Par Gaston Kelman, écrivain
En guise de prologue
Au moment où j’achève ces lignes à mon retour de Mauritanie, un Noir vient de se faire massacrer en prison par les gardiens. Il est impossible de lui attribuer un autre tort que la couleur de sa peau de minorité numérique et pensante. Au moment où j’achève ces lignes en ce 30 décembre 2024, le premier ministre français s’est déplacé pour Mayotte, deux semaines, deux semaines après le passage d’un cyclone qui a dévasté 90% de cette île français. Il y arrive après le passage du président de la république dont le message que tout le monde a retenu, ses amis et les autres, c’est que ces gens qui occupent un territoire français (et ne sont donc pas français) seraient 10 000 fois (chiffre du président) moins bien s’ils n’étaient pas en France. Si des citoyens français n’en sont plus, et si l’équipe gouvernementale prend deux semaines pour aller les rencontrer, il est difficile de croire que les propos et le comportement auraient été les mêmes, s’il s’était agi de la Corse ou de l’Alsace.
Mais ce qui est le plus préocupant c’est qu’en même temps, les noirs Africains fourbissent leurs discours pour qu’il soient les plus larmoyants possibles avant d’aller querir un brevet des droits de l’homme et quelques subsides auprès de ces parangons des droits de l’homme, après avoir dit tout le mal qu’ils pensent de leur pays et de leurs frères.
Y en a qui vous parlent de l’Amérique, /Ils ont des visions de cinéma ; /Ils vous disent » Quel pays magnifique « / Notre Paris n’est rien auprès d’ça. Je ne sais pas si cela va nous consoler, mais l’aliénation, la chanteuse française Frehel fustigeait déjà en 1936 celle de ces Français qui idolâtraient l’Amérique. L’aliénation, voilà le plus grand malheur de l’Africain, le cancer que la colonisation a implanté dans l’inconscient collectif. Pour Aimé Césaire, « on avait fourré dans sa pauvre cervelle qu’une fatalité pesait sur lui… Qu’il n’avait pas puissance sur son propre destin». L’aliénation vous met sous la domination mentale de l’autre dont vous adoptez inconsciemment la pensée, la culture, l’identité en quelque sorte.
Le monde négro africain post colonial est empêtré dans l’aliénation qui est le seul vrai frein à son développement. En ce qui concerne les pays qui sont mon centre d’intérêt, le maître reste la France et plus généralement la pensée, la vision occidentales. On rêvera de la démocratie, cette supposée panacée dont personne ne réussit à définir la forme. On appliquera l’absurde diktat de la limitation des mandats présidentiels qui n’est nullement démocratique. On parlera de l’émergence dans un horizon brumeux, sans dire quels sont les indicateurs de cette émergence. On adoptera le système scolaire, juridique et même la langue de l’autre sans se demander s’ils sont adaptés à son univers. Il est inimaginable qu’à ce jour, les vacances scolaires – même les vacances scolaires – en Afrique subsaharienne soient calquées sur le modèle colonial, qui tombe à la plus mauvaise saison en zone équatoriale. On pensera trouver en Occident les défenseurs des droits de l’homme au sein de peuples structurellement racistes comme les Etats-Unis, ou fondamentalement impérialistes comme la France.
Les processus de libération.
La libération des peuples colonisés passe par deux étapes. La première c’est la libération administrative. On acquiert l’indépendance et une souveraineté officielles. Mais le prédateur ne lâche pas aussi facilement sa proie. Le général Charles de Gaulle en son temps a tout fait pour retarder même la première libération. Ecoutez donc cette déclaration de la conférence de Brazzaville en 1945. «Les faits de l’œuvre de la civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’empire. La constitution même lointaine de self gouvernement est à écarter… On veut que le pouvoir politique de la France s’exerce avec précision et rigueur sur toutes le terres de son empire».
Le colonisé va se battre pour la libération administrative. Au Cameroun, cette lutte ne sera pas seulement diplomatique. Le colon engagera une guerre meurtrière pour conserver la mainmise sur une terre qui ne lui appartient pas. Mais tôt ou tard et quel qu’en soit le prix, le dominé finit par gagner cette première étape, la plus facile, celle qui l’oppose à un oppresseur barbare venu d’ailleurs. La deuxième bataille opposera le postcolonisé à lui-même : se libérer des complexes qui sont dans sa tête. Et si toutes les colonies françaises ont eu leur indépendance administrative en 1960, du fait du maître, la libération de l’esclavage mental se fera en rang dispersé, chacun avec les moyens qu’il se donne. Et c’est ici que l’on verra la différence. C’est ici que les plus méritants se démarqueront des autres dans leur course vers le développement. Mais de ce développement, qui définit le modèle !
Les indicateurs de développement.
Les Africains ont accepté une fois pour toute d’indexer leur développement sur des critères définis par leurs maîtres. Bien entendu, ces critères sont d’une fantaisie tragi-comique. Ils évoluent selon les pays. Un coup d’Etat au Tchad sera adoubé par l’Elysée qui condamnera avec la dernière énergie celui du Niger et avec un comportement digne du vaudeville. Les mandats illimités d’untel, jugé comme assez servile, feront de lui un héros, alors que tel autre sera mis au ban de la société par le même inquisiteur. Ainsi, bien longtemps, il a été décidé que la Mauritanie était le pays de l’esclavage moderne. C’était comme ça et rien d’autre.
La Mauritanie est sortie de ce guêpier et ne se préoccupe plus vraiment de ce que l’on pense d’elle dans ce domaine comme dans tous les autres. Elle a mieux à faire que de s’occuper du tango d’un inquisiteur fantaisiste. Ce peuple est d’une fierté exceptionnelle. Il n’a jamais été sous l’emprise mentale du colon. Même ses coups d’états, il les revendiquait, alors que c’était la belle époque où les officines Foccart les semaient à tout vent. Un autre indicateur qui ne trompe pas, c’est l’un des pays africains dont les citoyens migrent le moins vers les eldorados occidentaux. Elle a bien sûr sa poignée de chevaliers blancs qui vont sonner aux portes de l’Occident pour demander justice et sanctions contre leur pays.
Ce qui est extraordinaire, les Africains droit-de-l’hommistes choisissent des maîtres inattendus. Comment imaginer que l’on aille pleurnicher à Washington, Paris ou Londres pour solliciter la condamnation de tel pays africain qui ne respecterait pas les droits de l’homme ? Quelle valeur donner à tel prix de bonne conduite ou à telle condamnation émanant de ces puissances ! Ici, seule la raison du plus fort leur donne raison. L’Amérique a-t-elle les moyens de condamner un pays dans ce domaine ? Cette terre n’est-elle pas le foyer du racisme structurel ? Les droits de l’homme sont-ils aussi ceux des Indiens dans des réserves comme des animaux ? Si la population carcérale est essentiellement noire, est-ce à cause de leur taux de criminalité ! Quand ce serait le cas, quelle est la cause de cette criminalité colorielle ? Black lifes matter !
On aura vite oublié le soutien inconditionnel du Royaume Uni à l’apartheid. Ecoutez comment le président français Emmanuel Macron traite les Mahorais dévastés par une récente tornade qui a laissé des centaines de morts sur le carreau et des milliers de familles sans abri et ruinées. « Vous êtes contents d’être en France. Parce que si c’était pas la France, vous seriez dix mille fois plus dans la merde ». Il compare ce département français, non pas à la Somme ou à la Drome, mais aux voisins africains pauvres, condition naturelle du Noir. Pour rappel, ils ne sont pas DANS la France comme de vulgaires immigrés clandestins. Ils sont français. Mais pas vraiment, selon leur président. Et ils sont en deuil. On pourrait les ménager aux termes de droits de l’homme. Qui pensera à indexer la qualité de vie de ces pays – USA, France, UK – à la place qu’on y accorde aux minorités ?
Les Africains doivent réaliser leur renaissance avec les critères de leur choix. C’est ce que fait la Mauritanie. De plus en plus, elle retrouve toute sa sérénité avec des amis comme moi, qui osent dire ce qu’ils y voient et non ce qu’on leur impose d’y voir. Alors je me souviens avec un sourire. Nous avons invité des ONG droit-de-l’hommistes dans ce pays. Au vu de cette société et du travail réalisé pour lutter contre les séquelles des traditions obsolètes, certains ont dit que le doute s’était insinué en eux. Mais d’autres nous ont clairement craché qu’ils ne seraient pas crédibles s’ils racontaient ce qu’ils ont vu. La vérité tout simplement.
Signes extérieurs d’aliénation.
François Ier est le roi emblématique de la Renaissance. A quoi doit-il cela ? L’ordonnance de Villers-Cotterêts qu’il signe en août 1539, « a été érigée en véritable mythe fondateur de la république (au même titre que la Nation par exemple) au motif qu’elle impose l’usage du français dans les actes juridiques ».On peut lire ces mots dans tous les documents qui parlent de ce roi et de son ordonnance phare. On ajoute aussi cette précision d’un historien. « Il est remarquable que, sauf erreur de ma part, ce soit le seul texte législatif de l’Ancien Régime encore invoqué aujourd’hui par les cours de justice et les hautes juridictions de la République (Cour de Cassation, Conseil Constitutionnel notamment) . Quoiqu’il en soit, nombre d’historiens estiment qu’il s’agit de l’ordonnance la plus importante du règne de François Ier ». Est-il encore besoin de souligner la place de la langue nationale dans le développement, la libération. Sembene Ousmane avait mille fois raison de rappeler à Léopold Senghor, grand défenseur de la langue française, « on ne décolonisera pas l’Afrique avec les langues étrangères »
Mon ami mauritanien, l’encyclopédique Jemal Taleb m’a rappelé que parmi les hauts faits de François 1er, en plus de l’institution d’une langue locale, il a compris que la souveraineté passait par la monnaie. Avant même son couronnement en 1515, il va battre une monnaie en or, qui lui permettra d’être le roi bâtisseur que l’on connaît. On découvre donc quand on en douterait encore, que la langue et la monnaie sont les outils essentiels des fondements d’une nation, des remparts de la souveraineté.
L’Ethiopie, nation millénaire, a pu échapper à la colonisation parce quelle avait assez de cohésion nationale et une identité forte pour résister aux armes et à la pensée des autres. Et bien évidemment, elle a sa langue propre. Elle a sa monnaie. Elle a des systèmes, religieux, politique, éducatif, adaptés à son peuple et à son histoire. C’est le travail qu’a fait la Mauritanie, ancienne colonie française « comme tout le monde », mais à la différence de beaucoup. Alors, on se demande comment il se fait qu’après soixante années d’indépendance, ces pays africains fortement influencés dans toute leur vie par le modèle français, n’aient pas appliqué les choix de François 1er. Une seule explication, l’aliénation. N’oublions pas que le colon se pose comme civilisateur. Il est encore bien en place pour cette mission. On le sollicite pour les choix à faire.
Alors pendant ce temps, les intellectuels africains de haut vol accompagnent cette mission civilisatrice, organisent des conférences avec la France pour embastiller la jeunesse africaine, participent à la création d’un « fonds français pour la démocratisation de l’Afrique ». Alors au dernier sommet des chefs d’état de la CEMAC, on décide de « replacer la Banque Mondiale et le FMI au cœur des économies de la sous-région » sous le regard tutélaire de « l’ambassadeur de France à Yaoundé dans la salle comme un inspecteur colonial » selon Simon Moussi, un ami, directeur de presse. Pourtant l’Ethiopie a financé le plus grand barrage d’Afrique, le bien nommé barrage de la renaissance – 5000 mégawatts – sans un centime ni des institutions de Bretton Woods, ni d’un partenaire extérieur, avec l’actionnariat populaire. Pourtant Nouakchott a financé son nouvel aéroport en vendant les terres de l’ancien, sans aucune intervention financière étrangère.
La Mauritanie, un modèle à suivre.
L’Ethiopie n’a pas été colonisée ; la Mauritanie, si ! Depuis une vingtaine d’années, quel que soit le prétexte qui me conduit dans ce pays, j’en reviens toujours avec une belle moisson de satisfaction. Aujourd’hui, j’y étais pour le festival des villes anciennes. En 1996, quatre villes mauritaniennes ont été inscrites au Patrimoine Mondial de l’UNESCO : Chinguetti, Ouadane, Oualata, Tichitt. Le pays a créé unfestival tournant, comme axe de développement. Cette année, il se tenait à Chinguetti.
Villes anciennes, certes, villes merveilles, peut-être, mais trous perdus aussi. Alors chaque festival est l’occasion de mettre une de ces villes sous les projecteurs. Chinguetti est une petite ville de l’Adrar, une région d’accès très difficile. Le plateau sur lequel elle est posée, niche au sommet d’une montagne qui la sépare de la capitale régionale, Atar, distante de quatre-vingt kilomètres. Le festival attire les foules locales et étrangères, souvent de haut niveau. Cette année, en plus de la Directrice de l’UNESCO, on voyait déambuler dans les travées, Jack Lang l’inégalable ministre français de la culture. Archéologues, journalistes, artistes, festivaliers en tout genre suivaient l’interminable rang des ambassadeurs, des ministres locaux ou étrangers avec le chef d’état en tête de file. On n’a jamais vu une telle concentration de véhicules tout-terrain japonais , à part peut-être sur les parkings des usines Toyota.
Les axes de développement. On promeut le tourisme. Alors les routes sont construites ou améliorées. L’eau courante et l’électricité dont la capacité a été renforcée peu avant le festival, sont dans tous les foyers de cette ville de la taille de notre Ngambè camerounais dans la Sanaga-maritime. Pas l’ombre du soupçon de menace d’un délestage électrique ni d’aucune coupure d’eau dans ces contrées désertiques. Le ciel est truffé de pilonnes de télécommunications qui assurent une qualité de réseau parfaite. C’était jour de fête à Chinguetti avec fantasia, course de chevaux et de dromadaires.
Pendant notre séjour à Chinguetti, notre cher Directeur de publication a eu un accident. L’hôpital de cette localité de la taille de Mgambè l’a accueilli dans un service d’urgence de grande qualité, propre et efficace. Nous y avons passé une trentaine de minutes, le temps de la consultation et de la perfusion, sans dépenser un sou. Après le social, la sécurité, la Mauritanie est désormais le coin le plus sécurisé du Sahel alors qu’il y a quinze ans, tous les pays du monde déconseillaient à leurs ressortissants d’y mettre les pieds. Au cours d’un voyage aux USA en 2009, parce que mon passeport était constellé de visas mauritaniens, j’ai subi la fouille au corps dans les aéroports de tous les états que j’ai visités.
Ma place dans le cœur des Mauritaniens, je la dois à mon statut d’intellectuel. En effet, la renaissance est le temps du nomadisme des arts, des sciences et des lettres, chaque prince voulant avoir dans son palais les meilleurs du moment. François 1er excellait dans cet art. C’est ainsi que j’ai été contacté par ce pays. Le Camerounais Manu Dibango l’avait été par Félix Houphouët Boigny. Une histoire d’amitié est née entre nous.
Et j’ai été au comble de l’émotion, quand après ma décoration, j’ai été abordé par le frère de Elly Vall. C’est le défunt président qui en 2006, m’introduisait dans ce pays. Son frère m’a montré le revers de sa veste. Elle avait la griffe de l’ancien président. « J’ai porté un des complets de ton ami pour toi. Ainsi c’est un peu comme s’il était là». Pour me remercier d’avoir immortalisé son frère dans un livre et d’avoir parlé de lui dans mon allocution, il m’a offert un costume de l’auguste disparu.
Kateb Yacine, au comble de l’aliénation, considérait la langue française dont il usait, comme un trophée de guerre. Le pauvre homme ! C’est ce que les Troyens avaient cru quand le malin Ulysse leur a offert le cheval de Troie. On connaît la suite. Je pense pour ma part pouvoir être fier du viatique que Salek, le frère du défunt président m’a offert. Je bombe le torse pour exposer ma médaille. Rien de plus beau que d’être honoré par les siens, comme un honneur aux maîtres locaux.
Et à la fin de mon séjour, je me voyais décoré chevalier de l’ordre du mérite mauritanien.