Par Abderrahmane Mebtoul, Professeur des universités, expert international, expert-comptable, docteur d’État (1974), directeur général des études économiques et ancien haut magistrat, Premier conseiller à la Cour des comptes (1980-1983).
La Banque d’Algérie, organe officiel du gouvernement algérien, a publié fin novembre 2024 un rapport alarmant sur l’expansion de la sphère informelle dans le pays. Ce phénomène, caractérisé par des activités économiques échappant à tout cadre légal ou fiscal, compromet non seulement les recettes fiscales, mais également la stabilité et le développement économique. Bien que le rapport se concentre sur l’Algérie, il met en lumière une problématique commune à de nombreux pays africains, où l’économie informelle représente parfois une part significative du PIB. Ce constat soulève des enjeux majeurs en termes de gouvernance, de lutte contre la corruption et de renforcement des institutions. Une analyse approfondie de ce rapport est ici présentée.
Le système financier algérien, comprenant les banques, les douanes, et l’administration fiscale, constitue un levier essentiel des réformes structurelles nécessaires pour intégrer la sphère informelle. Ces réformes touchent l’écosystème dépendant fortement de la rente des hydrocarbures.
1. Les défis de la réforme du système financier
La réforme du système financier repose sur une amélioration de la gouvernance globale. En Algérie, les banques accompagnent peu les véritables investisseurs. Le président Abdelmadjid Tebboune a évoqué à plusieurs reprises la nécessité de moderniser les « guichets administratifs ». En revanche, la bourse d’Alger, créée en 1996, reste sous-exploitée et non connectée aux réseaux internationaux.
Plusieurs problématiques structurelles freinent le développement :
- Les banques publiques représentent encore plus de 85 % des crédits octroyés en 2024, limitant le rôle des banques privées.
- L’économie reste fortement dépendante de la rente pétrolière. Les entreprises dépendent majoritairement de la « monnaie hydrocarbures » pour leurs investissements et leur exploitation courante.
- La sphère informelle, alimentée par des dysfonctionnements bureaucratiques, représente environ 33,99 % de la masse monétaire en circulation, selon le rapport de la Banque d’Algérie en novembre 2024.
Cette sphère informelle affecte directement l’économie en :
- Réduisant les recettes fiscales : perte d’environ un tiers de la TVA et d’une part importante de l’impôt sur le revenu.
- Contribuant à la dépréciation continue du dinar : au 30 novembre 2024, le taux parallèle du dinar atteignait 254 dinars pour un euro, contre un taux officiel de 141 dinars.
Les efforts récents, tels que la limitation des transferts légaux à 7 200 euros par personne et par an, ont eu un impact limité. Par ailleurs, la finance islamique a généré des résultats mitigés, avec des dépôts atteignant seulement 623,83 milliards de dinars (4,65 milliards de dollars) en juin 2023.
2. Réformes profondes : une nécessité structurelle
La persistance de la sphère informelle résulte des dysfonctionnements étatiques et de l’emprise bureaucratique. Comme le montre une étude réalisée par Abderrahmane Mebtoul pour l’IFRI (2013, actualisée en 2019), la transformation de la « monnaie hydrocarbures » en « capital productif » demeure le principal enjeu. Les banques publiques sont surliquides mais incapables de convertir ces liquidités en investissements productifs. Cette situation reflète une économie dépendante de la rente pétrolière, avec des taux de croissance, de chômage et d’inflation fictifs.
Les données de 2024 montrent que :
- Le taux d’intégration de l’économie ne dépasse pas 15 %.
- Les exportations hors hydrocarbures ont chuté de 7 à 5 milliards de dollars entre 2022 et 2023, dont 67 % sont des dérivés d’hydrocarbures.
- La sphère informelle contrôle plus de 65 % des marchés des produits de première nécessité(fruits, légumes, viande, textile).
3. L’urgence d’un État de droit et d’une gouvernance transparente
La lutte contre la sphère informelle et la corruption passe par :
- Une réforme structurelle de l’État, notamment en réduisant la bureaucratisation excessive.
- La mise en place d’un véritable État de droit pour instaurer la confiance et attirer les investissements productifs.
- L’amélioration des infrastructures juridiques, notamment le droit de la propriété, pour intégrer l’économie informelle.
Les obstacles majeurs identifiés incluent :
- Une centralisation excessive du pouvoir décisionnel.
- Un système bureaucratique qui freine l’efficacité économique et le développement durable.
Comme l’indique Max Weber, la bureaucratie est nécessaire au fonctionnement d’une économie, mais elle doit être au service de la société, et non devenir un frein au développement.
Conclusion
Le rapport de novembre 2024 de la Banque d’Algérie met en lumière les défis structurels auxquels le système financier est confronté. La lutte contre la sphère informelle, source de corruption, est indissociable d’une gouvernance efficace et transparente. L’Algérie doit transformer son système basé sur la rente des hydrocarbures en une économie de marché véritable, soutenue par des institutions démocratiques solides. La refonte de l’État est donc un impératif stratégique pour garantir un développement durable et inclusif.