Par Junior Mbuyi *, Expert financier international et CEO de JPG Consulting Partners.
Fin octobre, le Groupe d’Action Financière (GAFI) a inscrit quatre nouveaux pays, dont la Côte d’Ivoire, l’Algérie et l’Angola, sur sa liste grise, portant ainsi le total à 24 pays, dont 14 africains. Cette mise sous “surveillance renforcée” relance un débat crucial : comment le continent peut-il renforcer son attractivité, restaurer sa crédibilité internationale et rétablir la confiance des investisseurs face aux défis de conformité ?
Organisme mondial de surveillance contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, le GAFI a pour mission de préserver l’intégrité du système financier mondial. Être placé sur liste grise ne se résume ni à un simple avertissement, ni à une mesure punitive comme l’on pourrait le supputer. Il s’agit davantage d’un signal d’alerte destiné à guider les pays vers des réformes pour améliorer leur conformité.
Cependant, l’impact de cette inscription est bien réel et significatif : accès restreint aux marchés financiers internationaux, hausse des coûts d’emprunt, difficulté à attirer des capitaux et perte de confiance des investisseurs étrangers. Ces conséquences pèsent lourdement sur les économies concernées, amplifiant les défis déjà présents.
La situation de la République Démocratique du Congo, placée sur liste grise depuis 2022, illustre bien ces difficultés. La porosité de ses frontières avec des pays instables, la présence de groupes armés impliqués dans des mécanismes de blanchiment d’argent, la prédominance du secteur informel, la dollarisation en réponse à l’instabilité de la monnaie nationale et l’usage massif du numéraire – indicateur d’une inclusion bancaire limitée – sont autant de freins qui justifient cette inscription et entravent son développement économique.
Pourtant, cette situation n’est pas figée. Les parcours de Maurice, qui a quitté la liste grise en 2021, du Maroc, qui l’a quittée en 2023, ainsi que du Zimbabwe et du Sénégal, sortis en 2024, démontrent qu’un engagement politique et des réformes rigoureuses de surveillance financière peuvent mener à une transformation durable. Le Sénégal, en renforçant la supervision de ses institutions financières, a non seulement réussi à sortir de la liste grise, mais aussi à améliorer son environnement des affaires, regagnant ainsi la confiance des acteurs internationaux.
Pour la RDC et les autres juridictions sous surveillance, l’enjeu consiste donc maintenant à créer les conditions d’une croissance durable et d’une modernisation en attirant des investissements tout en maîtrisant les risques pour les investisseurs. Atteindre cet objectif nécessite tout d’abord une réforme des institutions internationales pour une gouvernance mondiale plus inclusive, encore marquée par les influences de Bretton Woods, ainsi que l’adoption d’approches ajustées aux réalités locales. Dans des économies comme celle de la RDC, où le poids de l’informel et la faible inclusion bancaire compliquent la mise en conformité, un agenda de réformes progressif et adapté est également essentiel pour soutenir une transition efficace vers les standards mondiaux.
Pour éviter de nouvelles sanctions, il apparaît impératif de privilégier une voie alternative : celle de la souveraineté financière africaine. La réforme des banques centrales pour renforcer leur indépendance ainsi que la création d’institutions de supervision, telles qu’une Haute Autorité de Contrôle Prudentiel, seraient des leviers clés pour garantir transparence et confiance bancaire, tout en intégrant les spécificités locales. Une telle autorité contribuerait à accompagner les banques du continent africain à réaliser leurs métriques aux standards internationaux et locaux, tout en établissant des exigences en fonds propres réglementaires rigoureuses, pour aller vers une véritable conduite de changement.
Finalité ou point de départ vers un rôle majeur pour l’Afrique dans l’économie mondiale ? La liste grise du GAFI pourrait bien être une opportunité déguisée, une chance pour le continent de repenser son écosystème financier et d’engager une refondation ambitieuse. Un système bancaire renouvelé, bâti sur la transparence, la discipline de marché, et une gouvernance locale solide, permettrait à l’Afrique de consolider sa position économique, d’attirer davantage de capitaux étrangers et de renforcer la résilience de ses économies face aux turbulences mondiales. Ces éléments seront des vecteurs de confiance et de croissance pour envisager l’essor du continent et des banques africaines.
À propos de l’auteur
Junior Mbuyi est un expert financier spécialisé depuis plus de 20 ans sur les questions de régulation financière auprès de banques de financements et d’investissements, mais également auprès d’institutions financières internationales. En 2018, il fonde JPG Consulting Partners, une société de conseil stratégique opérant dans plus de 10 pays, dont la RDC, le Maroc, les États Unis, la Suisse, la France, les Émirats Arabes Unis, Singapour, et dont les activités se concentrent sur le conseil en matière de risque-crédit et de risques de marchés, sur les volets quantitatif, méthodologique, organisationnel et opérationnel. Le cabinet accompagne ainsi la mise en place de grandes réformes réglementaires mondiales au profit d’institutions financières et d’établissements bancaires de premier plan.
Junior Mbuyi propose une nouvelle vision des enjeux bancaires, prônant davantage de stabilité, de régulation et de performance économique, mais aussi d’anticipation des crises dans un contexte mondial de plus en plus interconnecté. S’engageant en faveur de l’investissement et de la lutte contre la corruption, son expertise a notamment contribué à la sortie du Maroc en 2022 de la liste grise du GAFI (Groupe d’action financière) qui lutte contre le blanchiment de capitaux.
Auteur de “Une superpuissance africaine en devenir : Quand la RDC s’éveillera” (octobre 2023), il y expose sa vision du potentiel de la RDC comme future superpuissance africaine.