Par Simon Pascal Alain Handy*
Quand Invasions et Chaos Signent la Fin d’un État
Par Simon Pascal Alain Handy
La désintégration d’un État souverain
La Syrie n’est plus un État. Il est mort de sa belle mort étranglé par les invasions , l’effondrement sociétal et le chaos induit par la rébellion armée . À la lumière des concepts de l’État de Bourdieu et de la souveraineté selon Jean Bodin, il est clair que ce pays a cessé d’exister en tant qu’entité politique souveraine. Bourdieu définit l’État comme un « champ de pouvoir », un lieu où des forces multiples convergent pour constituer un pouvoir légitime capable de contrôler son territoire et d’imposer sa domination. Jean Bodin, quant à lui, caractérisait la souveraineté comme le pouvoir absolu et perpétuel d’une république. Or, la Syrie, telle qu’elle se présente aujourd’hui, est à des années-lumière de ces définitions.
L’État syrien s’est évaporé, laissant place à un no-man’s-land, à la merci de factions terroristes, de puissances étrangères et d’intérêts géopolitiques divergents. Le pays est devenu un champ de ruines sur fond de massacres sectaires. L’Occident global, dans sa quête de remodelage du Moyen-Orient, vient donc de signer l’acte de décès de la Syrie.
C’est terminé pour la Syrie : une souveraineté en déroute
C’est terminé pour la Syrie. Les conversions de terroristes en démocrates jeffersoniens sur le chemin de Damas, à l’image de Saint Paul autrefois dans la Bible, relèvent de la pure chimère. Autant croire au mouton à cinq pattes. Les rebelles, gonflés à bloc par un soutien multidimensionnel de la Turquie, des États-Unis, de l’Union européenne et d’Israël, se métastasent comme un cancer.
On se souviendra de triste mémoire que Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, dansait la guinguette pirate à chaque égorgement de Jabhat al-Nosra en Syrie. « Al-Nosra fait du bon boulot » était sa phrase favorite. Sous la houlette de François Hollande, sans doute le pire président de la Cinquième République, surnommé « l’homme au scooter », qui, avant d’être lâché au dernier moment par Barack Obama, jouait au Saladin des temps modernes, boute-en-train déterminé à faire la peau à Bachar el-Assad, le gouvernement de Manuel Valls, pour sa part, a copieusement armé les rebelles syriens.
Un territoire morcelé et une économie pillée
La Syrie ne contrôle plus ni son territoire ni ses ressources. Ses infrastructures militaires ont été pulvérisées par des frappes incessantes des États-Unis et d’Israël. En seulement trois jours, 250 frappes ont anéanti ce qui restait de l’aviation et de la marine syrienne. Pendant ce temps, les groupes terroristes, soutenus par des puissances extérieures, imposent leur loi.
Jusqu’ici, nulle trace d’armes chimiques ou biologiques, érigées en ligne rouge pour justifier les interventions occidentales et nourrir la propagande des années durant. Autrement, des forces spéciales comme les Delta Forces auraient déjà été déployées pour les sécuriser. Pendant qu’on nous montre « la prison de l’horreur », qualifiée d’abattoir humain, tout le monde oublie de mentionner que les prisons syriennes (BLACK SITES) étaient les lieux privilégiés où les démocraties occidentales envoyaient les suspects pour y être torturés dans une contractualisation ubuesque. Tout cela, tout en dénonçant hypocritement le gouvernement syrien. Les phénomènes de « rendition » y ont été conduits sans que cela ne gêne la conscience morale de nos démocraties en voie de putréfaction, pour reprendre les mots de Francis Fukuyama.
Le gazoduc des Qataris, point d’achoppement et source de tensions au Moyen-Orient entre Bachar el-Assad et les monarchies du Golfe, va enfin pouvoir être construit, mais sans que la Syrie n’en retire aucun bénéfice.
Israël et le grand jeu des puissances étrangères
En violation flagrante du droit international, Israël a annexé le Golan et étendu son emprise militaire jusqu’à la banlieue de Damas. Tsahal, appuyé par des frappes aériennes continues, se trouve désormais à 10 kilomètres de la capitale syrienne. Pour Netanyahu, poursuivi à l’extérieur par la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, il ne reste qu’à parachever sa victoire stratégique, inédite par son ampleur. Cette stratégie consiste à justifier une énième occupation avec des arguments empruntés à des versets bibliques ou des passages du Talmud, dans un mélange de bricolages idéologiques et de justifications sécuritaires douteuses. Israël, aujourd’hui la seule hyperpuissance politique mondiale, semble intouchable. Rien, ni personne, ne semble en mesure de stopper Netanyahu.
Quant aux Palestiniens, le massacre continue. Il est peu probable que Netanyahu se limite à les exiler dans le désert du Sinaï ; il semble bien plus déterminé à une solution finale impliquant leur extermination progressive, avec la complicité des grandes puissances occidentales. C’est une horreur indicible. Lorsqu’on jugera ce moment, l’Histoire retiendra que ce fut le basculement ultime dans l’animalité et l’ensauvagement de la communauté internationale. Une véritable sortie de l’humanité, le summum de l’inhumanité de l’homme envers l’homme.
Dans le Nord de la Syrie, la situation n’est guère meilleure. Les puits de pétrole, situés près de la frontière irakienne, sont sous le contrôle d’une coalition incluant des forces américaines, des groupes terroristes et la Turquie. L’État syrien n’a jamais eu accès à ses propres ressources. En mai 2013, l’Union européenne a même levé l’embargo pétrolier pour permettre à ces groupes de vendre le pétrole, alimentant ainsi la destruction économique de la Syrie.
La Turquie, acteur clé de la victoire djihadiste, agit sous le spectre du retour d’un Empire ottoman et nourrit une obsession contre les Kurdes. À Alep, son drapeau flotte déjà aux côtés de celui de l’État islamique, tandis que l’irrédentisme kurde persiste, menaçant de maintenir la région dans une instabilité chronique.
Pendant ce temps, le gazoduc des Qataris, point de discorde majeur entre Bachar el-Assad et les monarchies du Golfe, est en voie d’être construit. Mais la Syrie, en ruines, n’en tirera aucun bénéfice. Après l’extermination des Palestiniens, Israël envisage probablement de s’emparer des milliards de mètres cubes de gaz découverts au large de Gaza.
Ainsi va la démocratie dans ce monde, où la politique est dictée par la force et l’avidité, un monde de moins en moins humain.
Parallèlement, après l’extermination des Palestiniens, Israël devrait s’emparer des milliards de mètres cubes de gaz découverts au large de Gaza. Ainsi va la démocratie au baril de poudre, dans un monde de moins en moins humain.
Le chaos organisé : la prolifération des groupes terroristes
Comme l’a rapporté The Globe & Mail, le principal quotidien national canadien, en octobre 2014, une liste partielle des groupes opérant en Syrie incluait : « L’État islamique, l’Armée syrienne libre, le Front des révolutionnaires syriens, le Mouvement Hazm, la Brigade Yarmouk, l’Union islamique Ajnad al-Sham, l’Armée des moudjahidines, le Front Asalawa-wa-al-Tanmiya, les bataillons Noureddin al-Zengi, la Brigade Ahl al-Athar, le Conseil des boucliers de la révolution, le Mouvement islamique Ahrar al-Sham, la Brigade Tawhid, l’Armée de l’islam, Jabhat al-Nusra, Jaysh al-Sham, le Mouvement Sham al-Islam, Jund al-Sham, l’Alliance Muhajerin Wa-Ansar, sans oublier les forces du président Bachar el-Assad, désormais contrôlées par des seigneurs de guerre plutôt que par le gouvernement. »
Ironiquement, ces groupes, autrefois dénoncés pour leurs exactions, sont désormais présentés par certains médias complaisants comme les meilleurs représentants du mode de vie occidental », une absurdité dictée par leurs mécènes et sponsors.
Une humanité en déclin : le basculement dans la barbarie
La destruction de la Syrie n’est pas seulement un échec politique ; c’est un signal du basculement de la communauté internationale dans l’inhumanité. Les massacres de civils, la prolifération des factions terroristes et le soutien implicite des grandes puissances marquent l’apogée de l’indifférence morale.
Conclusion : Les Psychopathes du « Regime Change » et l’Impératif du Retour à la Légalité Internationale
La Syrie, telle que nous l’avons connue, n’existe plus. Elle est devenue une terre brisée, un État désintégré et une population abandonnée. Cette tragédie n’est pas le fruit du hasard, mais la conséquence directe de décennies d’interventionnisme aveugle et de rivalités géopolitiques exacerbées, motivées par une obsession morbide pour le « regime change ». Cette stratégie, basée sur la violence politique et le mépris des lois internationales, a réduit un pays entier à un champ de ruines et transformé la région en un foyer de chaos et de barbarie.
Le « regime change », tel qu’il est pratiqué, n’a pas sa place dans une communauté internationale se réclamant de la civilisation. Il constitue une négation brutale des principes fondamentaux inscrits dans la Charte des Nations Unies. Cette Charte, pourtant universellement acceptée, demeure à ce jour une base inégalée pour la gestion pacifique des différends entre États, la préservation de la souveraineté nationale et la promotion de l’autodétermination des peuples. Elle interdit explicitement l’agression, l’ingérence et l’interférence dans les affaires intérieures d’un autre État, et subordonne toute intervention internationale à l’autorisation du Conseil de sécurité.
Le retour à une légitimité internationale fondée sur le droit est donc impératif. La communauté internationale doit rejeter les doctrines de force et d’ingérence qui détruisent des nations et alimentent les conflits. À la place, elle doit promouvoir un ordre basé sur le respect des principes de souveraineté, de justice et de paix.
Le monde observe, mais reste silencieux face à ces violations flagrantes. Cependant, le verdict de l’Histoire sera sévère et implacable. Elle retiendra que ce moment fut une trahison des idéaux de civilisation, un basculement vers l’ensauvagement, et un renoncement collectif à l’humanité. Il n’est pas trop tard pour inverser cette trajectoire, mais cela exige courage, leadership et, surtout, un engagement renouvelé envers le droit international et la légitimité des institutions multilatérales.
La survie de l’idée même d’une communauté internationale repose sur notre capacité à revenir à ces principes. Si nous échouons, c’est l’humanité tout entière qui sombrera davantage dans l’anarchie et la brutalité. Le temps d’agir, avec raison et légalité, est maintenant.
*Simon Pascal Alain Handy
Analyste Politique et Ancien Conseiller Spécial auprès de 4 Sous-Secrétaires Généraux des Nations Unies
Auteur de Les ABC de l’Assemblée générale des Nations Unies: Naviguer les défis globaux dans un monde fragmenté
Consultez le livre ici : https://www.harvard.com/book/9789655789430