En marge du Forum de haut niveau sur le pastoralisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest (Nouakchott+10), Financial Afrik s’est entretenu avec avec Mme Boutheina Guermazi, Directrice de l’intégration régionale pour l’Afrique et le Moyen-Orient, Banque mondiale. «Au cours des dix dernières années, la Banque mondiale, à travers le Projet régional d’appui au pastoralisme au Sahel (PRAPS), que nous avons financé avec plus de 760 millions de dollars, a contribué à baliser et à sécuriser plus de 4 200 km de couloirs de transhumance», explique -t-elle. Exclusif.
Pourquoi le pastoralisme est-il essentiel à l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest ?
Boutheina Guermazi: le pastoralisme lie les pays par la transhumance, notamment la transhumance transfrontalière. L’élevage mobile est pratiqué par 75 % des éleveurs du Sahel qui parcourent chaque année des centaines de kilomètres. Grâce à cette mobilité, les pasteurs qui se déplacent à la recherche de l’eau et du pâturage pour leurs troupeaux, offrent des produits d’élevage aux zones traversées, y achètent des biens et des services, et profitent également des opportunités économiques qu’offrent les pays traversés. Quand on considère que plus de 20 millions de personnes au Sahel vivent du pastoralisme, et que le mode de vie de plus de 80 millions de personnes en Afrique de l’Ouest dépend de l’élevage, on peut bien comprendre l’importance de l’élevage et du pastoralisme pour l’intégration économique régionale. L’élevage et le pastoralisme sont une des chaines de valeurs parmi les plus intégratives en Afrique de l’Ouest et au Sahel.
Malheureusement, le secteur fait face à des défis qui eux-mêmes sortent du cadre national des pays, tels que le changement climatique, les évènements météorologiques extrêmes, telles que les sécheresses, les inondations, ainsi que les conflits, qui sont une préoccupation grandissante et qui bouleversent la pratique, ainsi que la vie des communautés pastorales et agro-pastorales. C’est pour cela que nous avons inscrit le renforcement de la résilience de ces communautés dans l’un des principaux piliers de notre Stratégie pour l’intégration régionale en Afrique, pour permettre au secteur de jouer pleinement son rôle, notamment dans l’intégration économique régionale.
Comment la Banque mondiale contribue-t-elle à améliorer la gestion transfrontalière des couloirs de transhumance ?
Au cours des dix dernières années, la Banque mondiale, à travers le Projet régional d’appui au pastoralisme au Sahel (PRAPS), que nous avons financé avec plus de 760 millions de dollars, a contribué à baliser et à sécuriser plus de 4 200 km de couloirs de transhumance. Un cadre de coopération a été mis en place entre les pays pour sécuriser l’accès aux pâturages et aux services essentiels. Plus de 13 millions d’hectares d’espaces pastoraux ont été placés sous une gestion durable. Plus de 559 points d’eau ont été installés le long des routes pastorales, réduisant les tensions pour l’accès aux ressources en eau. Les infrastructures pastorales réalisées, qui concernent principalement la santé animale, l’accès aux marchés, l’hydraulique pastorale et la gestion durable des parcours, sont largement concentrées dans les zones transfrontalières, facilitant les échanges économiques entre les pays sahéliens et côtiers.
Par ailleurs, des plateformes régionales de concertation facilitent la gestion conjointe des ressources et la prévention des conflits entre éleveurs et agriculteurs. Le modèle de coopération transfrontalière établi avec le PRAPS inclut également des réunions de concertation régulières entre les pays participants. C’est le cas, par exemple, pour la programmation des campagnes de vaccination du bétail qui aujourd’hui se planifie entre pays voisins.
Quelles sont les prochaines étapes pour élargir l’impact des projets pastoraux au-delà du Sahel en vue d’une meilleure intégration économique régionale ?
J’ai été ravie d’avoir pris part ces trois derniers jours au Forum sur le pastoralisme que nous venons juste de conclure. Nous avons assisté à des échanges très intéressants entre les acteurs institutionnels et ceux de la société civile. Nous avons également entendu des voix plus rares, mais tellement importantes, comme celles des jeunes et des femmes. C’était vraiment un grand plaisir d’entendre ces femmes témoigner de l’impact du PRAPS sur leur quotidien, mais aussi d’écouter d’autres acteurs sur les succès enregistrés, quand bien même il reste du chemin à parcourir. Et nous avons aussi pris bonne note des défis qui persistent et d’autres nouveaux défis qui ont surgi. C’est aussi intéressant d’avoir eu la participation des pays côtiers qui n’étaient pas présents il y a dix ans, mais dont la présence aujourd’hui confirme la dimension régionale de la question de l’élevage mobile.
Que dire de la déclaration de Nouakchott?
La nouvelle Déclaration de Nouakchott qui a été adoptée à l’issue du Forum nous appelle, nous comme les autres partenaires techniques et financiers, à renforcer notre soutien pour assurer la mise en œuvre à l’échelle, et de manière coordonnée, des actions nécessaires au développement de l’élevage et à la sécurisation des systèmes pastoraux au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Nos efforts doivent porter sur la sécurisation du foncier agro-pastoral et l’accès aux ressources naturelles, l’accélération des investissements publics et la mobilisation du secteur privé dans les territoires, pour renforcer l’intégration et les synergies entre activités agricoles et élevage, les dispositifs de formation et d’insertion professionnelle des jeunes, ainsi que la mise à l’échelle et la valorisation des systèmes d’informations.
Quelles similitudes entre l’Afrique de l’Ouest Et de l’Est en matière de pastoralisme?
Nous pourrons réfléchir avec l’ensemble des pays de la sous-région et les institutions régionales sur la nouvelle génération de projets, et les approches programmatiques qui pourront soutenir la nouvelle Déclaration de Nouakchott pour mieux s’attaquer aux défis qui ont été soulevés au cours du Forum, dont un grand nombre est en phase avec les priorités stratégiques du chantier de réformes issus du processus d’Evolution de la Banque mondiale, notamment en matière de sécurité alimentaire, de mitigation, d’adaptation et de résilience au climat. C’est un effort que nous devrons poursuivre dans l’esprit du partenariat avec les autres acteurs internationaux tels que les banques multilatérales de développement, les Nations-Unies, et les organisations régionales, entre autres.
Il sera également intéressant d’analyser ensemble l’exemple des modèles inspirants que nous avons expérimenté ailleurs, comme par exemple en Afrique de l’Est, qui ont su inclure des mécanismes comme les assurances bétail et des outils de gestion des risques adaptés aux évènements climatiques extrêmes. Cette expérience que je cite est une belle réussite qui propose, par ailleurs, un ensemble de services financiers en plus, notamment des options d’épargne et des comptes bancaires, afin de créer un filet de sécurité financière contre les chocs économiques. Les leçons tirées de ce projet offrent des enseignements précieux et une expérience internationale qui peuvent être appliqués dans d’autres contextes similaires, y compris en Afrique de l’Ouest, où des initiatives analogues pourraient être mises en œuvre pour renforcer la résilience des pasteurs face aux défis environnementaux et économiques.
La Banque mondiale reste donc engagée pour soutenir la mise en œuvre de la nouvelle Déclaration de Nouakchott pour renforcer l’intégration économique régionale.