L’Africa Financial Summit – AFIS fondé par Jeune Afrique Média Group en 2021 et co-organisé par l’International Finance Corporation (IFC), membre de la Banque Mondiale, le Ministère de l’Economie et des Finances du Maroc et la Bourse de Casablanca se tiendra cette année à Casablanca, les 9 et 10 décembre 2024. Une rencontre qui a lieu dans un contexte de reconfiguration sans précédent de l’industrie financière africaine autour du thème « « UNE NOUVELLE ÈRE : LE TEMPS DES PUISSANCES FINANCIÈRES AFRICAINES EST VENU ». Pourquoi le choix de ce thème et en quoi reflète-t-il les évolutions et les aspirations du secteur financier africain? Des réponses avec Ramatoulaye Goudiaby, directrice de l’AFIS. Elle se prononce également sur le choix du Maroc pour abriter le sommet ainsi que l’évolution du secteur financier sur le continent.
Propos recueillis par Nephthali Messanh Ledy
Quels ambitions et objectifs motivent l’organisation de l’Africa Financial Summit-AFIS, cette année au Maroc ?
Nous sommes très heureux d’organiser cette édition de l’Africa Financial Summit-AFIS au Maroc pour plusieurs raisons stratégiques qui mettent en lumière la pertinence de Casablanca en tant que lieu d’accueil de cet événement panafricain majeur.
Tout d’abord, Casablanca est un véritable hub financier sur le continent africain. Le Maroc, avec trois de ses banques figurant parmi les dix premières en Afrique et la deuxième plus grande bourse du continent, incarne une puissance financière régionale. Ce positionnement reflète son engagement à devenir un moteur de croissance économique et de finance durable en Afrique, soutenu par des initiatives comme sa stratégie nationale d’inclusion financière.
Ensuite, la localisation géographique du Maroc, à la croisée de l’Europe, du monde arabe et de l’Afrique, en fait une passerelle naturelle pour favoriser les échanges et collaborations transcontinentales. Cet avantage stratégique est complété par un environnement linguistique diversifié, permettant à Casablanca de jouer un rôle de pont entre les communautés francophones, anglophones et arabophones du continent.
Enfin, le Maroc s’est affirmé comme un acteur engagé dans la transformation économique de l’Afrique, grâce à son rôle actif dans les projets d’intégration régionale et sa capacité à attirer des investissements internationaux. En accueillant l’AFIS, le pays consolide sa position de leader dans la définition d’une vision commune pour renforcer la résilience et la compétitivité des systèmes financiers africains.
Casablanca offre donc un cadre idéal pour réunir décideurs publics et privés, institutions financières et acteurs de l’innovation, afin de tracer les contours d’une nouvelle ère pour la finance africaine.
« UNE NOUVELLE ÈRE : LE TEMPS DES PUISSANCES FINANCIÈRES AFRICAINES EST VENU ». Pourquoi le choix de ce thème et en quoi reflète-t-il les évolutions et les aspirations du secteur financier africain ?
Ce thème traduit une volonté affirmée de positionner les institutions financières africaines comme des piliers essentiels de l’économie mondiale. Il incarne une vision ambitieuse d’un secteur financier capable de mobiliser des ressources à l’échelle continentale tout en attirant des capitaux internationaux pour répondre aux enjeux économiques et sociaux de l’Afrique.
Ce thème reflète également les évolutions actuelles du paysage financier africain, marqué par l’émergence de banques, fintechs et bourses qui innovent et renforcent leur présence sur la scène régionale et internationale. Des initiatives comme l’African Exchanges Linkage Project (AELP) jouent un rôle clé en facilitant l’intégration des marchés financiers et en stimulant les flux de capitaux intra-africains, tandis que les efforts pour harmoniser les cadres réglementaires contribuent à renforcer la souveraineté économique du continent.
Cependant, cette dynamique positive doit être accompagnée d’une prise en compte des défis persistants, notamment la fragmentation des marchés, les disparités économiques entre les pays et l’inclusion financière encore insuffisante. Ce thème invite donc les acteurs financiers à passer de l’ambition à l’action, en développant des stratégies concrètes pour bâtir un écosystème solide, inclusif et adapté aux spécificités africaines.
Je conclurai tout simplement en disant que cette thématique reflète une Afrique en mouvement, prête à relever les défis d’aujourd’hui pour devenir un acteur incontournable de l’innovation et de la croissance financière à l’échelle mondiale.
L’édition 2024 se terminera par un panel réunissant plusieurs gouverneurs de banques centrales africaines. Dans un contexte où la résilience financière de l’Afrique est soumise à de fortes pressions, quel rôle, ces gouverneurs devraient-ils jouer pour impulser une modernisation significative de l’industrie financière du continent ?
Dans un contexte où la résilience financière de l’Afrique est mise à l’épreuve par des pressions économiques mondiales, les gouverneurs des banques centrales ont un rôle essentiel à jouer pour moderniser l’industrie financière du continent. Leur mission doit s’articuler autour de trois axes stratégiques : la régulation, l’innovation et l’intégration.
Tout d’abord, ils doivent adopter des cadres réglementaires adaptés aux évolutions économiques et technologiques, afin de garantir la stabilité financière tout en encourageant l’innovation. Par exemple, les régulateurs de la zone UMOA et celui du Nigeria ont respectivement fin 2023 et 2024 renforcés les exigences en fonds propres pour les banques commerciales afin de consolider leur secteur bancaire et d’accroître sa résilience. De même, des initiatives comme la régulation des fintechs au Kenya montrent qu’il est possible de trouver un équilibre entre sécurité et innovation pour intégrer ces acteurs émergents dans l’écosystème financier.
Ensuite, les gouverneurs doivent encourager l’innovation en facilitant l’adoption de technologies telles que la blockchain, l’intelligence artificielle et les monnaies numériques de banque centrale (CBDC). Par exemple, en juin 2024, la BCEAO a annoncé le lancement d’une phase pilote pour un système de paiement instantané interopérable, visant à simplifier et à accélérer les transactions entre divers acteurs économiques de la région. Ce projet promet de transformer les habitudes de transfert d’argent dans la région, en facilitant les paiements instantanés et en réduisant les coûts associés.
Enfin, ils ont un rôle clé à jouer dans l’intégration régionale des marchés financiers. Des initiatives comme le Pan-African Payment and Settlement System (PAPSS), conçu pour réduire les coûts et les délais des paiements transfrontaliers en monnaie locale, montrent comment une meilleure coopération peut transformer les flux financiers en Afrique. Par ailleurs, le soutien à l’African Exchanges Linkage Project (AELP), qui connecte les bourses africaines, est crucial pour stimuler la liquidité des marchés et attirer davantage d’investissements étrangers.
En somme, leur action doit combiner rigueur et ambition pour construire un secteur financier africain résilient, inclusif et compétitif sur la scène internationale. En adoptant des réformes inspirées d’exemples concrets, les gouverneurs peuvent transformer les défis actuels en opportunités pour le continent.
Les banques commerciales, souvent perçues comme réticentes à financer les PME, sont au cœur des économies africaines. Comment pourraient-elles mieux soutenir ce segment clé pour stimuler la croissance économique et l’innovation ?
Les banques commerciales africaines occupent une place centrale dans les économies du continent, mais elles sont souvent perçues comme hésitant à financer les PME, pourtant essentielles à la croissance et à l’innovation. Je suis convaincue que ces banques peuvent trouver un équilibre entre rentabilité et soutien aux PME. Pour y parvenir, elles doivent continuer à développer des partenariats, innover et adapter leurs modèles afin de devenir des catalyseurs d’un écosystème entrepreneurial dynamique et inclusif.
Des initiatives récentes témoignent d’une évolution positive. Par exemple, Ecobank a mis en œuvre des actions majeures, notamment des accords de partage des risques avec African Guarantee Fund pour faciliter l’accès au financement des PME, ainsi qu’une facilité de prêt de 32,8 millions de dollars obtenue auprès du Fonds eco.business et du Fonds SANAD. La banque propose également des solutions bancaires spécifiques, des formations en gestion d’entreprise et des plateformes de mise en relation pour aider les PME à renforcer leurs capacités et à s’intégrer aux marchés régionaux et internationaux.
Les partenariats avec des institutions internationales ouvrent également de nouvelles perspectives. En janvier 2024, la Banque européenne d’investissement (BEI) et la Banque africaine de développement (BAD) ont annoncé un investissement conjoint de 30 millions de dollars dans le fonds de capital-risque Seedstars Africa Ventures I. Ce fonds vise à soutenir environ 1 500 start-ups et PME africaines en leur proposant des mécanismes de financement adaptés et innovants, facilitant ainsi l’accès au capital-risque pour les entreprises en phase de démarrage et stimulant la création d’emplois sur le continent.
Enfin, je pense que les banques doivent s’appuyer davantage sur les technologies numériques. Les collaborations avec des fintechs, par exemple, permettent d’évaluer les risques à partir de données alternatives, telles que l’historique des paiements numériques, ce qui réduit considérablement les obstacles à l’octroi de crédits et améliore l’inclusion financière.
Depuis quelques années, le retrait progressif des groupes bancaires européens se fait sentir dans le secteur bancaire africain. Comment interpréter ces départs ? Peut-on y voir une opportunité pour l’émergence et le renforcement de nouveaux acteurs bancaires africains ?
Le retrait progressif des groupes bancaires européens (BNP Paribas, Société Générale, Barclays etc..) du secteur bancaire africain s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, la restructuration stratégique de ces groupes, cherchant à se concentrer sur leurs marchés domestiques ou d’autres régions plus rentables, a conduit à une réduction de leur présence en Afrique. D’autre part, le cadre réglementaire international, notamment les exigences accrues en matière de fonds propres introduites par Bâle III, a dissuadé certaines banques européennes de maintenir des opérations coûteuses sur des marchés jugés risqués.
Cependant, ce retrait peut être interprété comme une opportunité majeure pour l’émergence et le renforcement de nouveaux acteurs bancaires africains. En prenant le relais, ces institutions locales et régionales peuvent mieux répondre aux besoins spécifiques des économies africaines grâce à leur connaissance approfondie des réalités locales et devenir de véritables champions continentaux, voire internationaux.
Par ailleurs, cette dynamique incite les banques africaines à renforcer leur solidité financière et leur compétitivité. Les exigences en fonds propres, comme celles imposées par la Banque centrale du Nigeria, favorisent la consolidation des acteurs locaux, leur permettant d’affronter les défis économiques avec davantage de résilience. Des initiatives comme le Fonds africain de garantie (AGF) ou les fonds de garantie de la Banque africaine de développement (BAD) continuent de jouer un rôle clé en soutenant le financement des PME, tout en réduisant les risques pour les prêteurs.
En conclusion, bien que le retrait des groupes européens puisse sembler inquiétant à première vue, il constitue une opportunité pour le secteur bancaire africain de se renforcer, d’innover et de s’adapter aux besoins spécifiques des économies locales. Avec une gestion proactive, cette transformation pourrait positionner les banques africaines comme des acteurs incontournables du financement du développement sur le continent.
Votre mot de la fin…
AFIS is not a talkshow! En tant que catalyseur de changement pour le secteur financier africain, cette plateforme unique doit continuer à jouer un rôle central pour que l’Afrique reste la nouvelle frontière de l’innovation, de la croissance et de la transformation économique.