Gris gris, canaris et potions magique ou quand les banquiers font recours aux sciences occultes pour dompter leur monde trop cartésien. Lire les bonnes feuilles du livre « Comptes, décomptes et mécomptes des banques de l’UMOA) » de Cheickna Bounajim Cissé.
Il y a un mois, le banquier et économiste malien Cheickna Bounajim Cissé, surnommé « l’émergentier », annonçait la sortie de son 5ème livre (« Comptes, décomptes et mécomptes des banques de l’UMOA). Et voici que le 6ème pointe le bout de son nez, là où il est le moins attendu.
Financial Afrik vous propose en exclusivité les bonnes feuilles de ce livre passionnant.
Pages 8-19
Ah les banques, ces machines à profit, ce monde étrange de chiffres et de lettres, des coupures craquantes aux pièces rutilantes ! Un mal nécessaire ? Un bien précieux ? Rien que l’énoncé du mot « banque » tonne, entonne et détonne (…). En ces temps de sécheresse spirituelle où rien ne résiste au billet de banque (…), le banquier est un personnage troublant, qui suscite la fascination ou la répulsion, mais qui ne laisse jamais indifférent (…).
La banque, ange ou démon ? (…) De nombreux dirigeants d’entreprises, promoteurs et ménages ne vous diront que du bien de leur banque, sans laquelle le projet de leur vie n’aurait pas vu le jour, leur affaire n’aurait pas prospéré. Et pour tout ce beau monde, le banquier est leur allié sûr, le partenaire idéal, et même le sauveur.
Depuis une dizaine d’années, la banque (…) tente d’« humaniser » ses relations avec ses clients. En ligne, elle signe non sans un zeste de provocation : « La banque qui met les gens avant l’argent », en cohérence dit-elle avec la raison d’être de son groupe d’appartenance (…). Est-ce à dire que les autres banques mettent l’argent avant les gens ? La question mérite d’être posée… Mais passons ! En revanche, tout en collectionnant les distinctions et les trophées, elle enchaîne aussi les pertes (…). À l’évidence, la satisfaction des clients a un coût. Difficile, dans ces conditions, de concilier les affaires avec l’affect !
(…) Que personne ne se trompe, la banque n’est pas une institution démocratique. Elle ne l’a jamais été nulle part et, ce n’est pas sous nos tropiques, qu’elle le sera. Les prises de décision en milieu financier sont à mille lieues des procédés de la cité antique d’Athènes, et en retrait de la célèbre formule (…). D’ailleurs, il faudrait bien être naïf pour penser que les orgies bancaires sont aseptisées (…). Les images exceptionnelles d’une rare intensité émotionnelle, remarquablement mises en scène sous le vocable RSE (…) et diffusées à profusion dans les médias et sur les réseaux sociaux par certains établissements de crédit, portant secours à des populations démunies ou épousant d’autres causes nobles, font partie des multiples facettes de la communication institutionnelle.
(…) Le discours ambiant veut que le client soit roi. Mais, apparemment, c’est un monarque qui ne règne pas sur le secteur bancaire. L’avidité supposée de certains acteurs financiers en serait la raison. (…) Selon le rapport 2023 de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), une banque française sur cinq prélève des frais bancaires injustifiés ou excessifs sur leur clientèle. C’est ainsi que plusieurs banques ont dû payer des fortes amendes, en plus de l’obligation de rembourser leurs clients.
(…) L’année 2023 restera comme le révélateur d’un nouveau dysfonctionnement financier à l’échelle mondiale. Elle aura été marquée par une succession de faillite de grosses banques américaines. (…) La déflagration des secousses qui s’est propagée sur le continent européen a failli emporter la Suisse, fleuron de la finance mondiale. Le Credit Suisse, deuxième banque du pays avec 540 milliards de dollars d’actifs, s’est retrouvé en défaut (…) et a été racheté in extremis par le leader UBS avec l’intervention décisive du gouvernement helvétique (…).
Chapitre I : Les pratiques de corruption en milieu bancaire : l’eau est dans le gaz
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Selon le FMI, les pots-de-vin versés dans le monde coûtent chaque année 2% du PIB mondial, alors que les détournements de fonds publics représentent quelque 5% de la richesse mondiale (…). Au total, le préjudice causé par la corruption se chiffre à plus de 4 600 milliards de dollars. Récemment, un scandale de corruption de haut vol a secoué (…). Le chef de l’unité anti-blanchiment a été arrêté en début novembre 2024, avec 20 millions d’euros en liquide retrouvés chez lui, soigneusement dissimulés dans les murs et plafonds.(…) En Afrique, selon les Nations unies, la corruption et le transfert de fonds illicites ont contribué à la fuite des capitaux (…) pour plus de 400 milliards de dollars (…).
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(…) La dernière précision est de taille. Point d’amalgame ! Tous pourris ? Non ! Comme le dirait un dicton africain, ce n’est pas parce qu’un seul âne a mangé de la farine que tous les autres en ont le museau blanchi. Il faut donc nuancer et bien préciser. La corruption n’est pas le pain béni de tous les banquiers. Fort heureusement ! Il y a (et ils sont nombreux) des banquiers honnêtes, de probité et d’intégrité connues et reconnues du monde des affaires, qui vivent dignement du fruit de leur labeur et qui tiennent en sainte horreur la corruption.
Pages 47-50
La corruption dans le secteur bancaire est un problème mondial. (…) En 2020, une enquête internationale (…) révèle que 2 000 milliards de dollars (…) de transactions suspectes ont circulé pendant près de 20 ans (…) dans les plus grandes institutions bancaires du monde.
(…) Qui ne se rappelle pas de l’histoire rocambolesque de Bernard Madoff, un homme d’affaires américain à l’origine de la plus grande escroquerie financière du siècle (…) ? Arrêté le 29 juin 2009, il a été condamné à 150 ans de prison. (…)Comment un maître-nageur venu des plages de Long Island, sans un sou vaillant, a pu gravir tous les échelons de la haute finance mondiale pour se hisser au sommet de la bourse de Wall Street ? Comment a-t-il pu escroquer la somme faramineuse de 65 milliards de dollars pendant près d’un demi-siècle (…) sur des centaines de clients dont des grandes institutions bancaires et… un éminent psychologue pourtant réputé pour ses recherches sur la crédulité ? Comment, de sa cellule de prison, a-t-il pu réussir une énième parade, (…), en rachetant tous les paquets de chocolat (…) à l’intendant de la prison afin d’en détenir le monopole et de les revendre plus cher à ses codétenus ? Il est vrai que l’on peut difficilement être un grand escroc si l’on éprouve le moindre remords.
En cinq ans (…), pour diverses entorses et manquements à la réglementation, les amendes infligées aux plus grandes banques mondiales, y compris les trois plus grandes banques américaines, ont dépassé la somme astronomique de 90 milliards de dollars. Bank of America (…) a accepté de payer le montant record de 16,65 milliards de dollars pour « mettre fin aux poursuites liées (…) ». C’est l’amende la plus élevée jamais payée par un établissement bancaire dans le monde.(…) BNP Paribas a accepté un accord transactionnel avec les autorités américaines, pour échapper à un procès, en déboursant 8,97 milliards de dollars au titre de pénalités (…). Sept ans auparavant, une affaire interne à la Société Générale a failli éclabousser le microcosme bancaire français. En janvier 2008, (…) un jeune trader a pu déjouer les « huit nivaux de contrôle » de sa banque pour se retrouver avec des positions ouvertes d’un montant total de 50 milliards d’euros, soit 1,7 fois les fonds propres de sa banque. (…)
Chapitre II : Les pratiques mystiques en milieu bancaire : Préparez-vous, on lève le voile !
Pages 71-72
(…) La pratique mystique n’est pas l’apanage ni l’exclusivité de l’Afrique, encore moins d’une zone spécifique ou d’un pays de ce continent. C’est un phénomène répandu dans le monde entier. Chaque peuple a sa part de mysticité et d’irrationnel. Preuve, (…) le premier congrès mondial de sorcellerie s’est tenu en janvier 1976 à Bogota, en Colombie. (…) Bien avant, au XVIIe siècle, s’est tenu le procès dit des Sorcières de Salem, dans les Massachussetts. C’est la chasse aux sorcières la plus importante de l’histoire de l’Amérique du Nord (…).
(…) Enfin, la quatrième précision relève de la nuance. Dans ce monde, la réalité est une question de perception de la vertu et du vice. De nombreux individus considèrent que recourir à un occultiste n’est pas condamnable en soi, tant que cela ne cause pas de dommages à autrui. Et puis, sait-on jamais, il faut se « blinder » contre les « missiles » adverses (…).
Pages 73-74
(…) le propriétaire thaïlandais de l’équipe de (…) avait même fait déplacer des moines bouddhistes depuis la Thaïlande afin de bénir les joueurs de son club (…).
(…) La pratique dans le domaine de la finance n’est pas différente de celle du sport. D’ailleurs, le banquier n’est-il pas en lui-même un « mystique », un « vrai magicien » en soi, et son office un « temple de la mystification » ? Jugez-en vous-même ! Le banquier crée de la monnaie, et souvent à partir de… rien. En quelques secondes derrière le « rideau » (back-office), il effectue quelques opérations comptables et voilà que votre compte est garni de billets neufs et craquants. Magique, non ! En vérité, le banquier est un prestidigitateur qui « vend du temps », en prêtant l’argent qui ne lui appartient pas, à l’insu du vrai propriétaire, tout en espérant que celui-ci ne viendra pas le réclamer de sitôt. (…) Est-ce que les banquiers seraient-ils des saltimbanques ? Pas à ce point ! (…)
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(…) En Occident, prétendument désensorcelé, et considéré être le berceau de la rationalité et le creuset de la logique cartésienne, on y enseigne depuis la nuit des temps la sorcellerie. Par exemple, dans le sud de l’Angleterre, des étudiants et des managers viennent du monde entier pour suivre les stages d’apprentis sorciers. (…) Il faut débourser jusqu’à un millier d’euros pour suivre quelques jours de formation en sorcellerie.
(…) A l’origine, Halloween, une fête si populaire aux États-Unis, était un rituel païen visant à se prémunir contre les dangers et les menaces. (…) Aujourd’hui encore, les fêtards se déguisent en sorciers, en fantômes et en vampires. Et ce n’est pas un hasard si La Nouvelle Orléans est considérée comme la capitale mondiale des vampires. Les « suceurs de sang » ont donné à cette ville américaine sa légende et son mythe.
Pages 76-78
Sur le Vieux continent, dans les hautes sphères de la société, les lords et les milords fréquentent les confréries, les loges maçonniques, les cercles initiatiques, et autres sociétés sécrètes. (…) L’Autriche a fondé en 1998 une école internationale pour sorciers et sorcières, dénommée l’International School for Wizards and Witches, qui enseigne « la préparation de potions ou le lancer de sorts ». Le programme ésotérique couvre les arts divinatoires comme l’astrologie, le tarot, les oracles et le pendule.
(…) La France n’est pas en reste. À l’époque médiévale, on recourait aux sorciers pour envouter… les vaches ! Excusez du peu ! L’historien Alfred Soman, dans un article intitulé La décriminalisation de la sorcellerie en France publié en 1985, décrivait une scène ubuesque : « En novembre 1640 à Belval-en-Argonne, des paysans trainèrent Catherine Le Moyne par les chemins criant « Desorcelle ma vache ! » – avant de la tuerd’un coup de carabine. » (…).
Que dire aussi de la « dent magique » de Sainte-Apolloniedans l’Ariège, vieille de 1700 ans, qui aurait soulagé les gencives douloureuses des milliers de bébés parcourant toute la France pour venir s’y frotter ? S’agit-il là aussi d’une simple superstition importée d’Afrique ? (…)
(…) En Italie, l’histoire rocambolesque d’un homme politique d’extrême droite, vice-président du Sénat à l’époque des faits, est dans toutes les mémoires. Celui-ci sollicita, publiquement, les services d’un exorciste pour le désenvouter après avoir proféré des insultes racistes à l’encontre d’une femme d’origine africaine dont le père serait un redoutable mystique ? L’histoire avait fait grand bruit dans les médias, non pas pour l’originalité du propos (l’auteur est suffisamment connu pour ses frasques), mais pour les conséquences dramatiques qui en ont résulté. (…) il enchaîna les déboires, hospitalisations (six fois en salle d’opération, deux en soins intensifs), accident (deux vertèbres et deux doigts cassés), décès (de sa mère)…Jusqu’au (…), comble de malheur, il trouva dans sa cuisine un serpent de deux mètres !
Pages 81-83
(…) La Nation arc-en-ciel a été le premier pays africain à reconnaitre officiellement la pratique de l’occultisme sur son territoire. Depuis, plusieurs années, on y enseigne la sorcellerie. Il y a plus de 200 000 «sangomas» (sorciers) légalement reconnus. (…) Le 20 mars 2017, le pays a franchi un nouveau cap en ouvrant la toute première école publique de sorcellerie sur le continent africain.
(…) Au Zimbabwe, certains pasteurs sulfureux ont poussé le bouchon un peu loin. Pour mieux dire, trop loin. Des histoires assez dramatiques pour ne pas être désopilantes. Tenez, un pasteur vendait à ses paroissiens des tickets … pour le paradis ! Pour s’en procurer, il fallait débourser la coquette somme de 500 dollars (…).
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Dans le milieu de la finance, cela est devenu presque une tradition. Dès leur entrée en fonction, avec l’insistance molle des services techniques, certains dirigeants de banque changent systématiquement les meubles et le parquet de leur bureau, trop « colorés » à leur goût. D’autres, redoutant les démons qui squatteraient le bureau de leur prédécesseur, préfèrent changer carrément de lieu. (…) les dirigeants les plus futés tentent de vendre un simulacre d’humilité à leurs sectateurs : « Le bureau de l’ancien Directeur Général est trop grand pour moi ! Je veux en faire une salle de réunion. Personnellement, j’ai juste besoin d’un (petit) espace de travail. » (…) Quelques mois plus tard, confortablement installé à la tête de l’établissement, voici le même dirigeant qui entreprend, à grands frais, le chantier dantesque de l’agrandissement de son bureau au point d’en faire un « mini-terrain de football ». Alors que des hauts cadres, en disgrâce, continuent de travailler à plusieurs dans des espaces exigus. La formule est connue : quand c’est pour les uns, ce n’est jamais assez, mais quand c’est pour les autres, c’est toujours trop !
Pages 91-94
(…) À dire vrai, qu’est-ce qu’un édenté vient faire dans un combat de cure-dent ? Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Toutes les catégories s’en mêlent (…). Chacun veut se « blinder », histoire de se faire « une santé mystique », de couvrir ses arrières et de baliser le chemin. La protection et l’ascension ne sont-elles pas des quêtes légitimes ? Absolument, à condition que les moyens employés pour y parvenir ne soient pas contestables.
(…) Cependant, en public, on botte en touche, la mâchoire serrée et le visage fermé, feignant d’ignorer en s’ignorant soi-même et les autres, ces pots et ces suppôts, ces décoctions et lotions, ces fragrances enivrantes et envoutantes qui (…). Les lieux de sacrifice et d’offrande ne se comptent plus en brousse comme en plein centre-ville. Les berges rocheuses des cours d’eau et les flancs des collines, les creux des arbres et les croisements de routes, les fourmilières et les termitières, bref tous les lieux sacrés et sacralisés, supposés être les sanctuaires des démons les plus redoutables, sont pris d’assaut par les devins, les bovins et les ovins. Le sang coule, le lait s’écoule, le client s’écroule et l’oracle se défoule (…).
(…) Dès les premières pontes du soleil, les routes et les fleuves prennent leur « collation ». Au menu, avec ou sans calebasse, œuf au plat ou à la coque, tisanes au choix au lait frais ou au sang cru… Impossible de les éviter sur le bitume, aux carrefours et sur les berges des cours d’eau ! (…) Dans cet univers fascinant du mysticisme et du mimétisme, certains cadres ont pu se forger des positions inexpugnables dans les étages supérieurs du secteur bancaire. Qui s’y frotte, s’y pique, prévient-on dans leur riveraineté. Les victimes de leurs imprécations et de leurs exécrations (…) arborent de « véritables blessures de guerre ». Elles tiennent comme par extraordinaire leur santé en bandoulière, déambulant entre praticiens de ville et tradipraticiens de brousse.
(…) Nous allons tenter de lever un coin de voile sur ce sujet, à travers un recueil d’histoires baroques et burlesques, dont on ne sait pas s’il faut en rire ou en frissonner. Ces récits sont un condensé de la joyeuseté et de la férocité du monde vivant (…).
Histoire n° 01 : Sel pour sceller le rang !
Page 95-96
Sel de cuisine ? Non ! Sel de table ? Non ! Sel pour assaisonner les succulents plats et les délicieuses sauces ? Non ! Sel pour saliner les routes enneigées ? Que nenni ! Sel du Nord ! Sel du Sud ! Sel prisé à l’épiderme rouge ! Sel froissé à la couleur blanche ! Gros sel ! Sel moyen ! Sel fin ! (…) Enfin, de quel sel parle-t-on ? Du sel pour désenvouter les bureaux et dératiser la cour des démons et des déments, afin de se libérer des diables et des diablotins !
(…) À la vue de l’étrange manège, les fayots accoururent pour, certainement, apporter confort et réconfort au Boss. Ils furent invités, sans ménagement, à se faire occuper ailleurs. Les salamalecs à se faire arracher les godillots sont remis à plus tard. (…) L’horizon ainsi dégagé, notre DG fit sortir du coffre de sa voiture d’étranges paquets contenant… du sel à tire-larigot. D’un pas ferme et décidé, il alpagua un des sacs, sous les yeux riboulants de son factotum qui aurait bien voulu, à l’instant, être édenté. Peine perdue ! Il portera, pour de longues années, le fardeau de sa vue suspendu à sa langue.
Sur les préconisations des devins qui devaient superviser l’opération à distance, le patron de la banque commença à « assaisonner » (pardon, à saliner) le sol du précieux produit, point pour fondre la neige – il n’y en a pas dans cette partie du monde – mais, semble-t-il, exorciser les démons qui, chassés de son bureau, avaient squatté la cour de la banque au point de s’acoquiner avec ses « pires ennemis ». En dépit de toutes ces torsions et contorsions, ces lotions et potions, ces avanies et zizanies (…)
Histoire n° 02 : Encens, si tu nous tiens !
Pages 98-99
Nous sommes quelque part, au cœur de la finance battante et palpitante. Les places de responsabilité se négocient difficilement. Tout n’est pas question uniquement de compétence. D’ailleurs, ici, les parchemins se frayent difficilement un chemin. (…)
(…) En traversant le long couloir qui le mène à son bureau, son sens olfactif est littéralement détourné par une senteur inhabituelle. Il hume le fameux nectar, ouvre son bureau et s’assoit à son aise. Pas tout à fait ! L’odeur, insistante et persistante, le suit et le poursuit. Il peine à retrouver ses esprits. Il enlève sa veste et l’accroche au porte-manteau. Pour avoir un peu plus d’air, il dénoue le nœud de sa cravate, ouvre grandement les volets de la fenêtre et met en marche le brasseur d’air et l’air conditionné. Rien n’y fit ! Finalement, il s’affale sur le canapé de son bureau (…). L’alerte est vite donnée. On court dans tous les sens. Un toubib se présente rapidement. Après l’avoir ausculté, il décide de l’évacuer d’urgence vers le centre de santé le plus proche. Pas le temps d’attendre les ambulanciers, encore moins les brancardiers. Le PDG affaibli, aux jambes en coton, fut saisi vigoureusement par deux gros bras pour l’aider à atteindre l’ascenseur. Le temps presse (…)
Histoire n° 04 : Les orques, le grizzli et le léopard
Pages 109-111
Au « mercato » bancaire, le choix a été porté sur un vieux léopard pour remplacer un intrépide guépard. Le gourmet a pris la place du gourmand. C’est en ce moment qu’une nouvelle orque apparut. Et à son dos, un compagnon pas tout à fait ordinaire : un élégant orang-outan au crépuscule de son âge, désargenté, qui verse dans le registre de l’admiration effrénée pour ses chefs et qui manie la flatterie comme un jongleur manie ses massues. Ce grand singe anthropoïde, l’air boursouflé, hurla d’ardeur de se retrouver en si haut lieu bambochant. Il a l’assurance d’un individu qui vient de découvrir le fil à couper le beurre.
– Qu’est-ce que c’est ? s’exclame le léopard à la vue de l’étrange binôme.
– Chef, c’est Pongo, vous ne l’avez pas reconnu ? lui répond l’orque bagagiste.
– Ce n’est pas ma question. Que fait-il sur votre dos et à mes pieds ? Vous savez que c’est un primate très ambitieux et férocement territorial qui n’hésite pas à se défausser sur les capucins au moindre tracas. Où avez-vous mis la bufflonne ?
– Elle s’est rebellée à votre autorité. Je m’en suis débarrassée, dit l’épaulard très remonté contre les remontrances appuyées de son mentor. La bufflesse s’est aussi trop aventurée dans nos victuailles, surenchérit-il.
– M’enfin ! Pour si peu ! s’exclame le félidé. (…) Et l’autruche ?
– Patron, elle n’est pas apte à votre grâce. Elle est très vulnérable à table. Et quand elle n’est pas dans les commérages, elle prend soin de son plumage. C’est trop d’effort pour si peu de confort.
– Et le léopard de renchérir : Dame orque, vous avez des lubies ou vous faites du lobbying ? Je cherche un étalon, vous m’amenez un poney. Je veux un aigle, vous m’offrez un poussin. J’ai l’appétit d’une baleine, vous me servez une sardine. Vous connaissez la formule : « Ce n’est pas à toute oreille percée que l’on met des anneaux en or ». Avez-vous un problème de casting madame ?
– Sir, qu’il vous plaise de trouver dans mon choix l’expression de mon dévouement. Pendez-moi si je vous mens. Je vous amène une accorte compagnie, un serviteur loyal, un bosseur acharné, un dévoué à votre cause… Un orang-outang en poils et en chair, serviable, taillable et corvéable à votre merci.
En arrière-plan, le grizzli d’un air intrigué assiste, silencieux, à l’entretien. En bon Africain, il sait que « si la calebasse se hasarde à traverser le fleuve, c’est qu’elle est en complicité avec le vent ». D’un trait, il avale du regard le grand singe qui n’est qu’un chaton à sa mesure, presqu’un animalcule. (…)
Histoire n° 05 : Un duo pour un duel
Page 116-121
« Mépriser son adversaire, même petit et frêle, a toujours été une erreur stratégique », nous enseigne le sage Amadou Kourouma. Avec le secteur bancaire, cette expression prend tout son sens.
Primate contre félidé. Frugivore contre carnivore. Habilité contre férocité. Un petit singe se mesure à deux des plus grands félins sauvages au monde. « Y’a pas photo », comme le dirait trivialement les enfants. Pourtant, ces compétiteurs de circonstance vont se livrer un duel homérique que seul le monde bancaire peut en offrir le cadre. Pour les amateurs de la nature, comme de la finance, le frisson est garanti. (…)
(…) Quand un gibbon, aussi audacieux et intrépide soit-il, vient à bout de deux tigres à la forme pulpeuse et à l’appétit aiguisant, il faut admettre que le rapport de forces n’est pas toujours physique. En milieu bancaire, ce cas est loin d’être énigmatique. Certes, il n’est pas fréquent, mais en rencontrer ne relève pas de l’extraordinaire. Trois raisons expliquent cela (…).
Histoire n° 07 : Le phénix
Page 125-126
(…) Plusieurs mois après, celui que l’on prenait pour mort, est réapparu au siège de la banque. Relativement en pleine forme, drapé d’un élégant costume sombre, avec une belle cravate rouge portée sur une chemise blanche, il arpenta les escaliers et se dirigea directement vers ses (anciens) bureaux. Les collaborateurs qui croisèrent son regard ont dû vite rebrousser chemin. Il se présenta à son secrétariat. La surprise fut telle que la tenancière des lieux s’évanouit. Plus tard, remise de ses émotions, elle se réveillera dans la salle de soins. Pris entre cauchemar et réalité, d’autres collègues qui passèrent par-là eurent tourné leur langue et leurs yeux, au moins sept fois, avant de se rendre à l’évidence : « Le grand boss est là, en chair et en os ! »
L’étonnement passé, (…) le ressuscité reprit (presque) naturellement son poste. Il y resta pendant dix longues années. Certains de ses pourfendeurs, terrifiés par la terrible nouvelle, ne se sont pas fait prier pour présenter leur démission (…).
Morale de l’histoire : le milieu bancaire fait partie du domaine de l’improbable. Rien n’est définitivement certain. Et, il faut, surtout, se garder de tirer un trait sur la base d’un simple point.
Histoire n° 08 : Le huitième ciel, si tu m’attrapes !
Pages 126-127
Les exégètes nous apprennent qu’il y aurait (exactement) sept cieux au-dessus de nos têtes. Ces lieux seraient, semble-t-il, inaccessibles aux Terriens. Mais, pas pour tous, à l’apparence.
Nous sommes à la fin des années 80. (Ils) décidèrent de défier les lois de la gravité et de la science ésotérique en effectuant un voyage improvisé et périlleux jusqu’au… huitième ciel.
(…) « Ce monsieur, que vous voyez là, me harcèle depuis plusieurs années. J’ai tout fait pour qu’il me laisse en paix. Impossible ! Au travail et à la maison, c’est toujours la même chose. Il me poursuit sans cesse. Même la nuit, il me harcèle dans mon sommeil. »
À ce niveau du récit, les regards interrogatifs de l’assistance se figèrent. Les oreilles se dressèrent. La dame n’en avait cure. Tellement, elle en avait gros sur le cœur et surtout dans la tête. Elle continua allègrement sa déposition : « L’autre nuit, il m’a poursuivi jusqu’à la maison. Heureusement, il n’a pas pu m’attraper. Je me suis réfugiée dans ma chambre. Malgré ça, il est resté à la porte. Comme il ne partait pas, j’ai finalement décidé de m’envoler. C’est ainsi qu’il m’a poursuivi jusqu’au… huitième ciel. »
Abasourdi par cette histoire abracadabrantesque, le cadi marmonna d’abord quelques formules incantatoires (sait-on jamais !) avant de demander une précision de taille : « Où, dites-vous, madame ? »
« Jusqu’au huitième ciel ! » martela-t-elle d’une voix ferme.(…)
Histoire n° 09 : Le vieux temple
Pages 129-130
(…) À sa prise de fonction, il prenait prétexte d’entreprendre les douze travaux d’Hercule pour booster les résultats de sa banque. Il commença par nettoyer les écuries d’Augias. Le discours officiel était séducteur et galvanisant pour le personnel : « Redonner à la banque toute sa splendeur ! ». La consigne donnée à un factotum, recruté pour les besoins de la cause, était d’une limpidité rare : « Il faut traquer tous les démons visibles et invisibles, en vidant tous les tiroirs des bureaux, en décrochant tous les tableaux des murs… pour les remplacer par des bureaux modernes et des tableaux de maître ». À la fin des travaux, la trouvaille de l’équipe de nettoyage était à la hauteur des attentes du maître de céans : (…) une impressionnante collection de talismans, d’amulettes et de gris-gris retrouvés dans les bureaux, dont ceux de certains cadres au style de vie occidental. Pour reprendre une expression religieuse, s’il en est ainsi du bois vert, qu’en sera-t-il du bois sec ? (…)
Histoire n° 10 : La burqa bancaire
Pages 133-136
Un ancien président français avait la phobie de la burqa, à tel point que cela est devenu un des marqueurs de son mandat. (…) Un rappel historique, de peu d’importance, au demeurant. Mais qui sert, toutefois, à contextualiser ce qui va venir (…).
(…) Selon ses dires, des petits bouts de créatures aux formes étranges, probablement des extraterrestres, sortaient fréquemment sous le lit, pour entretenir ses rêves (plutôt ses cauchemars) jusqu’au petit matin. À mesure que le temps passa, son esprit cartésien s’éloigna et son attachement à la physique quantique se détacha. Ses escapades (plus que) fréquentes de parigot à admirer les monuments historiques et les ruelles rustiques de la capitale française étaient devenues un lointain souvenir.
(…) Vraiment, pour diriger une banque en Afrique, il faut être coriace. Bien souvent, l’essentiel de votre temps est consacré à tout autre chose que votre job (gérer la banque). Plutôt que de se focaliser sur cette charge de travail suffisamment pesante, de nombreux dirigeants passent leur temps à chercher à démasquer leurs supposés « envouteurs » et à débusquer les prétendus « envoutements ». Ils en sortent rarement indemnes. (…)
Histoire n° 22 : Un drôle de papetier
Pages 163-164
(…) Si l’alerte était perçue par certains comme de la mesquinerie et même comme de l’acharnement, les services du contrôle la prirent très au sérieux. Ils décidèrent de percer le mystère en mettant l’agence sous surveillance. Surtout que le responsable d’agence, à l’élégance raffinée et à la générosité affirmée, affichait un train de vie dispendieux. Dans son fief, il se faisait même appeler le « Big Boss ».
Dans son bureau, (…) il commence à découper des feuilles de papier à la taille des grosses coupures de billets de banque. Et dès qu’il en avait assez pour satisfaire ses besoins, il se rendait dans la salle forte. Il prenait des piles de billets et échangeait les bons billets contre des simples feuilles blanches, puis (…). Voilà pour le mode opératoire.
(…) À défaut de recouvrer les sous volatilisés, les contrôleurs se sont retrouvés avec un bon paquet de papier sous la main, de quoi certainement prendre des notes pendant un bon moment !
Histoire n° 24 : Une vie pas si ordinaire !
Pages 168-173
(…) Dans les entrailles de la jungle, il est connu que les animaux se livrent une lutte sans merci pour leur survie. Mais rarement un prédateur comme le requin-pèlerin aurait suscité autant de curiosité et d’hostilité, de peine et de haine. Sans mauvais jeu de mots, c’est un animal qui avait le don de provoquer l’animosité autour de lui et même dans son propre camp. Même ceux dont il a été à l’origine du recrutement et qu’il a délivrés de l’ignorance et de l’indifférence se sont rebellés contre lui. En termes d’ingratitude il faut reconnaître que l’on fait difficilement mieux. Pour emprunter une formule du terroir, on dirait qu’il se baignait dans l’urine du chat, s’aspergeait de la fragrance du bouc et s’enduisait le corps de la défection du lézard. Quelle désagréable senteur ! (…)
(…) Dès la fin de la diatribe du président de séance, le requin-pèlerin agita sa nageoire pectorale pour demander la parole. Dans le vacarme ambiant, une épaisse sueur se libéra sur le visage du présidium. Bruyants et chambreurs, ses tenanciers feignirent de ne pas remarquer le squale. Pourtant, celui-ci insista. (…) L’insistance finit par payer. Dans un silence de cathédrale, il prit la parole : « Je souhaite simplement vous faire part d’une seule chose… (un grand bruit suivi de silence). Si je n’avance pas selon la volonté des hommes, j’avancerai par la Volonté de Dieu ». En agissant ainsi, il venait d’invoquer le Connaisseur de l’invisible et du visible qui sait tout, qui voit tout, qui entend tout, qui peut tout… et qui est témoin de tout.
Conclusion
Pages 175-176
(…) Le banquier n’est ni un caqueteur, ni un raquetteur, encore moins un braqueur. Il exerce un métier noble et anoblissant. On ne peut donc pas s’inviter ou s’improviser banquier ou responsable dans une banque, en se basant uniquement sur sa « puissance de feu », l’épaisseur de son carnet d’adresses ou le poids de ses amulettes, cordelettes,talismans et autres gris-gris. Être un banquier est un métier gratifiant qui permet à des milliers de personnes, morales et physiques, de réaliser le rêve de leur vie. Donc, le titre de « banquier » se mérite, il ne s’impose pas, il ne s’attribue pas non plus. Ce n’est pas parce que l’on travaille dans une banque que l’on est banquier. Absolument pas !
Le métier de banquier est exigeant. Il requiert de celui qui l’exerce de la rigueur et de la probité morale, bien avant d’autres critères souvent mis en avant lors des recrutements ou du choix des responsables. C’est dire que les banques ne peuvent pas être gérées comme des épiceries, même s’il est indiqué, du point de vue commercial, qu’elles en aient l’agilité. Elles ne peuvent pas, non plus, être des lieux de pratiques mystiques, encore moins être (…) un manoir aux imposteurs, un égrugeoir aux menteurs et un vidoir aux bonimenteurs…
(…) Les spécialistes de la finance nous enseignent que les banques « vendent du temps », allant de quelques heures à plusieurs années. Même si le temps n’a pas la même allure pour tout le monde, il semble, selon Euripide, qu’il révèle tout : c’est un grand bavard qui parle sans être interrogé. Alors, tâchons de rester à l’écoute !
Cheickna Bounajim Cissé, l’émergentier, est un économiste, essayiste, consultant et spécialiste des marchés bancaires avec plus de 31 ans d’expérience dans la zone UMOA et au Maghreb. Titulaire du MBA de l’Université Paris Dauphine et de l’IAE Paris-Sorbonne, détenteur du Master en Sciences Politiques et sociales de l’IFP (Université Panthéon-Assas) et du diplôme d’études supérieures en Banque de l’ITB, il est l’auteur de plus d’une centaine d’articles et de plusieurs ouvrages.
NB : Les dernières publications de l’émergentier, à savoir « La face cachée des banques dans le monde : les pratiques mystiques et de corruption » (BoD, 2024) et « Comptes, décomptes, mécomptes des banques de l’UMOA » (BoD, 2024) sont disponibles sur les plateformes (BoD, Amazon, FNAC, etc.) et dans plusieurs librairies en Europe. L’auteur est joignable par email : facedesbanques@yahoo.com.