De plus en plus, le commerce international porte sur des biens semblables. Par exemple, la France et l’Allemagne s’échangent des automobiles ; les Etats Unis et l’Europe s’achètent réciproquement des avions. La Suède exporte ses voitures Volvo vers l’Allemagne qui lui vend ses voitures BMW. C’est un constat que la théorie des avantages comparatifs et le modèle HOS ne peuvent expliquer car ils supposent que les pays se spécialisent dans des productions différentes et échangent selon une logique de complémentarité ; il a fallu de nouvelles théories pour expliquer le développement de ce type d’échange.
C’est dans ce sillage que Paul Krugman, économiste américain né en 1953, Prix Nobel 2008, va montrer que les économies d’échelle, la différenciation des produits et la concurrence imparfaite sont à la base du développement du commerce intrabranche que la nouvelle théorie du commerce international (NTCI) tente d’expliquer. C’est une nouvelle approche qui prône aussi une politique commerciale stratégique.
Le commerce intrabranche
Le commerce intrabranche désigne les échanges internationaux de produits ou services issus d’une même branche. Les échanges intra-branches sont donc les importations et les exportations de produits d’une même branche entre pays.
Au début des années 1980, le commerce intrabranche (échange de biens et services semblables) commence à émerger face au commerce interbranches (échange de biens différents). Il était relativement faible et représentait environ 10-15% du commerce mondial. Aujourd’hui, on estime qu’ilreprésente environ 30% à 40% des échanges mondiaux, voire davantage dans certains secteurs.
Parmi les facteurs expliquant la croissance du commerce intrabranche, nous pouvons citer:
• la mondialisation des chaînes de valeur qui permet aux entreprises de se spécialiser dans des segments spécifiques de produits au sein d’une même branche.
• la différenciation des produits puisque les consommateurs ont des goûts variés et recherchent des produits similaires, mais différenciés par la qualité, les caractéristiques ou les marques. Cela pousse ainsi les entreprises à produire des biens semblables mais non identiques.
• l’innovation ainsi que les progrès technologiques, dans des secteurs comme l’électronique, l’automobile et les biens de consommation, qui ont stimulé les échanges intrabranche.
• les accords de libre-échange et la réduction des barrières commerciales qui ont facilité le commerce intrabranche, notamment entre des pays ou régions développées.
• Le commerce intra-firme, c’est-à-dire l’échange international de biens ou de services entre filiales d’une même firme multinationale, dû à la fragmentation des chaines valeur entre les pays.
Les principaux domaines du commerce intrabranche sont :
• l’automobile où des pays comme l’Allemagne, le Japon et les États-Unis s’échangent non seulement des pièces détachées, mais aussi des modèles de voiture différents selon les préférences des marchés.
• l’électronique et l’informatique qui constituent un marchéoù les échanges de produits comme les ordinateurs, lestéléviseurs et les smartphones, entre des pays comme la Chine, les États-Unis, le Japon et l’Europe, sont également des exemples marquants de commerce intrabranche.
• les vêtements et les textiles constituent également un secteur où le commerce intrabranche est important, avec des pays échangeant des produits similaires mais adaptés à des segments de marché différents (exemple des vêtements de sport ou des vêtements de luxe).
Tous ces exemples montrent que les économies modernes sont de plus en plus interconnectées grâce aux échanges intra-branches.
Les hypothèses de la nouvelle théorie du commerce international
Les rendements d’échelle croissants constituent une des hypothèses de base de cette théorie. Contrairement aux théories traditionnelles fondées sur les rendements constants ou décroissants, la NTCI soutient que les économies d’échelle – c’est-à-dire la diminution du coût moyen de production quand la quantité produite augmente – expliquent le développement du commerce international. En effet, plus un pays fabrique un produit, plus il devient productif dans ce domaine car il développe un savoir-faire et des économies d’échelle. Le marché mondial, par sa taille, lui offre l’opportunité de réaliser des économies d’échelle et pour le grand bonheur des consommateurs.
La différenciation des produits et la concurrence imparfaiteconstituent un autre argument de taille avancé par NTCI pour expliquer le commerce intrabranche. En effet la différenciation du produit est une stratégie qui permet à une entreprise de s’affirmer comme un « monopole » (vendeur unique). C’est ainsi qu’une entreprise, qui veut se distinguer sur les marchés, tente de devenir un producteur unique en proposant des produits ayant des caractéristiques distinctes de celles de ceux de ses concurrents. La qualité du produit, la fiabilité du service après-vente, l’étendue du réseau de distribution, l’image de marque, le design des marchandises, etc., constituent une façon de se singulariser.
Par ailleurs du côté des consommateurs, les préférences (goûts et les couleurs) sont loin d’être homogènes. Ainsi, la stratégie de différenciation des entreprises rencontre les préférences hétérogènes des consommateurs ; ce qui engendreinéluctablement un marché de produits non identiques.
La Politique commerciale stratégique
La politique commerciale stratégique est un concept développé par Paul Krugman dans les années 1980, et il a joué un rôle clé dans l’évolution de la théorie économique du commerce international. Avant cela, la théorie classique deDavid Ricardo et Heckscher-Ohlin-Samuelson, soutenait que le commerce international devait reposer sur la libre circulation des biens ou services, la concurrence parfaite et sur les avantages comparatifs.
L’un des points essentiels de la politique commerciale stratégique de Krugman repose sur l’idée selon laquelle les pays peuvent créer des avantages concurrentiels en investissant dans certaines branches de manière proactive. Un pays qui réussit à développer une industrie clé peut ainsi profiter d’un « avantage de première-mobilité » où sa position initiale lui donne un avantage concurrentiel durable, notamment à travers des subventions à l’exportation, des barrières douanières temporaires, ou des politiques de soutien à la Recherche-Développement. De telles mesures peuvent être des outils efficaces pour stimuler la compétitivité d’un pays dans des secteurs où les rendements d’échelle sont croissants et où la concurrence internationale est particulièrement intense. Cela implique un rôle actif de l’État dans la politique industrielle.
Une illustration de la politique commerciale stratégique est donnée par la branche aéronautique. En effet, face au premier constructeur mondial, l’américain Boeing, dans les années 1970-1980, il n’y avait pas de rival en Europe. Certains pays européens ont alors créé un consortium (entreprise commune, au sein de laquelle on répartit la production entre les pays) et l’ont soutenu de manières diverses pour finalement parvenir à développer Airbus. L’aéronautique est une branche dans laquelle l’entrée est très coûteuse (les équipements sont très spécialisés, la Recherche-Développement doit être très poussée, le réseau clients est très difficile à constituer). Airbus n’aurait jamais pu se développer sans ce soutien qui a permis de développer une industrie aéronautique, donc d’augmenter la production réalisée sur le territoire européen.
En résumé, la politique commerciale stratégique de Paul Krugman met en lumière l’importance des rendements d’échelle croissants, des externalités et de la concurrence imparfaite dans le commerce international. Elle propose une approche plus nuancée du libre-échange, justifiant parfois l’intervention de l’État pour soutenir des branches d’avenir ou des industries stratégiques.
Cependant, cette approche n’est pas exempte de critiques. En effet, l’intervention gouvernementale dans les marchés internationaux peut mener à des distorsions de marché, à des rivalités commerciales exacerbées ou des guerres commerciales, au détriment du bien être des consommateurs.De plus, certaines formes de protectionnisme peuvent entraîner une inefficacité économique à long terme si elles ne sont pas correctement gérées.
À propos de Pr Amath NDiaye / FASEG-UCAD
Prof. Amath Ndiaye est un éminent économiste sénégalais, titulaire d’un Doctorat d’État en Sciences Économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (2001) et d’un Doctorat de 3e cycle en Économie du Développement de l’Université de Grenoble, France (1987). Depuis 1987, il enseigne à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Expert reconnu, il a collaboré avec des institutions prestigieuses telles que la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, et le FMI, se spécialisant notamment dans les domaines des taux de change, de la croissance économique, et du développement institutionnel. Il était expert-membre du comité de pilotage de la Commission de l’Union Africaine pour la Création de la Banque Centrale Africaine.. Prof. Ndiaye est l’auteur de nombreuses publications influentes, notamment sur les régimes de change et la croissance économique en Afrique de l’Ouest. Trilingue, il maîtrise le wolof, le français et l’anglais.