, s’évertuent à nous faire entendre, Donald J. Trump a tout pour remporter la course à la présidentielle américaine.
Il n’échappe à personne que nous vivons aujourd’hui dans une société de consommation version « pro-max » où la clé de tout succès se résume à la commercialisation de concepts, pour autant qu’ils soient simples, utiles et accessibles au grand public à moindre coût (low-cost) voire gratuit. C’est le cas notamment des services de commerce en ligne, des solutions de transfert d’argent qui prolifèrent de partout, du GPS avec Google Maps et toutes les applications qui en découlent (UBER et autres VTC, et livraisons de tous types), et littéralement tout ce qui ne peut échapper aux avancées de la technologie. La machine électorale aux États-Unis cette année ne sera pas en reste.
Ma lecture de l’actualité aux États-Unis, dans ce contexte de course à la Maison Blanche, est claire et sans ambiguïté : Donald Trump est « l’homme de la situation ». Il incarne un discours simple et compréhensible, certes d’un niveau intellectuel bien inférieur à celui des élites dirigeantes, tant américaines qu’ailleurs. En français facile : un discours passe-partout. Ce constat est peut-être difficile à admettre, en revanche il est manifeste que les débats idéologiques traditionnels sont inaudibles pour la jeunesse d’aujourd’hui. Malheureusement, cette génération ne se nourrit que de slogans et de clichés, préférant tout ce qui est court et facile à digérer, comme les contenus sur TikTok, plutôt que des discours version « intellos » qui les ennuient royalement.
L’équipe de Trump a parfaitement saisi que, de nos jours, une campagne se gagne à coups de messages simples mais percutants. Slogans, vidéos courtes et audios sont désormais des outils essentiels. En résumé, il s’agit de frapper fort et rapidement, peu importe la véracité ou l’exactitude des messages. Les méthodes traditionnelles, qui reposaient sur des débats approfondis et des discussions sur des programmes politiques, semblent aujourd’hui obsolètes. Pour un public dont la capacité de concentration s’amenuise considérablement, ces échanges s’apparentent plutôt à des exercices de rhétorique intellectuelle, véritables diarrhées verbales totalement incompréhensibles pour la cible visée. En un mot, les politiciens « vieille école » sont déphasés et déconnectés d’un monde qu’ils pensent pourtant comprendre.
En surface, tout semble simpliste. À l’image de TikTok, qui se présente comme un outil banal, voire anodin, cet espace cache en réalité une redoutable machine d’influence. Sous son apparence innocente, TikTok manipule et contrôle ses utilisateurs en formatant subtilement et continuellement leurs habitudes. Ce mastodonte technologique, valorisé à plus de 80 milliards de dollars, s’appuie sur une armée d’algorithmes alimentés par le « deep learning ». Ceux-ci analysent et diffusent en permanence des messages adaptés aux utilisateurs, en tenant compte de leurs caractéristiques, de leur localisation, du moment et des circonstances, dans le but d’atteindre des objectifs bien précis.
C’est précisément là que le ralliement d’un individu comme Elon Musk à la campagne de Trump me semble être tout sauf un pari aveugle qu’il se soit donné. Musk est plus conscient que vous et moi de la longueur d’avance, et donc du pouvoir réel que confère la révolution technologique en cours, en particulier en matière d’intelligence artificielle (IA), dans le cadre d’une campagne électorale. Il ne s’agit pas de recourir à la cybercriminalité, mais plutôt d’exploiter les outils d’IA dans les limites du cadre règlementaire pour comprendre la population, ses attentes et ses sensibilités. Cela permet d’anticiper et d’affiner la campagne de manière personnalisée pour chaque individu. Ainsi, tout le monde se sent important, compris et rassuré, et par conséquent, enclin à soutenir la cause en jeu, à savoir voter pour le ticket Trump-Vance. Aussi, il faudrait être assez naïf de penser qu’Elon Musk, qui s’attaque à des enjeux aussi complexes que l’envoi de missions spatiales, ou la mobilité urbaine autonome, et qui est également fondateur d’OpenAI, le centre de recherche le plus avancée en intelligence artificielle et valorisé à 157 milliards de dollars, resterait passif en se limitant à apporter une contribution financière et croiser les doigts dans l’attente du dénouement de la course électorale. Musk est plutôt réputé pour sa proactivité, son pragmatisme et ses approches systématiquement axées sur le résultat. En résumé, il faut comprendre que tout le travail d’IA pour cette campagne de Trump, qui nécessite néanmoins beaucoup de temps — car il s’agit d’influencer la masse — a déjà été accompli. Le 5 novembre sera simplement le jour de la récolte. Les politiciens réaliseront, mais trop tard, que la bataille a été gagnée bien en amont. Entre-temps, « El Trumpo », comme j’aime l’appeler, sera de retour aux affaires.
Sur les questions de principe, Trump reste fidèle à lui-même. C’est à dire direct et sans faux-fuyant. Pour lui, il n’existe que deux genres sur Terre : l’homme et la femme. Son intellect semble incapable d’intégrer toutes ces notions avant-gardistes de déclinaisons des lettres de l’alphabet. Ainsi, il se retrouve encore une fois diamétralement opposé au narratif dominant d’un ordre mondial qui ne résonne pourtant pas avec les valeurs fondamentales d’une grande partie de la population américaine, ni avec celles de l’ensemble du Sud Global. Trump se présente comme le dernier rempart, défendant des valeurs traditionnelles auxquelles beaucoup s’identifient et continuent de croire.
Concernant la guerre en Ukraine, Trump s’oppose à l’idée de conflit et annonce qu’il mettra fin au financement de l’OTAN ainsi qu’à tout soutien matériel à l’Ukraine. Comme il le répète souvent, il prône la paix et ne voit pas pourquoi il devrait financer des efforts de guerre. Il convient de rappeler qu’il est l’un des rares présidents américains à ne pas avoir engagé son pays dans un conflit armé durant son mandat. En revanche, sa logique ne s’applique pas au Moyen-Orient où, par affinité, il soutient ouvertement Israël.
Au regard de tous ces éléments, le constat est clair : la victoire de Trump semble certaine.
J’ajouterai aussi en tant qu’Africain, mon interprétation des récentes tentatives d’assassinat dont Trump a miraculeusement échappé. À mes yeux, ces événements sont des signes forts que, contre vents et marées, il parviendra à retrouver sa place à la Maison Blanche. Je suis même amené à me poser la question sur sa défaite aux élections précédentes, mais c’est un autre registre, un tout autre débat.
Il est peut-être bon de clarifier que tout ce que j’avance ici ne signifie nullement que je considère Trump pourvu d’une intelligence exceptionnelle, ni l’inverse. Je ne le considère pas non plus comme quelqu’un de bon. Là n’est pas la question. Il convient plutôt de reconnaître qu’il est le candidat qui se rapproche le plus des attentes de la majorité des Américains.
Aussi, un atout indéniable le positionnant au-dessus de la mêlée, c’est sa résilience hors pair. Trump ne se considère jamais vaincu, peu importe les obstacles. Ses adversaires, tant à l’extérieur qu’au sein de son propre camp, l’ont souvent cru fini, mais à leur grand dam, il a toujours su garder la tête haute et rester concentré sur son objectif : retourner à la Maison Blanche. Tel un missile à tête chercheuse, qui une fois lancée, ne quitte plus la cible jusqu’à l’atteindre même si elle se déplace.
Concernant ce qu’il pense de notre Afrique et de la diaspora, son langage est toujours basique mais plus qu’insultant, avec le seul mérite d’être clair et cru. Il dit tout haut ce que beaucoup d’autres pensent en leur for intérieur. En tant qu’Africain, je me dis qu’à toute chose, malheur est bon : au-delà de tous les beaux discours bien policés de l’Occident auxquels la grande majorité de nos dirigeants croient ou se sentent contraints d’adhérer, la traduction des propos de Trump à notre égard se résume à « débrouillez-vous, ne comptez pas sur nous ».
Bien que la realpolitik finit toujours par s’imposer, je pense qu’il est bon pour nous de saisir cette occasion pour arrêter de tendre la main. Je crois que le réveil de l’Afrique n’aura lieu que lorsqu’elle sera livrée à elle-même. On ne réalise sa véritable force que lorsqu’on ne se donne plus d’autres choix. J’ose espérer que ces circonstances nous pousseront à nous remettre en question et à enfin nous assumer, à prendre notre destinée en main. Nous en avons tous les moyens. Voilà pourquoi, en tant qu’Africain, je souhaite effectivement le retour de Trump aux affaires.