Par Benoit S NGOM, Président Fondateur de l’académie Diplomatique Africaine (ADA)
Le Président de la CEDEAO et Chef de l’État du Nigeria, Bola Tinubu, a le devoir et la responsabilité de prendre une initiative exceptionnelle d’apaisement à l’égard de l’AES (Alliance des États Sahéliens). Cela permettrait à la mission menée par les Presidents Diomaye Faye du Sénégal et Faure Gnassingbé du Togo d’avoir de meilleures chances de succès et d’éviter ce qui pourrait être perçu comme la chronique d’un échec annoncé.
Une telle démarche, digne d’un homme de sa génération et de son expérience, serait bien accueillie par les peuples de l’AES qui, malgré tout, soutiennent majoritairement leurs dirigeants. Ce faisant, il réaffirmerait la volonté sincère de l’organisation régionale de préserver son unité et de garder tous ses membres au sein de son giron.
Le Nigeria, dont la présidence actuelle de la CEDEAO est assurée par le Président Tinubu, ne saurait laisser à l’histoire le désastre de l’éclatement de cette organisation sous-régionale, unique en Afrique. En tant que successeur de Yacouba Gowon, père fondateur de la CEDEAO, Tinubu, homme d’affaires à la réputation bien établie, ne peut décevoir la jeunesse de la région, voire du continent, qui voyait en son mandat les prémices d’une réorientation de la CEDEAO vers sa mission première : le développement économique et social de l’Afrique de l’Ouest.
Pour éviter une tache indélébile sur sa présidence, il doit agir maintenant, car le temps presse.
Cette crise, qui risque d’aboutir à une autodétermination ou à une sécession des États de l’AES, est en grande partie la conséquence d’un éloignement progressif de la mission assignée à la CEDEAO en 1975 par ses pères fondateurs.
En effet, lorsque la CEDEAO se conformait aux directives réalistes et pragmatiques des premiers dirigeants post-indépendance, elle a pu, dès 1979, poser à Dakar un acte fondamental garantissant la liberté de circulation des citoyens ouest-africains sans visa, ainsi que la mise en place d’un passeport et d’une carte d’identité communs.
Ces avancées ont permis aux citoyens de voyager, de commercer et de tisser des liens entre eux, renforçant des relations enracinées dans des coutumes et traditions partagées, au-delà des frontières artificielles héritées des puissances coloniales. Ces principes coutumiers, consacrés par la majorité des peuples, traduisent une réalité que les élites africaines, souvent influencées par des agendas étrangers, ignorent parfois.
L’apport du Protocole de 2001
En 2001, la CEDEAO a adopté un Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, salué par les militants des droits humains. Ce texte interdit tout « changement anticonstitutionnel » et impose que toute accession au pouvoir s’effectue à travers des élections libres, honnêtes et transparentes. Il interdit également toute réforme substantielle de la loi électorale six mois avant les élections.
Cependant, pour une majorité de citoyens qui ne perçoivent la CEDEAO qu’à la veille des élections, ce protocole semble résumer l’ensemble des activités de l’organisation. Or, celui-ci énonce aussi des principes essentiels, notamment que l’armée est au service de la Nation et interdit l’usage des armes contre des manifestants non violents.
Une inertie coûteuse
Malgré cela, force est de constater que bon nombre d’États membres ne remplissent pas les conditions minimales pour une démocratie pluraliste. Il ne suffit pas de brandir des sanctions pour imposer la démocratie : les citoyens doivent être éduqués et formés à la pratique citoyenne, en valorisant le bien commun et l’intérêt général.
La CEDEAO, au lieu de prévenir les conflits, semble agir après coup. Par exemple, la situation en Guinée, sous Alpha Condé, aurait pu être évitée si des actions préventives avaient été entreprises. De même, les récriminations des citoyens des pays de l’AES, ignorées pendant des années, ont conduit à la situation actuelle.
Imposer des sanctions, comme la fermeture des frontières, méprise l’attachement profond des populations à la liberté de circulation, un des piliers de la CEDEAO. Par ailleurs, l’idée d’une intervention militaire pour renverser un gouvernement au Niger aurait pu déclencher une « guerre des pauvres », un scénario tragique et injustifiable.
Un appel à l’unité et à la réconciliation
La CEDEAO doit se ressaisir. Son inertie est en partie responsable de la crise actuelle. Comme l’a récemment souligné le Président Diomaye Faye, cette situation expose l’organisation au risque de perdre 60 % de son territoire.
Il est temps que la CEDEAO réaffirme son rôle de médiateur. En confiant la mission de réconciliation au Sénégal et au Togo, elle a fait un choix judicieux. Les contributions historiques des Présidents Léopold Sédar Senghor et Gnassingbé Eyadéma justifient cette décision.
Nous appelons les dirigeants de l’AES à faciliter cette mission, à ne pas jeter l’enfant avec l’eau du bain. Ce siècle est celui des grands ensembles. Une Afrique unie aspire à parler d’une seule voix au G20 et à obtenir deux sièges au Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Enfin, aux Présidents Assimi Goïta et ses pairs : les femmes et les hommes de volonté de notre région vous ont compris. Aidez à préserver notre unité en facilitant la réconciliation, car l’histoire jugera nos actions et notre capacité à bâtir un avenir commun.
Un commentaire
Pouvez-vous donc nous dire ce que les hommes et les femmes de volonté de notre région ont compris de la lutte entreprise par l’AES?
Réconcilier?? Il n’y a pas de réconciliation si les uns et les autres n’arrivent pas à admettre leurs erreurs.