(1 USD = 2 844,95 CDF). « Nous avons pu traverser ces eaux agitées en préservant l’essentiel et en maintenant la trajectoire positive dans laquelle nous avons engagé le pays », déclare Nicolas Kazadi. L’ancien ministre congolais des Finances revient de loin avec la foi d’un financier fier de son bilan et de ses réalisations. Loin de se laisser distraire par cet épisode marquant, le ministre livre une analyse implacable des enjeux économiques et fiannciers de la RDC, donne son point de vue sur le débat concernant le changement constitutionnel et apporte son analyse sur la ZLECA et la monnaie unique africaine. Exclusif.
Interview réalisé Par Adama Wade et Rodrigue Fénelon Massala .
Monsieur Kazadi, comment souhaiteriez-vous que nous vous appelions : Monsieur le Ministre honoraire, Honorable député ou tout simplement par votre nom de famille ?
Tout simplement par mon nom. Vous savez, j’ai toujours détesté cette manie de plus en plus répandue en Afrique où tout le monde se veut excellence ou honorable. D’autant plus pour des pays comme les nôtres, si richement bénis par la nature mais toujours à la traine dans de nombreux domaines, on devrait se gêner de compter cette multitude d’excellences et d’honorables alors que les choses avancent si lentement….
Dans quel état avez-vous laissé les comptes publics du Trésor congolais à votre départ du ministère des Finances ?
Nous avons plus que triplé nos ressources budgétaires en 3 ans. L’effort a été fait aussi bien sur les ressources intérieures qu’extérieures. Nous sommes les artisans de la reprise des appuis budgétaires après 15 années d’interruption. Le 8 mai 2024, les services du FMI ont validé, pour la première fois dans l’histoire du pays, l’exécution d’un programme triennal que nous avons démarré en juillet 2021. Au moment où je quittais mes fonctions, j’ai laissé à mon successeur une disponibilité de trésorerie de plus de 1.000 milliards de Francs congolais. Je n’ai pas laissé d’arriérés de salaires au niveau des agents et fonctionnaires de l’Etat, ni aucun arriéré de la dette extérieure. J’ai été l’artisan de la reprise du marché des titres publics qui ont connu une progression exponentielle. L’ensemble des politiques menées ont permis à la Banque centrale d’accumuler plus de 5 milliards de dollars de réserves de change alors que celles-ci n’étaient que de 800 millions au moment où je prenais mes fonctions. La croissance économique en 2023 a été exceptionnelle avec un taux de près de 9 %, mais la dépréciation du taux de change et la hausse de l’inflation (19,9 % en moyenne annuelle) ont été une épine pour cette période car nous avions connu une bonne stabilité du taux de change et de l’inflation en 2021 (5,5 %) et 2022 (13,4 %). L’année 2023 était particulièrement difficile du fait de la détérioration des termes de l’échange consécutive à la guerre russo-ukrainienne, manifestée par le renchérissement du dollar, la baisse drastique du cours du cobalt et la hausse du prix des principaux produits de consommation importés. Au niveau intérieur, l’année 2023 est, de ces 4 dernières années, celle qui a été la plus affectée par le conflit à l’Est et l’effort de guerre subséquent. L’organisation des jeux de la Francophonie en juillet et des élections générales en décembre, a également été une contrainte supplémentaire que nous avons subie. Nous avons pu traverser ces eaux agitées en préservant l’essentiel et en maintenant la trajectoire positive dans laquelle nous avons engagé le pays.
Quel bilan tirez-vous de votre passage au ministère des Finances ?
Nous avons amené nos finances publiques à un autre niveau comme jamais au paravent, bien que le chemin à parcourir demeure encore long. Nous avons porté l’effort d’investissement jusqu’à 15 % des dépenses publiques, contre près de 1 % au début du quinquennat. Nous avons multiplié par 3 l’enveloppe des rémunérations avec une augmentation sensible du salaire réel moyen et un accroissement du nombre d’agents publics. Nous avons assuré la gratuité de l’éducation primaire sur l’ensemble du pays et nous avons amorcé la couverture santé par les plus vulnérables, avec l’ambition de la rendre universelle à moyen terme. Nos efforts financiers et politiques visant à améliorer la couverture vaccinale dans le pays ont été constamment salués par tous nos partenaires tout au long du premier mandat. Nous avons amélioré la prévoyance sociale à travers la nouvelle caisse de retraite des agents publics dont le nombre d’affiliés est passé de 198.000 à 1.165.000 sous notre gouvernance, en intégrant les enseignants, les magistrats et les médecins. Les policiers seront intégrés en janvier prochain.
Grâce à l’effet du nouveau système de répartition engendré par la caisse de retraite, combiné aux augmentations salariales opérées durant la période, les retraites des agents publics, tout comme les rentes de leurs ayants droits, ont été considérablement revalorisées, avec des augmentations pouvant atteindre plus de 1.000 %. La caisse de retraite des agents public est devenue un véritable investisseur institutionnel avec un avenir très prometteur ; ses résultats nets sont passés de 8,5 millions de dollars en 2020 à 85 millions en 2023. Elle accumule aujourd’hui des réserves de 280 millions. S’agissant du secteur des assurances, dès l’entame de mon mandat, j’ai lancé une politique agressive visant le développement du secteur et la lutte contre l’évasion des primes d’assurance, avec comme objectif de rapprocher la RDC de la moyenne continentale en termes de taux de pénétration et de qualité du service.
Dans ce cadre, j’ai pris une cinquantaine d’actes visant à renforcer l’application du Code des Assurances (Décret ministériels, Arrêtés Ministériels, règlements, circulaires). Avec mes équipes, nous avons promu la digitalisation du secteur par la mise en place et l’opérationnalisation du Système National d’Emission des Certificats d’Assurances (SNECA). J’ai également mis en place une Facilité en réassurance dans les secteurs pétroliers, gaziers, miniers et les risques de violence politiques dans le cadre de la lutte contre l’évasion des primes à l’échelle internationale. Enfin, nous avons signés plus de 10 protocoles d’accord avec des régulateurs étrangers et autres organismes internationaux du secteur des assurances. Les résultats ont été au rendez-vous ; le chiffre d’affaires du secteur est passé d’environ 150 millions USD en 2020 à 300 millions en 2023. Le taux de pénétration a nettement progressé, passant de 0,3 % à 0,45 %. Il reste cependant toujours très en deçà de la moyenne du continent, qui est de l’ordre de 2,5 %. En somme, je dirais que notre plus grande réussite a été d’amorcer le retour de la confiance, et c’est ce que mes détracteurs ont vainement essayé de détruire. Nous y sommes parvenus en développant une politique de transparence à tous les niveaux. Autant que possible, faire ce qu’on dit et dire ce que l’on fait.
C’est ainsi que nos réformes ont mis l’accent sur la digitalisation comme outil de transparence et d’efficacité et sur la simplification de notre fiscalité. En janvier 2022, l’agence Standard & Poor’s a rehaussé la notation de la RDC de CCC+, Perspective Positive à B-, Perspective Stable, témoignant du changement structurel profond de l’économie congolaise et du développement favorable de la position extérieure du pays. En novembre 2022, l’agence de notation internationale Moody’s a rehaussé la notation de la RDC à B3, Perspective Stable. L’achèvement du programme avec le FMI ainsi que ainsi que le maintien des performances en 2023 et 2024 devraient conduire à un nouveau rehaussement de la notation du pays en janvier 2025.
Pouvez-vous nous parler des programmes que vous avez menés avec le FMI, la Banque mondiale, la BAD et des indicateurs macroéconomiques de la RDC ?
Le programme de 3 ans avec le FMI nous a considérablement aidé à consolider notre cadre macroéconomique et à dérouler l’ensemble de nos réformes visant à améliorer la gestion des finances publiques, notamment celles liées à la création de la nouvelle Direction générale du trésor et de la comptabilité publique, déjà effective, ainsi que la Direction générale des systèmes d’information, en cours de création. Avec la Banque mondiale, le cadre des appuis budgétaires a également été déterminent pour obtenir certains changements dans les méthodes de gouvernance ; je pense notamment à la sélection des dirigeants de certaines entreprises publiques par voie de concours et aux décisions prises pour améliorer la gestion du patrimoine forestier.
Le satisfecit reçu du Fonds et de la Banque a contribué à améliorer la perception de l’économie congolaise et nous devons désormais consolider ces acquis pour le futur. En 2019, la part des ressources extérieures globales dans le budget général représentait 12,1%. En 2023, elle a atteint 22,5%, pendant que le budget était 3 fois plus important que celui de 2019. En termes de stock, l’encours des projets Banque mondiale est passé de 3,8 milliards USD en 2019 à 8,3 milliards USD en 2023, destinés à impacter directement 31,3 millions de Congolais. Le portefeuille de la BAD est passé de 1,4 milliard en 2019 à 2 milliards en 2023. Le dialogue franc que j’ai mené avec les principaux partenaires au développement a abouti à une réorientation de la politique de l’aide, en privilégiant davantage les grands projets intégrateurs et structurants, notamment dans les infrastructures et l’agriculture.
Ainsi, toute l’allocation du FAD 16, environ 600 millions USD, a été orientée vers la transformation agricole afin d’appuyer la vision du Chef de l’Etat sur la revanche du sol sur le sous-sol. Une enveloppe sous-régionale de la BAD nous a permis de lancer les travaux de réhabilitation et d’asphaltage de la route Mbuji Mayi – Kananga, tandis que les ressources de l’Union européenne nous ont permis de prolonger le tronçon Kinshasa-Tshikapa jusqu’à Kananga.
Avec la Banque mondiale, dans une approche multi-phase, nous avons conclu le projet PACT à concurrence de 1,5 milliard USD. Ce projet de grande envergure permettra in finé de relier le Centre (Mbuji-Mayi) à l’Est du pays (Bukavu) afin de rompre la fracture de la chaine logistique. Notre pays est l’un des pays africains qui sont le plus confrontés au déficit d’infrastructures. Nous sommes donc parmi les plus intéressés par le guichet IDA de la Banque mondiale, principal guichet concessionnel en mesure de nous aider à réduire cette fracture. Voilà pourquoi j’ai accordé une attention soutenue au plaidoyer pour un renouvellement ambitieux de l’IDA en faveur de l’Afrique et j’ai œuvré à l’amélioration de notre capacité d’absorption au niveau national. Notre taux d’absorption est ainsi passé de 17 % en 2019 à 26 % en 2023.
La RDC dans plusieurs indices de sécurité et d’investissement est classée comme un pays à risque. Comment le pays parviendra-t-il à quitter cette zone rouge ?
Comme nombre de pays africains, la RDC s’efforce de renforcer la solidité de ses institutions afin d’être plus attractive pour les investissements. S’agissant de la sécurité physique des investissements, la situation sécuritaire à l’est du pays continue d’affecter la stabilité dans cette zone et surtout l’image de l’ensemble du pays. Pourtant, cette insécurité perpétuée à dessein ne concerne que deux provinces sur 26. Elle sert à couvrir l’exploitation illégale de nos minerais dans cette zone ainsi que quelques velléités territoriales. Tous les efforts sont en cours pour améliorer la situation sécuritaire. Pour le reste, la sécurité des contrats et de la propriété, la cohérence, la clarté et la stabilité du cadre fiscal, font partie des priorités de nos actions visant à améliorer l’environnement des affaires. Au niveau des infrastructure, élément essentiel de la compétitivité d’un pays, la priorité est à la réhabilitation et au développement des voies routières, des voies ferroviaires, avec notamment les projets du corridor Kolwezi-Lobito ou encore le train urbain à Kinshasa, ainsi qu’à l’amélioration de l’accès à l’eau et à l’électricité. Notre pays est l’un des dix pays les plus affectés par les effets du changement climatique et cela obère nos efforts financiers visant à réduire la fracture en matière d’infrastructures. Notre gouvernement a initié et fait aboutir un ambitieux projet d’acquisition de plus de 5.000 engins lourds qui seront gérés en PPP et serviront à reconquérir nos dizaines de milliers de kilomètres de routes secondaires à travers tout le pays. En sommes, nous avons contribué à réunir les conditions pour envisager la transformation structurelle de l’économie.
Lors de l’examen du projet de loi des finances pour l’exercice 2024, précédé par la reddition des comptes de l’année 2023 sous votre gestion, notamment lors de l’adoption de la loi de règlement, la Cour des comptes ainsi que certains de vos collègues députés ont relevé des anomalies dans les chiffres. Un dépassement important a été constaté concernant les paiements en procédure d’urgence, estimé à 15 000 milliards de FC (soit environ 5,77 milliards de dollars au taux budgétaire de 2 600 FC/USD) sur un total de 22 000 milliards de FC (environ 8,46 milliards de dollars) des dépenses ordonnées par le ministère des Finances en 2023, tel que mentionné dans la reddition des comptes. Quelle est votre réponse à ces observations ?
A en croire ce rapport fallacieux, les dépenses exécutées en procédure d’urgence représenteraient près de 66% de l’ensemble des dépenses ordonnancées par le Ministre des Finances en 2023 et seraient peu ou prou assimilables à des détournements. Pourtant, les réponses apportées par l’actuel Ministre des Finances à la commission ECOFIN du parlement, ainsi que les journaux des opérations comptabilisées de la Banque Centrale, certifiés par le FMI, renseignent clairement que les dépenses en urgence en 2023 ont été de 4.189 milliards CDF, soit près de 18% de l’ensemble des dépenses ordonnancées. L’audit mené par le FMI, dans le cadre de la 6ème revue du programme économique du Gouvernement appuyé la Facilité élargie de crédit, a abouti à la conclusion selon laquelle, lorsqu’on neutralise les dépenses sécuritaires exceptionnelles du total des dépenses en urgence, ce ratio est ramené à 10%, conforme à la norme.
Depuis ma prise de fonctions en avril 2021, j’ai ramené le taux des dépenses en urgence de 15 % avec mon prédécesseur à 12 et 13 % respectivement en 2021 et 2022. L’année 2023 a été exceptionnelle du fait de l’organisation des jeux de la Francophonie et des élections générales, en plus de la résurgence des affrontements armés à dans l’Est du pays. S’agissant de la procédure d’urgence elle-même, elle est tout à fait légale et prévue par les textes. Il y a des déclarations et propos qui ne peuvent venir d’un auditeur, sauf à ce celui-ci se soit transformé en politicien. Comme vous pourrez le constater, l’on s’interroge sur les motivations et la source des chiffres fournis par la Cour des Comptes, ce qui m’a amené à les accuser d’avoir commis un faux intellectuel.
Vous avez été cité à plusieurs reprises dans une affaire concernant les forages et les lampadaires. Selon nos sources, des rapports de l’IGF révélaient des surfacturations et des paiements non conformes aux procédures régulières. Qu’en est-il exactement ?
La réponse est simple. Rien. Une grossière cabale politico-maffieuse a été montée par l’Inspection générale des finances contre ma personne et relayée par d’autres complices, y compris au sein des institutions, mais elle était trop grosse pour tenir. On a essayé de me rendre responsable de surfacturation et de détournement dans deux contrats que je n’ai ni négocié, ni signés, dont l’un était même signé avant mon entrée au gouvernement. Pour finir, il est apparu que :
- Mes actions dans ces deux dossiers allaient toutes dans le sens de protéger les intérêts de l’Etat.
- Depuis le mois d’aout 2023, ayant constaté l’accumulation des retards dans l’installation des stations d’eau, j’avais fermement refusé de donner suite aux demandes du ministère bénéficiaire, alors que l’IGF, sensée contrôler les dépenses, n’a attendu qu’avril 2024 pour lancer l’alerte sur les retards d’exécution du contrat. J’ai donc fait son travail à sa place et cela ne l’a pas empêchée de me cibler moi en lieu et place du ministère contractant.
- Dans le dossier des lampadaires, la situation était encore plus grave ; l’action de l’IGF n’était mue que par la volonté d’écarter un concurrent au profit d’une entreprise du groupe RAWJI, pour laquelle le responsable de l’IGF a longtemps travaillé comme conseiller fiscal, en parallèle avec son statut d’inspecteur des finances. Travail qui s’est poursuivi à travers son épouse.
En bref, dans tous ces dossiers, ma responsabilité ne pouvait aucunement être engagée. Depuis l’instruction judiciaire de ce dossier au parquet jusqu’à ma comparution comme renseignant dans le procès en cours, toutes les machinations montées contre moi ont volé en éclat et, du fait de sa direction, l’Inspection générale des finances a davantage perdu de sa crédibilité au regard de la légèreté des accusations et du caractère orienté et déloyal de ses méthodes.
Pouvez-vous nous parler des grands projets confiés à la société Milvest, notamment le centre financier ARENA et l’aéroport ? Selon nos sources, vous auriez été au cœur des négociations et des montages financiers entre la partie turque et la partie congolaise .
Ces projets structurants sont à la hauteur des ambitions de la RDC. Je les ai conduits dans la transparence et avec une efficacité et une efficience sans pareil sur le continent africain. Des gens ont tenté de manipuler l’opinion pour faire croire qu’il s’agit d’éléphants blancs et de projets surfacturés. Heureusement qu’il n’a pas fallu longtemps pour que le contraire soit démontré. Tenez, le Centre financier a été construit au coût moyen de 1.883 $/m2, contre 4.356$ pour le Marina Bay à Singapour, 3.144$ pour le Centre financier de Shangaï, 3.701$ pour le Centre des Congrès de Kigali, 2.469$ pour le Centre financier d’Istanbul, 7.645$ pour le Centre financier de Casablanca. Le Centre financier et le Centre de conférences de Kinshasa ont été achevés en 18 mois.
En 2024, ces édifices ont remporté le prix décerné par le Luxury Lifestyle Award, dans la catégorie Best Mixed-Use Architecture. Quant à l’Arena de Kinshasa, non seulement elle est l’une des plus modernes et polyvalentes car elle peut abriter 16 compétitions différentes, mais elle est également la plus grande (20.000 sièges) et la plus efficiente d’Afrique au prix 2.002$/m2, contre 3.617$/m2 pour Kigali, 3.342$/m2 pour Dakar.
Ces deux projets sont générateurs de revenus, d’influence et de rayonnement. Ils s’autofinancent en une dizaine d’année. Nous les avons placés à l’actif d’un Fonds d’Investissements stratégique que j’ai créé et qui a vocation à porter plusieurs investissements dans différents secteurs productifs. Il s’agit donc d’un investissement qui produira plusieurs effets multiplicateurs s’il en est fait bon usage. S’agissant de l’aéroport, il y a eu quelques tergiversations sur le choix de l’entreprise qui effectuera ce projet. L’offre de Milvest est de le faire en BOT et avec la même efficacité que ses autres projets, ce qui correspond bien aux attentes et aux intérêts de l’Etat congolais.
Compte tenu de tout ce qui précède, pensez-vous que vous étiez devenu une figure gênante au regard des résultats obtenus et des réformes de transparence que vous avez engagées durant votre mandat au ministère des Finances ?
Absolument ! Le changement fait peur par nature. Et quand c’est un changement qui remet en cause certains conforts mafieux, il fait davantage peur. Mais avec ou sans moi, la RDC doit changer par des réformes audacieuses et intelligentes sinon elle ne cesserait jamais de n’être qu’une triste histoire de potentiel, sans jamais transformer ce potentiel en développement.
Puisqu’il s’agit avant tout de changer les mentalités des Congolais, j’ai introduit, par une loi fiscale que le Président Tshisekedi a promulguée en décembre 2023, l’obligation pour chaque citoyen, à partir de 2025, de déclarer annuellement ses revenus et son patrimoine. Déjà l’année passée, pour préparer l’opinion à ce changement majeur, j’avais pris un arrêté pour autoriser chaque citoyen à déclarer, de manière facultative, ses revenus et impôts payés. Au total, seuls 29.643 personnes se sont livrées à cet exercice, dont 4.060 agents publics et 25.583 employés du secteur privé. Ça veut dire 6 employés du secteur privé contre 1 seul du secteur public. Et pourtant, s’agissant du secteur formel, nous avons 3 fois plus d’employés dans le public que dans le privé.
Tout cela démontre la responsabilité primordiale des représentants de l’Etat, à tous les niveaux, sur le plan de l’éthique et de la lutte contre la corruption. Pour votre information, j’étais le seul membre du Gouvernement à faire ma déclaration de revenus en 2023.
En tant qu’ancien cadre de la Banque centrale et ancien fonctionnaire de la BAD et du PNUD, habitué aux procédures de transparence, comment avez-vous vécu intérieurement ce que d’aucuns appellent une cabale politico-médiatique ? Pensez-vous avoir été un homme à abattre ?
En effet, mon passage pendant de longues années dans ces institutions internationales a contribué à me forger en ce qui concerne les exigences d’éthique professionnelle. D’ailleurs je me souviens qu’à mon époque, le PNUD était primé plusieurs années comme l’institution de développement la plus transparente, aux coté de toutes les autres dont la Banque mondiale et le FMI. Je considère que ce qui m’est arrivé était le prix à payer pour le changement. Après toutes les prouesses historiques que j’ai effectuées en tant que Ministre des Finances, j’ai été livré en pâture, mieux, offert en holocauste, alors que je n’ai cessé de me distinguer dans mon éthique personnelle et professionnelle, ainsi que dans les réformes courageuses que j’ai apportées, tout au long de mes fonctions. Connaissant la réalité de ce qui se passait, je vivais cela comme si on me faisait porter tout le mal de l’administration congolaise dans une sorte d’expiation. Heureusement que le temps fini toujours par tout révéler. Ayant été disculpé, mon seul souhait est que toute cette expérience nous serve à tous de leçon, individuellement et collectivement, pour le bien du pays.
Changeons de sujet. Quel est votre regard sur l’intégration économique africaine et la mise en œuvre de la ZLECAF ?
Je pense que l’intégration des économies africaines est un horizon auquel nous n’échapperons pas, quel qu’en soit le terme. Mais pour moi il est évident qu’un grand pays comme la RDC ne pourra s’intégrer efficacement avec ses pairs africains s’il n’est pas lui-même intégré en son sein. Nous sommes encore au stade de relever nos défis intérieurs tels que la mobilité, l’accès à l’eau et à l’énergie ainsi que la fiscalité et, plus globalement, l’efficacité de notre gouvernance. Sans un Congo retrouvé sur tous les plans, l’intégration économique continentale se fera à nos dépends, contrairement à notre vocation et à notre ambition.
Aujourd’hui, l’Union africaine et d’autres structures régionales sont largement financées par l’Union européenne et d’autres partenaires. Dans la realpolitik, on dit souvent : « La main qui donne est celle qui commande ». Selon vous, comment les institutions africaines pourraient-elles se financer de manière autonome ?
Je ne pense pas que la coopération avec l’UE ou avec toute autre entité met nécessairement l’Afrique dans une forme de vassalité. La coopération, tout comme l’aide au développement, sont des atouts pour nous construire. Et en nous construisant, nous prenons la stature qu’il faut pour nous autonomiser. Pour moi la question n’est pas dans le fait de recevoir de l’aide de tel ou tel, mais plutôt dans l’usage que nous en faisons pour nous renforcer et nous autonomiser.
Toujours dans le cadre de l’intégration, qu’est-ce qui explique les difficultés de mise en œuvre du projet intégrateur du barrage d’Inga, malgré les apports de partenaires comme la Banque mondiale et la BAD ? S’agit-il d’un problème de leadership ?
C’est un projet majeur et de nature géopolitique, qui nécessite une approche stratégique bien murie. Le temps nécessaire pour forger les consensus recherchés auprès des multiples parties prenantes (pays impliqués, spécialistes du secteur, environnementalistes, investisseurs, financiers, …) est obligatoirement long car il est parsemé de divergences d’approche, d’essais-erreurs et d’imprévus. Aussi, la RDC, en tant que pays hôte d’un tel projet d’envergure mondiale, doit offrir le profil qui convient en termes de vision, de prévisibilité, de sureté des décisions et de cohérence de l’action. Par rapport à l’ensemble de ces éléments, nous avons parcouru un long chemin et je pense que nous arrivons à un moment de maturation. La RDC est en train de préparer une loi sur Inga qui cristallisera toutes ces attentes et exigences. Le pays se dotera également d’une stratégie pour baliser le déroulement de ce projet au milieu des différents enjeux connexes. Mais le rôle de la Banque mondiale et de la BAD ne peut être que catalytique, car Inga sera par nature un projet porté par l’investissement privé. C’est ainsi que la Banque mondiale vient d’approuver un crédit de 1 milliard de dollars à la RDC, pour notamment finaliser les études nécessaires et amorcer la construction d’une nouvelle ville aux abords du site d’INGA, en anticipation des exigences du projet. L’implication renouvelée de ces deux institutions financières aux côtés du gouvernement Congolais devrait nous permettre de rectifier le tir là où c’est nécessaire et d’accélérer la formation des consensus recherchés et le déroulement du projet.
La question monétaire fait débat en Afrique. Certains estiment qu’avec la création d’un marché commun, l’Afrique devrait envisager, comme le décrit l’Agenda 2063, la création d’une monnaie commune africaine. En tant qu’économiste, qu’en pensez-vous ?
Sur ce sujet de la monnaie comme sur celui de l’intégration économique, mon point de vue est similaire. Si la monnaie commune est l’aboutissement d’un processus d’intégration économique bien mené, je n’y vois que des bénéfices. Dans le cas contraire, cela n’apportera rien d’autre qu’une simple illusion. Nous avons le cas des pays qui partagent en commun le franc CFA. Leur intégration économique est insignifiante et le recours à cette monnaie, qui est certes un gage de stabilité monétaire, n’a pas encore réussi à être un accélérateur de développement.
En bref, je ne suis pas en désaccord avec ces grands objectifs d’intégration économique et monétaire continentale, mais la plupart des Etats africains sont encore dans la phase de leur structuration interne afin de valoriser au mieux leurs avantages comparatifs dans l’économie réelle, pour les rendre aptes à la compétition suscitée par l’intégration économique. Et pour y parvenir, les pays les plus proactifs n’hésitent pas à être disruptifs par rapport aux grands engagements internationaux qu’ils ont pris en matière de commerce international.
Enfin, il est impossible de conclure cet entretien sans évoquer un débat majeur qui secoue actuellement la RDC : la question de la révision ou du changement de la Constitution. Quelle est votre position sur ce sujet en tant que député, Nicolas Kazadi ?
La constitution en vigueur, adoptée par référendum en décembre 2005, est le fruit des discussions entre belligérants de l’époque. Elle a permis des avancées certaines, notamment la première alternance pacifique que le pays ait connu en janvier 2019, grâce à la limitation des mandats. Mais il n’empêche que cette constitution contient des tares qu’il est urgent d’extirper. Je pense notamment au mode d’élection des Sénateurs et Gouverneurs de provinces, qui a fini par normaliser la corruption à grande échelle car aucun Sénateur, aucun Gouverneur, n’a été élu sans acheter ses voix auprès des députés provinciaux. En plus, ce système fragilise en permanence les Gouverneurs en fonction car à tout moment, une OPA peut être lancée sur son poste à coup d’argent. Il s’agit là d’une dérive qui met gravement en danger le processus de démocratisation de notre pays. S’agissant du Sénat, nombre de mes concitoyens pensent qu