Commerce international : la spécialisation selon les facteurs de production
L’idée fondamentale de la théorie néoclassique du commerce international est simple. Si un pays est relativement bien doté dans un facteur de production donné, il aura un avantage comparatif dans la production de biens intensifs en ce facteur de production.
Les notions de dotation et d’intensité factorielles
Supposons deux pays (G et F) ayant les mêmes technologies, la seule différence entre eux réside dans leurs ressources : le pays F a relativement plus de travail que de capital et le pays G a relativement plus de capital que de travail. Cette notion d’abondance factorielle est relative : dire que le pays F est relativement abondant en travail ne signifie pas qu’il dispose, dans l’absolu, de plus de travail que le pays G. Cela veut dire tout simplement que le rapport entre son stock de travail et son stock de capital est plus élevé que celui du pays G.
Prenons l’exemple de la Chine et du Maroc, avec les données suivantes de 1990 :
Tableau 1 : Dotations factorielles
STOCK DE CAPITAL en milliards de Dollar (K) | POPULATION(L) | K/L en Dollar | |
CHINE | 3 242 | 1 150 000 000 | 2 819 |
MAROC | 490 | 24 000 000 | 20 416 |
On voit que, de manière absolue, la Chine est plus abondante en capital et en travail que le Maroc. Mais de manière proportionnelle, le Maroc est relativement mieux doté en capital que la Chine. Au Maroc, le capital par tête (20 416 dollars) est supérieur à celui de la Chine (2819). Par analogie, on mesurera l’intensité d’un bien en capital en faisant le rapport entre le capital et le travail nécessaires à sa production. Ainsi, un bien qui a nécessité 1000 F CFA de capital physique et 500 F CFA de salaires a une intensité capitalistique de 2. Une démarche identique mais inversée permet de mesurer l’intensité en travail : ce bien contient une intensité de travail de 1/2. Sur la base des dotations factorielles, l’école néoclassique va construire le modèle H.O.S (Heckscher Ohlin-Samuelson).
Cette théorie a été développée par les économistes suédois Eli Filip Heckscher et Bertil Ohlin d’abord, puis modélisée à la fin des années quarante et au début de la décennie suivante par différents auteurs (W.F. Stolper, P. Samuelson, A.P. Lerner en particulier). D’après ces auteurs, une différence des dotations factorielles entre deux pays peut expliquer l’écart des coûts comparatifs dès lors que l’on admet que les fonctions de production (les technologies) sectorielles sont identiques d’un pays à l’autre. D’après ce modèle, chaque pays aura avantage à se spécialiser en fonction de ses dotations en facteurs. Si un pays est plus abondant en capital qu’en travail, il a intérêt à produire et exporter des biens intensifs en capital. Son partenaire, plus abondant en travail qu’en capital exportera des biens intensifs en travail.
La détermination des spécialisations
A partir de l’exemple numérique ci-dessous tiré d’Ababacar Keita (Cours économie Générale FASEG-UCAD 2016), nous allons montrer comment se déterminent les spécialisations respectives.
Tableau 2 : les dotations absolues en facteur capital et en facteur travail de deux pays G et F :
Dotations en facteur capital (K) | Dotations en facteur travail (L) | |
Pays G | 1500 | 2000 |
Pays F | 800 | 1600 |
Tableau 3 : les quantités de facteurs capital et travail nécessaires pour produire une unité de bien X et une unité de bien Y
Quantité de facteur capital nécessaire (K) | Quantité de facteur travail nécessaire (L) | |
Bien X | 12 | 4 |
Bien Y | 6 | 5 |
Nous commençons par la détermination du pays relativement mieux doté en capital :
Il faut calculer les rapports K/L pour chaque pays et le pays qui a le rapport K/L le plus élevé est relativement mieux doté en capital. Son partenaire à l’inverse sera relativement mieux doté en travail.
KG/LG = 1500/2000 = 0, 75 (1)
KF /LF= 800/1600 = 0, 50 (2)
KG/LG > KF /LF (3)
Donc le pays G est relativement mieux doté en capital. A l’inverse le pays F est relativement mieux doté en travail ; il suffit d’inverser le rapport K/L pour le voir.
Maintenant, passons au calcul de l’intensité factorielle des biens. Calculons les rapports K/L pour chaque bien et faisons la comparaison Le bien qui a le rapport K/L le plus élevé est plus intensif en capital. Ici K et L représentent respectivement les coûts du capital et du travail par unité de bien produite.
Kx/ Lx = 12/4 = 3 (4)
Ky/ Ly = 6/5 = 1,2 (5)
Donc : Ky/ Ly < Kx/ Lx (6)
Le bien X est donc plus intensif en capital. A l’inverse, le bien Y est plus intensif en travail.
La spécialisation :
C’est le pays G, relativement mieux doté en capital, qui va se spécialiser dans la production du bien X qui est plus intensif en capital et le pays F, relativement mieux doté en travail, va se spécialiser dans la production du bien Y qui est plus intensif en travail.
Ainsi, le modèle H.O.S démontre, avec le commerce international, que les productions et les consommations de biens vont augmenter au bénéfice des 2 pays. Le prix du capital va augmenter dans G et diminuer dans F. Les salaires vont augmenter en F et diminuer en G. Ainsi, le commerce international va conduire à une égalisation des prix relatifs des facteurs.
Les limites du modèle H.O.S
Wassily Leontief (1905-1999), le prix Nobel d’économie en 1973, trouva paradoxalement un rapport K/L de 13,991 pour les exportations américaines de 1947 et de 18,184 pour les importations. Autrement dit, les USA, un pays relativement mieux doté en capital, exportaient des biens intensifs en travail et importaient des biens intensifs en capital, contrairement aux prédictions du modèle H.O.S. A partir des années 1970-1980, le modèle H.O.S. est vivement critiqué, car il ne correspondait pas à ce que l’on constatait dans le commerce international. Les échanges ne semblent pas s’effectuer uniquement sur la base de dotation en facteurs de production.
Le modèle repose sur une hypothèse irréaliste telle que la mobilité parfaite des facteurs de production à l’intérieur d’un pays et l’immobilité internationale des facteurs ; ce qui n’est pas toujours le cas dans la réalité. Le modèle suppose que les biens sont homogènes, alors que dans la réalité, la différenciation des produits est courante ; ce qui influence les préférences des consommateurs. Le modèle suppose que la technologie est identique dans tous les pays ; ce qui ne tient pas compte des différences technologiques qui peuvent influencer l’avantage comparatif. Le modèle H.O.S. repose sur l’hypothèse des rendements constants et ne tient pas compte des rendements d’échelle croissants qui peuvent influencer les décisions d’exportation et d’importation.
Les prédictions de la théorie HOS, comme la convergence des prix des facteurs, ne sont pas toujours observées dans les données empiriques. Des études ont montré que les inégalités salariales et les différences de prix des facteurs persistent malgré l’ouverture commerciale. Le modèle se concentre sur deux facteurs de production (travail et capital), négligeant d’autres facteurs qui peuvent également affecter le commerce, comme les ressources naturelles. Toutes ces limites constituent le point de départ de la nouvelle théorie du commerce international.
A propos de Pr Amath Ndiaye
Prof. Amath Ndiaye est un éminent économiste sénégalais, titulaire d’un Doctorat d’État en Sciences Économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (2001) et d’un Doctorat de 3e cycle en Économie du Développement de l’Université de Grenoble, France (1987). Depuis 1987, il enseigne à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Expert reconnu, il a collaboré avec des institutions prestigieuses telles que la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, et le FMI, se spécialisant notamment dans les domaines des taux de change, de la croissance économique, et du développement institutionnel. Il était expert-membre du comité de pilotage de la Commission de l’Union Africaine pour la Création de la Banque Centrale Africaine.. Prof. Ndiaye est l’auteur de nombreuses publications influentes, notamment sur les régimes de change. Vous pouvez retrouver à travers ce lien l’ensemble des leçons de Pr Amath Ndiaye publiées par Financial Afrik.