(1dollar = 4 670 Ariary). Le projet de loi de finances 2025, actuellement en débat à Madagascar, prévoit l’introduction d’une taxe de 0,5 % sur les transactions mobile money dépassant 150 000 ariary, soit près de 20 000 FCFA. Présentée par Rindra Rabarinirinarison, la ministre de l’Economie et des Finances comme un « moindre mal », comparé à d’autres options, à l’image d’une taxation du riz ou des médicaments, pour générer des recettes supplémentaires, cette mesure a déclenché une levée de boucliers, notamment parmi les opérateurs de mobile money. Si l’on s’intéresse aux expériences de taxations mises en place dans d’autres pays africains, le projet du gouvernement malgache pourrait bien entraver considérablement le développement de l’économie et de la société malgache et ce, pour des bénéfices souvent surestimés.
342 millions de transactions, pour une valeur de 38 161 milliards d’ariary, contre 211 millions d’opérations enregistrées deux ans auparavant : le mobile money est en plein boom à Madagascar et joue un rôle crucial dans l’accès aux services financiers pour les populations non bancarisées.
Annoncée le 14 novembre par le gouvernement malgache, l’introduction d’une taxe de 0,5% sur les transactions mobile money dépassant 150 000 arirary menace de freiner cet élan et de compromettre les progrès effectuées en matière d’inclusion et de digitalisation économique.
Le risque d’une chute des transactions mobile money
D’autres pays africains ont déjà expérimenté une taxation sur les transactions mobile money. Et les exemples sont légions pour démontrer le caractère dissuasif de cette mesure sur les utilisateurs. À Madagascar, où l’inclusion financière reste un défi majeur, le risque que cette mesure entraîne une diminution de l’utilisation des services de mobile money est bien réel, comme cela a été le cas au Ghana après l’instauration de la taxe électronique de 1,5 % en mai 2022.
L’exemple du Kenya est encore plus illustrateur de cet effet dissuasif. En 2013, le gouvernement Kenyan a instauré une taxe de 10% sur les frais de transfert d’argent. Appliquée aux frais encourus pour toutes les transactions financières, y compris celles effectuées via le mobile money, la taxe a été portée à 12% en 2018. Conséquence : en 2023, la hausse de 0,5 % de la valeur des transactions a représenté la croissance la plus lente depuis l’introduction du service en mars 2007. Selon un rapport de la Kenya Revenue Authority, ce ralentissement est le résultat de l’augmentation de la taxe sur le mobile money, passée de 12 % à 15 % en 2023, un niveau record plaçant ainsi le pays d’Afrique de l’Est parmi les pays avec les taux de taxation les plus élevés dans ce secteur pour le continent.
En Tanzanie, la taxation du mobile money instaurée en juillet 2021 a entraîné une diminution de 38% du volume des transactions dans les mois suivant sa mise en œuvre, les opérations passant de 30 millions à 18 millions de Shilling par mois.
Le Cameroun a également expérimenté une mesure similaire. Portée à seulement 0,2 % sur la valeur des transactions, la taxe a néanmoins provoqué une baisse significative de la rentabilité des prestataires d’argent mobile, comme le souligne le rapport Taxing Mobile Money in Africa: Risk and Reward, de l’International Centre for Tax & Development, qui explique que certains agents, face à cette taxe, ont été contraints de facturer des frais supplémentaires. D’autres ont même dû cesser leurs activités, entravant ainsi l’accès aux services financiers dans les zones rurales.
Dans l’ensemble de ces pays, ces pratiques ont été fortement dénoncées autant par la société civile, les populations que les opérateurs de téléphonie mobile. Ainsi, au Ghana, la proposition de taxe sur les transactions électroniques, baptisée E-Levy , a suscité une opposition publique significative, entraînant des manifestations dans les rues de la capitale et des campagnes sur les réseaux sociaux. Sur X, le hashtag #NoToElevy a été largement relayé, les utilisateurs postant de nombreuses vidéos et plaidoyers pour exprimer leur mécontentement.
Une menace pour la survie économique de milliers de Malgaches
De plus, la taxe proposée risque d’avoir un impact disproportionné à la fois sur les ménages les plus vulnérables, pour lesquels le mobile money représente souvent le seul moyen d’accéder à des services financiers, mais aussi sur les personnes vivant de cette activité.
En effet, Madagascar compte plus de 160 000 agents de distribution et une diminution de l’utilisation des services de mobile money réduirait drastiquement leurs revenus, risquant de mettre en péril leur stabilité économique et celle de leurs familles. Au total, c’est la survie économique d’un million de personnes qui pourrait être menacée.
Face à ce risque majeur, les trois principaux opérateurs à Madagascar – MVola, Orange Money et Airtel Money – sont montés au créneau, estimant, dans un communiqué commun, que cette mesure augmentera considérablement les frais de transfert, réduisant ainsi l’accessibilité pour des millions de Malgaches. Ils avertissent également que la taxe entraînera une augmentation des paiements en espèces, accentuant l’informalité de l’économie et les risques liés à la manipulation de liquidités.
Sur les réseaux sociaux, des Malgaches commencent à dénoncer le projet de taxe du gouvernement, la désignant comme une mesure “injuste” et “inappropriée”, qui risquerait de pénaliser les populations les plus vulnérables. Certains membres de la société civile envisagent même divers plans d’actions pour contester la décision du gouvernement. L’un d’eux, interrogé sous couvert d’anonymat, exprime son indignation : “Cette taxe est une décision abusive et totalement déconnectée de la réalité des Malgaches, qui va à l’encontre des efforts pour promouvoir l’inclusion financière”.
Ce mécontentement grandissant reflète une désapprobation qui pourrait, si elle n’est pas prise en compte, alimenter une mobilisation plus large dans les semaines à venir.Une situation risquant d’être à rebours complet des objectifs affichés par le gouvernement malgache, qui s’efforce de promouvoir la digitalisation de l’économie, notamment à travers des initiatives telles que la dématérialisation des paiements des bourses étudiantes dans les universités.
Des recettes fiscales souvent surestimées
Si le gouvernement malgache espère collecter 143 milliards d’ariary en 2025 grâce à cette taxe, les précédents sur le continent africain montrent, au contraire, que les prévisions fiscales sont souvent surestimées. Au Ghana, les recettes générées par la taxe sur les transactions électroniques ont été bien en dessous des attentes initiales. Initialement, les autorités prévoyaient de collecter environ 6,9 milliards de cédis ghanéens grâce à cette taxe. Cependant, selon un rapport de la Chambre de commerce des télécommunications du Ghana, le gouvernement n’a réussi à collecter que 482,8 millions de cédis, soit un chiffre bien en dessous des prévisions initiales, qui s’explique en partie par une diminution de l’utilisation des services de mobile money, les utilisateurs cherchant à éviter les frais supplémentaires imposés par la taxe.
Une alternative à considérer serait de soutenir activement le développement du mobile money plutôt que de le taxer. En effet, encourager une adoption plus importante des paiements numériques pourrait contribuer à stimuler l’économie locale par un renforcement de l’inclusion financière. La Société Financière Internationale (SFI), membre du Groupe de la Banque mondiale, estimait d’ailleurs en 2023, qu’en accélérant la transformation numérique, Madagascar pourrait créer environ 140 000 nouveaux emplois dans neuf secteurs comme l’habillement, l’agroalimentaire ou encore le tourisme d’ici 2027.