Teresa Clarke*, présidente, directrice générale et rédactrice en chef d’Africa.com, a interviewé Paulin Basinga sur l’avancement des initiatives de santé publique en Afrique.
Alors que les discours sur l’Afrique oscillent souvent entre désespoir et paternalisme, le Dr Paulin Basinga (photo), nouvellement nommé à la tête de la Fondation Bill & Melinda Gates en Afrique, a parlé de la vision de la philanthropie qui privilégie la dignité et le partenariat plutôt que la dépendance. Dans l’interview avec Africa.com, il s’est montré très clair quant à sa vision : «L’Afrique n’a pas besoin de pitié ni de charité. C’est un continent plein de potentiel, et notre travail consiste à travailler ensemble pour l’exploiter ».
Selon Dr. Basinga, l’ouverture des locaux de l’institution en Afrique n’est pas simplement symbolique. Elle témoigne d’un engagement à long terme visant à intégrer la philanthropie dans les écosystèmes urbains en Afrique, de manière à renforcer les structures existantes plutôt que de s’y substituer. « La philanthropie doit faciliter le développement et en aucun cas gêner les gouvernements ou le secteur privé », explique-t-il.
Alors que l’Afrique est confrontée à des défis qui touchent plusieurs domaines, du changement climatique à l’insécurité alimentaire, Dr. Basinga admet que la philanthropie « seule » ne peut pas résoudre tous ces problèmes. Mais il reste optimiste. « Notre rôle est de susciter les types d’innovation et de collaboration qui conduisent à un changement durable », déclare-t-il.
Une présence accrue pour un impact plus grand
Avec de nouveaux locaux au Sénégal et au Kenya, Dr Basinga entend conduire la fondation vers une nouvelle ère de proximité et de partenariat. Il insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’étendre l’influence de la fondation, mais d’en renforcer l’impact. « Nous avons appris au fil du temps que la proximité avec les décisionnaires et les communautés locales fait une différence significative dans la mise en place de solutions durables », déclare-t-il en pensant à l’évolution de la stratégie de la fondation.
Le développement récent au Kenya et au Sénégal est très important car il permet à la Fondation de couvrir les trois principales régions d’Afrique, créant ainsi des pôles sous-régionaux. Et Dr. Basinga de préciser que « le fait d’étendre notre empreinte met en évidence notre engagement à entretenir une relation durable avec l’Afrique ».
Renforcer les capacités locales, et non la dépendance
La carrière du docteur Basinga a été marquée par ses expériences à travers le continent, que ce soit en menant des réformes du système de santé au Rwanda ou en renforçant les programmes de santé en Éthiopie et au Nigéria. Une perspective qui lui permet de voir à la fois les opportunités et les défis de la philanthropie dans le monde. Il a conscience des dangers de la dépendance à l’égard des financements extérieurs. « Nous devons nous interroger : Comment faire en sorte que les gouvernements et les institutions locales soutiennent ces efforts lorsque la philanthropie se retire ? »
Les bureaux nouvellement ouverts au Sénégal et au Kenya permettront d’approfondir les partenariats à travers l’Afrique et de soutenir les initiatives locales en matière de santé tout en favorisant une collaboration régionale plus forte. Tous ces efforts sont axés sur le renforcement des systèmes de santé, que Dr. Basinga qualifie de « fondement » du développement durable. «L’objectif n’est pas de remplacer les fonctions gouvernementales, mais de renforcer leur capacité à fournir de meilleurs services », explique-t-il. Cela permet de soutenir les bases de données qui améliorent la distribution des vaccins et de financer les institutions de recherche locales qui peuvent être à l’origine des innovations en matière de santé en Afrique.
Tirer profit de la diversité des expériences
Les différentes responsabilités que Dr. Basinga a occupées au sein de la fondation lui ont permis d’acquérir une connaissance approfondie des priorités africaines. Depuis son premier travail au Rwanda sur les réformes de la santé publique jusqu’à la direction de l’équipe mondiale de plaidoyer politique à Seattle, son expérience polyvalente englobe le renforcement des systèmes de santé, le développement du capital humain et l’autonomisation économique. En réfléchissant à son parcours, il déclare : « Chaque rôle m’a permis d’acquérir à la fois une expertise technique et une compréhension approfondie des priorités africaines. Aujourd’hui, alors que je dirige notre équipe africaine, j’applique ces expériences pour favoriser une approche globale »
Santé, innovation et confiance
Au cœur de la mission de Dr. Basinga se trouve la volonté de veiller à ce que l’Afrique devienne un chef de file en matière d’innovation dans le domaine de la santé. Il considère que la recherche et la production locales sont essentielles non seulement pour améliorer l’accès aux médicaments, mais aussi pour rétablir la confiance dans les systèmes de santé. « Si les vaccins sont recherchés, produits et distribués en Afrique, on leur fera davantage confiance », affirme-t-il.
La fondation soutient déjà des initiatives visant à faire de cet objectif une réalité, qu’il s’agisse de l’Agence africaine des médicaments, qui renforcera les cadres réglementaires, ou du Réseau africain des essais cliniques, qui équipe des sites de recherche sur l’ensemble du continent. « Ces investissements ne concernent pas seulement les infrastructures. Ils visent également à favoriser l’autonomie et la confiance », ajoute-t-il.
Redéfinir le rôle de la philanthropie en Afrique
La vision du docteur Basinga n’est pas exempte de critiques. Alors que les organisations philanthropiques telles que la Fondation Gates étendent leur empreinte, selon certains, elles risquent d’accentuer les déséquilibres internationaux en matière de pouvoir ou de définir des priorités qui ne s’alignent pas sur les besoins nationaux. Mais Dr. Basinga est catégorique : l’approche de sa fondation est différente ! « Le fait d’être africain détermine ma façon de diriger », déclare-t-il.
Ayant des racines au Rwanda et en République démocratique du Congo, et parlant couramment plusieurs langues africaines, M. Basinga considère son identité comme un pont entre l’expertise mondiale et les réalités nationales. « Nous ne sommes pas là pour imposer des solutions. Notre rôle est d’écouter, de respecter les connaissances des habitants et de soutenir les changements que les Africains sont déjà en train de réaliser ».
Cette philosophie s’étend à la manière dont la fondation s’engage auprès du secteur privé. La fondation a été à l’origine de modèles de financement innovants, tels que le partenariat avec les banques pour réduire les coûts d’emprunt pour les petits exploitants agricoles. Cependant, Dr. Basinga est conscient des limites de la philanthropie. « Notre retour sur investissement se mesure en termes d’impact humain et non de gain financier », déclare-t-il.
En outre, Dr Basinga a souligné l’importance de la recherche et de la production de vaccins en Afrique pour renforcer la confiance du public et garantir la disponibilité de vaccins efficaces. Il a mentionné que « la participation des chercheurs africains et le renforcement de la chaîne des vaccins, depuis les essais cliniques jusqu’à la production, sont essentiels ». Des initiatives telles que le Réseau africain d’essais cliniques et le soutien aux fabricants locaux, tels que Revital au Kenya et l’Institut Pasteur à Dakar, sont essentielles pour développer un écosystème de santé autonome.
Dr. Basinga a souligné le rôle essentiel de la philanthropie pour remédier aux défaillances du marché, en particulier dans le domaine de la santé. Il a expliqué que « la philanthropie joue un rôle crucial dans le développement mais elle est surtout efficace lorsqu’elle est appliquée de manière stratégique ». Des initiatives telles que GAVI ont considérablement augmenté la disponibilité des vaccins en mobilisant des fonds et en améliorant les systèmes d’immunisation. La fondation continue de soutenir la recherche et l’innovation à un stade précoce, comme le développement de nouveaux vaccins contre la tuberculose, et améliore les fonctions gouvernementales grâce à l’analyse de données et à des services de soutien.
La santé, l’agriculture et l’émancipation des femmes sont prioritaires.
Les principales priorités de la fondation en Afrique sont la santé, en particulier l’éradication de la poliomyélite, la lutte contre les maladies infectieuses, la réduction du taux de mortalité maternelle et infantile et le renforcement des systèmes de santé.
L’agriculture est également une priorité, avec une attention particulière au soutien de l’adaptation au changement climatique, à l’amélioration de l’accès aux semences et aux engrais pour augmenter la productivité agricole.
La fondation est également présente dans le domaine de la finance inclusive en renforçant l’accès financier aux femmes et aux petits exploitants agricoles afin de promouvoir l’autonomisation économique. La fondation soutient également l’alphabétisation et le calcul dans les écoles primaires par le biais de politiques fondées sur des données probantes, ainsi que l’infrastructure publique numérique qui permet aux pays d’offrir des opportunités économiques et des services sociaux en toute sécurité.
Conclusion
La vision stratégique de Dr. Paulin Basinga pour la Fondation Gates en Afrique incarne un engagement en faveur d’un développement durable et impactant par le biais d’un engagement local, de partenariats stratégiques et d’une compréhension profonde des différents besoins du continent.
Avec plus de treize ans d’expérience au sein de la Fondation et ayant travaillé dans différents pays d’Afrique, il se sent prêt à mener l’organisation vers un avenir fructueux et durable en Afrique.
*Notes
*Teresa Clarke est présidente et PDG d’Africa.com, la principale entreprise de médias numériques axée sur l’Afrique, avec plus d’un million de visiteurs par mois recherchant des actualités et des informations sur les 54 pays du continent. Avant de fonder Africa.com, Mme Clarke était directrice générale de la division banque d’investissement de Goldman, Sachs & Co. Elle fait partie des 15 leaders du secteur privé aux États-Unis nommés par le président Obama pour siéger au Conseil consultatif sur les affaires en Afrique, et elle est membre du Council on Foreign Relations.
- Elle siège également au conseil d’administration de Cim Financial Services Ltd, une entreprise publique basée à Maurice et Singapour, avec plus de 150 milliards de dollars sous administration. Mme Clarke a été désignée comme l’une des 25 femmes les plus influentes dans le domaine des affaires par le Network Journal et a été honorée à deux reprises par le gouvernement sud-africain pour ses contributions à l’éducation en tant que fondatrice du Student Sponsorship Programme of South Africa. Elle est titulaire d’un BA en économie avec mention cum laude de Harvard College, d’un MBA de la Harvard Business School et d’un JD de la Harvard Law School