Nous avions, dans la précédente leçon, défini la compétitivité-prix d’un pays comme la capacité à produire, à des prix inférieurs ou égaux à ceux de ses concurrents, des biens et services de qualité équivalente. Autrement dit, toutes choses égales par ailleurs, si les prix domestiques d’un pays donné diminuent par rapport aux prix de ses partenaires commerciaux, ce pays devient plus compétitif vis-à-vis de ses concrurrents. Après une définition du Taux de Change Effectif Réel (TCER) et une explication théorique de sa portée économique, nous verrons ses limites .
Le Concept de TCER
Le Taux de Change Effectif Réel (TCER) est défini comme un rapport entre les prix d’un pays et ceux de ses partenaires commerciaux, en tenant compte des taux de change de la monnaie.
Pour simplifier, on va définir les variables suivantes :
– P* représente les prix des partenaires commerciaux de la Côte d’Ivoire exprimés en Dollar,
– Pd représente les prix de la Côte d’Ivoire exprimés en franc CFA,
– et « e » est le taux de change ou la valeur d’1 unité de franc CFA en Dollars.
Donc le TCER de la Côte d’Ivoire s’écrira ainsi : ePd/P*
A partir de cet indicateur de compétirivité-prix, on peut décrire plusieurs scénari :
- Si, à cause de l’inflation, les prix en Côte d’Ivoire (Pd) augmentent, P* et e étant constants, la Côte d’Ivoire devient moins compétitive : ses exportations peuvent baisser, ses importations risquent d’augmenter, sa balance commerciale risque de se détériorer et tout cela peut impacter négativement le taux de croissance de son économie.
- Si, à cause de l’inflation, les prix des partenaires commerciaux de la Côte d’Ivoire ( P*) augmentent, Pd et e étant constants, la Côte d’Ivoire devient plus compétitive : ses exportations peuvent augmenter, ses importations peuvent baisser et sa balance commerciale peut s’améliorer et tout cela peut impacter positivement le taux de croissance de son économie.
- Si le Dollar s’apprécie ou que le CFA se déprécie (ou est dévalué) Pd et P* étant constants, les importations de la Côte d’Ivoire seront plus chères et pourront diminuer. Ses exportations seront moins chères et pourront augmenter. Ce qui pourra améliorer sa balance commerciale et impacter positivement le taux de croissance de son économie.
En cas de dévaluation, les quantités de biens exportés augmentent et celles des biens importés diminuent et le solde de la balance commerciale s’améliore : il peut devenir positif ou passer d’une situation déficitaire à une autre moins déficitaire. Au Sénégal, la dévaluation du CFA en 1994 avait réduit le déficit de la balance commerciale mais elle n’avait pas réussi à l’équilibrer.
Tous ces mécanismes économiques que nous venons de décrire doivent être mis au conditionnel car, dans la réalité économique, les résultats théoriques attendus de l’évolution du TCER sont parfois très mitigés.
Le Taux de change effectif réel est un indicateur utile mais non suffisant
Les Etats Unis connaissent depuis plus d’une décennie une détérioration continue de leur balance commerciale comme l’illustre le graphique 1 ci-dessous. Le déficit commercial y est passé de 400 à 1000 milliards de Dollars et au même moment son TCER n’ a cessé de s’apprécier, passant de 99 à 124, soit un perte de compétitivé-prix de 25,2% (voir graphique 2).
Il y a donc une une parfaite corrélation négative entre l’évolution du TCER et celle de la balance commerciale. L’appréciation du Dollar de ces dernières années et l’ampleur du déséquilibre commercial avec la Chine en sont des facteurs explicatifs essentiels. D’ailleurs, le graphique 1 ci-dessus illustre parfaitement la corrélation négative entre l’excédent commercial de la Chine et le déficit commercial des Etats Unis. On peut y remarquer, par exemple, que le deficit commercial des Etats Unis est à son maximum à 1000 milliards de Dollars en 2022 quand, la même année, l’exécédent commercial de la Chine est à son maximum, à 600 milliards de Dollars. Ainsi, l’on comprend mieux les tensions diplomatico-commerciales qui existent entre ces deux premières économies du monde.
Quant à la France, son TCER se déprécie, passant de 99 à 95, soit un léger gain de compétitivité-prix de 4% (graphique 2) et son déficit commercial reste faible mais stable (graphique 1).
La Chine, quant à elle, met en relief les limites du TCER comme indicateur de compétitivité économique . En effet, elle a connu des taux de croissance économique parmi les plus élevés au monde, ces dernières années, elle est le premier pays exportateur au monde, mais son TCER s’est régulièrement apprécié. Comme, nous pouvons le constater à travers le graphique 2 ci-dessous, son TCER n’a cessé d’augmenter, passant de 100 en 2010 à 128 à 2022, soit une perte de compétitivité-prix de 28%.
Graphique 2
Malgré cela, il serait erroné d’en conclure que la Chine enregistre de réelles pertes de compétitivié. Il suffit de comparer les balances commerciales pour voir qu’elle demeure plus compétitive que les Etats Unis et la France, malgré que son TCER soit, en moyenne , le plus élevé sur la période étudiée. En effet, paradoxalement, sa balance commerciale n’a cessé de s’améliorer, passant de 200 milliards de Dollar en 2009 à 600 milliards en 2022 (graphique 1).
Cela veut dire tout simplement qu’ il existe d’autres facteurs qu’il faut intégrer dans l’analyse, pour comprendre la compétivité de la Chine. Il s’agit notamment de l’écart des coûts salariaux qui lui donne un avantage comparatif confortable surtout dans les productions intensives en travail. En effet, les salaires sont plus bas en Chine que dans les autres pays développés. Il faut aussi souligner la capacité d’innovation et la qualité des infrastructures chinoises de plus en plus à la pointe de la technologie. Qui plus est, la Chine est capable d’offrir, dans chaque branche, une gamme de produits à des prix adaptés à tous les pouvoirs d’achat.
En conclusion, nous disons que le TCER est un outil précieux qui se focalise sur les prix des biens et services. Cependant, pour faire une analyse approfondie de la compétitivité économique d’un pays, l’on doit prendre en compte d’autres facteurs tels que les infrastructures, l’éducation, la formation, l’innovation, la recherche et développement (R&D), l’environnement institutionnel ou la capacité d’adaptation aux changements économiques et technologiques. C’est un ensemble de facteurs dont nous parlerons avec le concept de compétitivité structurelle.
A propos de Prof. Amath Ndiaye
Prof. Amath Ndiaye est un éminent économiste sénégalais, titulaire d’un Doctorat d’État en Sciences Économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (2001) et d’un Doctorat de 3e cycle en Économie du Développement de l’Université de Grenoble, France (1987). Depuis 1987, il enseigne à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Expert reconnu, il a collaboré avec des institutions prestigieuses telles que la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, et le FMI, se spécialisant notamment dans les domaines des taux de change, de la croissance économique, et du développement institutionnel. Il était expert-membre du comité de pilotage de la Commission de l’Union Africaine pour la Création de la Banque Centrale Africaine.. Prof. Ndiaye est l’auteur de nombreuses publications influentes, notamment sur les régimes de change. Vous pouvez retrouver à travers ce lien l’ensemble des leçons de Pr Amath Ndiaye publiées par Financial Afrik.