Par Jean-Louis Menann-Kouamé, Directeur général d’ Orange Bank Africa
Le 22 juillet 2024, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a inauguré un tournant décisif dans le système financier de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) avec le lancement de sa plateforme de paiements instantanés. Cette initiative, bien plus qu’une simple avancée technologique, redéfinit les interactions financières en permettant des transferts interbancaires en temps réel, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Contrairement aux systèmes précédents où les virements étaient effectifs au bout de plusieurs jours, cette nouvelle plateforme interopérable garantit une instantanéité qui impacte à la fois les banques traditionnelles et les fintechs. Ces deux acteurs doivent désormais revoir leurs stratégies face à ce bouleversement technologique : vont-ils rivaliser ou collaborer pour offrir des solutions adaptées aux attentes des consommateurs en quête de rapidité, de simplicité et de sécurité ?
Ce qui change avec la plateforme de paiement instantané de la BCEAO
Ce système de paiement introduit instantanément une nouveauté dans l’écosystème bancaire de l’UEMOA. Jusqu’à présent, les virements interbancaires entre différentes institutions financières nécessitaient un délai de traitement relativement long, et prolongé davantage par les week-ends et jours fériés. Désormais, chaque transfert entre comptes bancaires dans la zone UEMOA peut être effectué instantanément, peu importe le jour ou l’heure. Cela crée un environnement dans lequel les consommateurs, qu’ils soient particuliers ou entreprises, peuvent réaliser des transactions financières rapides et transparentes.
Pour les banques traditionnelles, cette plateforme bouleverse les habitudes de travail et de relation avec les clients. Elles doivent dorénavant repenser leurs modèles de gestion des flux de trésorerie, tout en renforçant la qualité de leurs services numériques afin de conserver leur base de clientèle. Les fintechs, de leur côté, se trouvent dans une position avantageuse pour tirer profit de cette nouvelle norme de rapidité et d’efficacité, en raison de leur flexibilité et de leur capacité d’innovation.
Les banques traditionnelles à l’épreuve de cette révolution numérique
Pour les banques classiques, la mise en place de ce système instantané de la BCEAO est une épée à double tranchant. D’une part, elle leur permet de moderniser leurs offres et de répondre à la demande des consommateurs en matière de rapidité et flexibilité. D’autre part, elle les confronte à une concurrence accrue de la part des fintechs, qui se sont spécialisées dans l’optimisation des services numériques à moindre coût. Historiquement confortées par leur large réseau physique et leur expertise dans la gestion des risques, les banques traditionnelles doivent rivaliser avec les fintechs qui ont le double avantage de proposer elles aussi des solutions sécurisées, mais plus accessibles et rapides.
Orange Bank Africa (OBA), par exemple, combine les avantages d’une banque traditionnelle avec ceux d’une fintech. Avec son offre de prêt et d’épargne Tik Tak, la banque digitale est devenue incontournable pour des populations non bancarisées qui peuvent épargner et emprunter de l’argent directement sur leur compte Orange Money. Le système d’octroi de microcrédit est basé sur des algorithmes puissants qui, en quelques secondes, analysent des quantités massives de données et définissent le montant accordé.
Ecobank, quant à elle, a su tirer parti de la révolution numérique en investissant massivement dans les infrastructures technologiques. Grâce à son application Ecobank Mobile, la banque a vu la valeur des transactions atteindre 7,1 milliards de dollars en 2023, marquant une augmentation de 54 %. Cette transition numérique, facilitée par des investissements stratégiques de 14 millions de dollars, illustre le rôle crucial que les banques traditionnelles doivent jouer pour rester compétitives dans un environnement de plus en plus digitalisé.
La coopération stratégique : une voie vers l’avenir
Le système de paiement instantané de la BCEAO ne doit pas être perçu uniquement comme un terrain de rivalité entre banques traditionnelles et fintechs. Au contraire, il offre des opportunités de collaboration stratégique. En s’associant, les banques et fintechs peuvent développer des services financiers inclusifs et innovants qui répondent aux besoins spécifiques des populations dans l’UEMOA. Les fintechs apportent leur capacité à innover rapidement, tandis que les banques assurent la sécurité et la conformité réglementaire des transactions.
L’exemple du partenariat entre GIM-UEMOA et PaySky, qui a donné naissance à GIMpay, illustre parfaitement les bénéfices de cette synergie. Ce projet, qui réunit 133 banques et 180 fintechs, offre une plateforme régionale de paiement qui permet de développer et de diversifier les services financiers dans la zone UEMOA. Cette coopération démontre que l’avenir du secteur financier réside dans une collaboration harmonieuse entre acteurs historiques et nouveaux entrants.
Un cadre réglementaire favorable à l’innovation
Pour que cette collaboration fonctionne, il est indispensable de co-construire un cadre réglementaire souple et adapté aux évolutions technologiques. Les autorités de régulation, les banques et les fintechs doivent s’engager dans un dialogue constant pour établir des normes communes qui facilitent l’innovation tout en garantissant la protection des consommateurs et la stabilité financière. Cette co-construction exige d’inclure à la fois les acteurs publics et privés afin de créer un écosystème où l’innovation financière peut prospérer en toute sécurité.
En résumé, il convient de retenir que le lancement de la plateforme de paiement instantané de la BCEAO marque une étape clé dans la transformation numérique du secteur financier en Afrique de l’Ouest. En exploitant les possibilités offertes par ce système, les banques traditionnelles et les fintechs n’ont pas d’autres alternatives que de coopérer afin de mieux répondre aux besoins croissants des consommateurs. Une collaboration stratégique, associée à un cadre réglementaire adapté, pourrait ainsi transformer le paysage financier de la région, et favoriser l’inclusion financière des populations.