Par Abderrahmane MEBTOUL, Professeur des universités, expert international
Des négociations stratégiques devraient s’ouvrir en 2025 entre l’Algérie et l’Union européenne (UE) pour réviser certaines dispositions de l’Accord d’association, en vigueur depuis le 1er septembre 2005. L’objectif principal de ces pourparlers est d’aplanir les divergences et de poser les bases d’un partenariat commercial et économique plus équilibré. Lors de son entretien médiatique du 5 octobre 2024, le président Abdelmadjid Tebboune a confirmé la nécessité d’une révision de cet accord, affirmant qu’elle se déroulera dans un esprit de dialogue constructif et amical.
Contexte et principes de l’Accord
L’Accord d’association, couvrant les volets économiques, politiques, sociaux et culturels, partage des similitudes avec les règles établies par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cependant, l’Algérie, observatrice à l’OMC depuis 1987, n’a toujours pas finalisé son adhésion. Les négociations actuelles mettent en lumière des points clés, tels que l’élimination des restrictions quantitatives, l’interdiction de la dualité des prix des ressources naturelles et la mise en conformité avec les normes internationales en matière de santé et d’environnement.
Pour l’Algérie, les impacts économiques de cet accord incluent le démantèlement progressif des droits de douane, l’ouverture à la concurrence internationale et l’ajustement des monopoles d’État à caractère commercial. Les secteurs énergétiques, fortement intégrés au marché mondial, représentent un défi particulier. Si les hydrocarbures en amont sont peu affectés, les produits pétroliers en aval seront soumis à une concurrence accrue. De plus, l’Algérie devra répondre aux exigences européennes sur les services énergétiques et s’adapter à la transition énergétique mondiale prévue entre 2025 et 2030.
Les divergences majeures
Les relations entre l’Algérie et l’UE se sont complexifiées à partir de 2009, avec l’introduction par l’Algérie de la règle 51/49 %, qui exige une participation majoritaire algérienne dans les projets d’investissement. Cette disposition, perçue par l’UE comme une violation de certains articles de l’Accord, a provoqué des tensions. De plus, la part de marché européenne dans les importations algériennes a chuté au profit de la Chine, un facteur critiqué par Bruxelles.
L’Union européenne, tout en reconnaissant la nécessité d’une révision, insiste sur des réformes structurelles pour garantir un cadre juridique stable et attractif. Ces réformes incluent la modernisation du secteur financier, la réduction des subventions et le développement des partenariats public-privé. L’assouplissement récent de la règle 51/49 % dans les secteurs non stratégiques a été salué, bien que des clarifications soient encore attendues.
Les attentes algériennes
Pour l’Algérie, la révision de l’accord doit répondre à des préoccupations économiques spécifiques, notamment le rééquilibrage des échanges commerciaux. L’article 11 de l’Accord prévoit des mesures exceptionnelles pour protéger certaines industries naissantes ou en restructuration. Cependant, ces mesures sont jugées insuffisantes par Alger, qui plaide pour un élargissement de leur champ d’application. L’objectif est de renforcer le potentiel de l’Accord tout en tenant compte des réalités économiques et sociales du pays.
L’Algérie souhaite également intégrer davantage la dimension environnementale et s’engager pleinement dans la transition énergétique, notamment à travers des projets comme le gazoduc Nigeria-Europe via l’Algérie, qui pourrait jouer un rôle clé dans l’approvisionnement énergétique européen.
Un partenariat stratégique à redéfinir
L’Union européenne considère l’Algérie comme un acteur incontournable de la stabilité régionale et de la sécurité énergétique. Avec une part de 19 % dans les importations européennes de gaz en 2023, l’Algérie est devenue le deuxième fournisseur de l’UE après la Norvège. Les efforts algériens en matière de sécurité et de défense, combinés à son rôle dans la stabilisation de la région du Sahel, renforcent son importance stratégique pour l’Europe.
En revanche, les discussions à venir devront inclure des réformes structurelles en Algérie pour rendre son marché plus attractif. Cela passe par la diversification économique, la modernisation des infrastructures et la lutte contre l’économie informelle, qui représentait environ 47 milliards de dollars fin 2022, soit un tiers de la masse monétaire en circulation.
Vers une coopération renforcée
Les négociations prévues pour 2025 constituent une opportunité unique de relancer la coopération entre l’Algérie et l’UE. L’objectif est de dépasser les divergences et de construire un partenariat axé sur des intérêts mutuellement bénéfiques. Cela inclut une meilleure exploitation des volets politique, économique et humain de l’Accord, tout en intégrant les défis géostratégiques et environnementaux du XXIe siècle.
Dans ce contexte, l’Algérie et l’Europe doivent dépasser les différends pour bâtir un cadre de coopération durable, essentiel à la stabilité et à la prospérité des deux rives de la Méditerranée.