Par Boris Martor, associé chez Bird & Bird – responsable du département Finance et co-gérant du bureau de Casablanca.
Alors que se tient la COP 29 à Bakou, le débat autour de la coopération internationale contre le réchauffement climatique bat son plein. Si les émissions de carbone sont au centre des discussions, il convient de ne pas oublier les minerais critiques, qui ont un rôle-clef dans la transition énergétique. Ils sont indispensables à la production de batteries et donc à notre souveraineté technologique et industrielle, y compris pour des chantiers comme l’électrification des véhicules. Là aussi, des partenariats sont nécessaires. La dépendance de l’Europe à l’Asie, à l’origine même de notre virage vers l’électrification depuis deux décennies, nous oblige à réagir vite afin de renforcer notre production et notre chaîne d’approvisionnement. Il s’agit avant tout de corriger la volatilité du marché, qui rend aujourd’hui les opérateurs européens très vulnérables aux perturbations géopolitiques et aux fluctuations de prix. Si le souhait d’aller vers une économie « verte » est louable, et que les fournisseurs sont de plus en plus contrôlés sur leur respect des critères ESG, on peut penser que l’Europe risque d’accroitre son retard en voulant (trop) bien faire. Les récentes normes européennes sont indéniablement une avancée sur le plan éthique, mais elles viennent se greffer sur des modèles fragilisés, en retard sur l’Asie et les Etats Unis, qui manœuvrent sans de telles contraintes. Plus qu’un enjeu de transition énergétique, donc, la sécurisation de ces ressources représente une lutte de souveraineté, voire de survie industrielle. On peut saluer la réaction structurante de Union Européenne pour réduire sa dépendance aux importations chinoises et renforcer les capacités de production et de raffinage, via, notamment, le Critical Raw Materials Act (CRMA), et l’Alliance européenne pour les batteries (AEB). Mais ces directives sont elles aussi complexes et chronophages dans leur mise en œuvre. Il s’agit donc de renforcer la capacité d’innovation technologique de l’UE et la restructuration de ses chaînes de production et d’approvisionnement, tout en se protégeant le temps de ces adaptations. Dans ce cadre, des partenariats durables avec certains pays africains peuvent jouer un rôle déterminant.
L’Afrique : entre opportunités et tensions géopolitiques
En effet, l’Afrique est connue pour sa richesse en ressources minières critiques, ainsi que comme continent-clef dans les équilibres industriels et géopolitiques. On y retrouve en effet tous les composants des batteries, que ce soit de modèle NMC (nickel-manganèse-cobalt) ou LFP (lithium-fer-phosphate), une alternative moins coûteuse et plus stable thermiquement. Qui plus est, la proximité géographique des Etats africains permettrait de réduire l’empreinte carbone par unité de batterie produite, alliant intérêt écologique et stratégique. Or, ce potentiel immense reste au fond une question de présence géopolitique. Le cobalt en est un bon exemple, en provenance majoritaire de régions sensibles sur le plan géopolitique, comme la République démocratique du Congo (RDC). Si cette dernière produit 63 % de l’approvisionnement mondial en cobalt, elle n’exporte pas moins de 80 % de ce montant vers la Chine. Idem pour le lithium : bien que plus abondant, son raffinage reste principalement assuré par la Chine, avec 55 % de la production mondiale. Les savoir-faire et technologies de cette exploitation sont eux aussi maîtrisés par le leader astatique, qui sait en optimiser le rendement.
Impulser de nouvelles dynamiques industrielles
Coutumiers de la gestion de ces minerais, les pays africains qui les exploitent sont aujourd’hui les plus indiqués pour structurer des relations industrielles et commerciales avec la France et l’UE, et proposer des solutions d’approvisionnement rapide et de proximité. Rappelons que les pays d’Afrique cherchent en ce moment à augmenter l’activité locale et accroître leur implication dans des projets miniers à forte valeur ajoutée. Si cette éventualité n’a pas encore vu le jour de manière concrète, la volonté politique de le faire apparaît évidente dans la plupart des dispositifs législatifs récents. L’Europe l’a bien compris et ambitionne de collaborer avec les acteurs africains via le projet Africa-EU Raw Materials Value Chain Partnership (AfricaMaVal), lancé en 2022 pour identifier une centaine d’opportunités d’investissement dans le secteur minier africain, tout en encourageant l’approvisionnement responsable et les investissements durables via une plateforme dédiée. Le Sénégal, le Maroc et le Rwanda sont bien placés pour rapidement émerger dans ce contexte, en fournissant par exemple du lithium et du phosphate. Cet impératif économique et politique ne doit toutefois pas se faire au détriment da la transition même que servent ces ressources. Les partenaires commerciaux africains devront être en mesure de répondre aux critères RSE que l’Europe impose en respect à sa législation. Même si les normes CSRD et CS3D sont nécessaires et fondamentales, on peut craindre que l’Asie demeure un partenaire moins regardant que l’Europe, avec des règles moins durables mais plus profitables à court terme. Reste donc à aménager des moyens pragmatiques de collaboration pour que ces partenariats soient gagnant-gagnant et pérennisent de nouvelles voies d’échange.