Porteur de valises ? Robert Bourgi s’en défend, affirmant qu’il n’a jamais été philanthrope non plus et qu’il a toujours agi en tant qu’avocat-lobbyiste. À la sortie de la lecture de son livre au succès phénoménal, « Ils savent que je sais tout », nous nous sommes entretenus avec cet homme, symbole d’une certaine époque des relations entre la France et l’Afrique.
Votre livre connaît un succès phénoménal. Vous attendiez-vous à un tel engouement?
D’après différents libraires consultés à Paris, cet ouvrage a démarré aussi vite qu’un Prix Goncourt en termes de ventes. Il est en tête depuis son lancement sur la plateforme Amazon et dans différents points stratégiques, en France, comme les Fnac et les grandes chaînes culturelles. Il arrive par ailleurs progressivement dans de nombreuses librairies de pays africains comme le Sénégal, la RDC, le Congo, le Gabon ou encore la Côte d’Ivoire.
Ce succès peut surprendre car ces Mémoires touchent après tout essentiellement à mes missions avec le continent africain. Mais il prouve que la Françafrique galvanise et intéresse encore beaucoup de lecteurs et de lectrices. En portant ce projet et en m’incitant à dévoiler toute ma vie, le journaliste Frédéric Lejeal, ancien rédacteur en chef de La Lettre du Continent, a réussi, en quelque sorte, à fournir à l’abondante littérature sur la Françafrique le témoignage et le document qui manquaient.
J’ai déambulé durant plus de 40 ans dans les arcanes franco-africains et ai été le conseiller très proche d’une quinzaine de chefs d’Etat africains et de deux présidents français. Je pense donc avoir mon mot à dire et une totale légitimité sur la relation franco-africaine et ce que j’ai pu voir ou observer.
Vous vous présentez comme un « intermédiaire » entre la France et l’Afrique. Était-ce de façon désintéressée ?
J’ai toujours agi comme avocat-lobbyiste sur le modèle de ce que font aujourd’hui de nombreuses personnalités comme Claude Guéant, Dominique de Villepin et même Nicolas Sarkozy. En quoi ont consisté mes missions ? A rendre des services pour les chefs d’Etat africains et français pour lesquels je travaillais. A pratiquer de l’influence de très haute intensité ; à mettre de hautes personnalités en contact ; à faire passer des messagesplus ou moins codés ; à introduire de hautes personnalités à l’Elysée comme Karim Wade ou Ali Bongo Ondimba, à écrire des notes de décryptage et d’analyse sur des actualités africaines sensibles ; à m’occuper des familles des chefs d’Etat africains en France à l’instar de celle de Mobutu Sese Seko.
Ces missions étaient naturellement rémunérées. Que croyez-vous ? Je ne suis pas philanthrope. Les gens convoitaient mon carnet d’adresse et m’approchaient pour cela. J’étais le seul en capacité de caler des entretiens pour des personnalités africaines avec les plus hautes autorités françaises à droite. Je bénéficiais également, avec certaines présidences sur le continent, de contrats à l’année.
Mais vous savez, je ne différais pas sur ce point de ce que pratiquaient les nombreux avocats, agences de relations publiques, communicants ou experts gravitant autour des palais, en Afrique. Les chefs d’Etat du continent passaient par moi pour accéder à Jacques Chirac, à Nicolas Sarkozy ou aux secrétaires généraux de l’Elysée que furent Dominique de Villepin ou Claude Guéant. J’ai été le seul, durant des décennies à pouvoir établir ce type de contact.
En agissant en facilitateur pour des transferts de fonds entre chefs d’État africains et figures de la droite française, avez-vous un jour ressenti de la culpabilité ou des remords pour avoir alimenté un système opaque ?
Ce système n’était pas « opaque » comme vous dîtes. Le financement des partis politiques français a longtemps été autorisé à travers ce type de mouvements de fonds. Jacques Chirac me demandait de mobiliser en Afrique pour financer ses campagnes électorales. J’accomplissait ces missions pour ma famille politique sans me poser de questions. D’autant qu’elles rejoignaient celles, réalisées par mon père Mahmoud, pour le compte du RPF de De Gaulle.
Je précise, en revanche, que jamais je n’ai touché quelques fonds que ce soit. Ils étaient transportés au départ et à l’arrivée par des émissaires désignés par les chefs d’Etat africains.
Je note par ailleurs dans votre question que l’on m’interroge toujours sur le convoyage de fonds à la demande de Jacques Chirac mais jamais sur le fait que les présidents africains donnaient parfois sans compter. Pour quelle raison ? Parce qu’ils suivaient une véritable stratégie de clientélisme politique. Ils donnaient aussi par calcul politique. Pour travailler à leur influence en France.
Vous avez orchestré la chute politique de François Fillon pour satisfaire, semble-t-il, une blessure d’ego. Pensez-vous que ce prix était trop élevé ou est-ce là votre manière de régler les comptes ?
Je me suis exprimé 1000 fois sur cette affaire. François Fillon m’a manqué d’homme à homme. Je le fréquentais depuis 1980, soit presque 40 ans. Nous avions tissé des liens très étroits. D’amitié. Et soudainement, cette personnalité me tourne le dos et tourne les talons sous prétexte d’être désigné candidat de la droite à la présidentielle de 2017 et d’être favori de ce scrutin. Je suis fait de chair et de sang. Cette attitude fut inadmissible.
Je tiens tout de même à préciser que, là aussi, on parle beaucoup de l’affaire des costumes que j’ai offerts à Fillon. Mais personne ne relève que le Pénélope Gate fut bien plus grave. C’est le vrai scandale lié à ce personnage.
Vous placez Jacques Foccart comme une figure paternelle. Est-ce une source de fierté ou un poids d’héritage qui vous pousse à toujours être dans l’ombre des grandes manigances ?
Je ne vois pas ce que vous entendez par « manigances », et je ne place pas Jacques Foccart comme une figure paternelle. Plutôt un mentor qui m’a aidé à travailler sur ma thèse en droit public et en sciences politiques en m’ouvrant tout son carnet d’adresse. Et je vous prie de me croire qu’il était copieux. Je l’ai, de surcroît, connu très jeune puisqu’il rendait souvent visite à mon père, à Dakar. Il s’appuyait sur lui pour obtenir des informations ou prendre la température de ce qu’il se passait dans toute l’Afrique occidentale Française (AOF). Il m’a toujours chapeauté, conseillé, montré la voie. J’étais gaulliste comme lui. Et je lui dois notamment ma façon de travailler en solo et dans la plus totale discrétion. Comme il aimait le répéter : « Secrets de deux, secrets de toujours. Secrets de trois, secrets de tous ».
En vous autoproclamant héritier de Foccart, n’avez-vous pas l’impression de vous ériger en personnage de roman, quelque part entre l’intrigant et l’opportuniste ?
Ou avez-vous vu ou lu que je m’autoproclame «héritier » de Jacques Foccart ? Si vous avez lu mes Mémoires vous savez donc que c’est Jacques Chirac, au lendemain des obsèques de Jacques Foccart, en mars 1997, qui me demande de prendre la relève et de travailler en duo serré avec Dominique de Villepin, secrétaire général de l’Elysée.
Jacques Foccart n’a aucun héritier. Son système est né et mort avec lui. Pour le reste et les termes que vous employez comme « intrigant », ils rejoignent ceux que l’on m’a toujours affublé sans me connaître. En quoi aurais-je été intriguant ? Vous avez vu mon nom apparaître dans une quelconque affaire de la Françafrique ? De l’Angolagate aux Biens Mal Acquis en passant par l’affaire Elf ? Ai-je été mis une seule fois en examen ? Placé une seule fois en garde à vue ? Ai-je été condamné une seule fois par la justice pour mes activités qui étaient totalement déclarées ? Mon cabinet a-t-il jamais été perquisitionné ? Il faut arrêter d’employer des termes qui ne correspondent pas à ma réalité et à la réalité de ce que je suis.
Après la publication de votre livre, espérez-vous vraiment changer le regard du public sur la Françafrique ou simplement réaffirmer votre rôle dans cette machinerie ?
Vu le succès de ces Mémoires, ce regard est en train de changer. Les lecteurs s’intéressent de près à ce que j’ai pu faire. L’époque a complètement changé et ne se prête plus à ce que j’ai pu faire. Ce que je regrette en un sens car la perte des liens personnels et de proximité qui pouvaient exister entre les présidents africains et français étaient de nature à renforcer la relation franco-africaine où, du moins, à la préserver.
Aujourd’hui, ce mode opératoire a disparu. Mais je souligne que, comme de nombreux journalistes, vous ne vous intéressez qu’aux transferts de fonds. Or, ces missions ne peuvent me résumer. J’ai facilité la libération d’otages pour le compte de la France lorsque les canaux diplomatiques officiels n’opéraient plus. Je sors dans ces Mémoires de très nombreux scoops qui ne sont pas assez évoqués comme ma tentative de sauver Laurent Gbagbo en 2011 ; le fait que Mobutu Sese Seko affrète son avion personnel pour convoyer une délégation ministérielle française sans aucun rapport avec le Zaïre ; le fait d’avoir été mandaté pour « nettoyer » les appartements de Jacques Foccart après sa disparition. Je révèle des entretiens inédits entre Dominique de Villepin et Laurent Gbagbo à l’Elysée alors même que ce dernier était encore opposant. J’explique comment, grâce à moi, Laurent Gbagbo a pu normaliser pendant un certain temps la relation avec la France de Nicolas Sarkozy en faisant se rencontrer les deux hommes aux Nations Unies, en septembre 2007 et au sommet Europe-Afrique qui suivra deux mois plus tard. Je relate dans le détail toutes les scènes et entretiens auxquels j’ai assisté tout comme les conditions dans lesquelles plusieurs ambassadeurs de France en Afrique ou un patron de l’Agence Française de Développement (AFD) ont été nommés grâce à mes interventions. Ce fut aussi tout cela mon travail de lobbyiste.