Par Dramane SANOU, Docteur en Droit-Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Avocat aux Barreaux du Burkina Faso et de Paris.
Le pas est significatif et mérite d’être souligné : après plusieurs années d’attente, le 20 décembre 2024, les ministres en charge des Finances des pays membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ont adopté un nouveau Règlement n°06/2024/CM/UEMOA relatif aux relations financières extérieures des Etats membres de l’UEMOA regroupant le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo (le « R06 »). Le R06 qui remplace le R09 adopté en 2010, poursuit la dynamique d’ouverture de l’UEMOA au reste du monde tout en assurant la préservation de la valeur de la monnaie commune, le FCFA, en garantissant le respect de la centralisation des réserves de change.
L’ouverture au reste du monde se manifeste ainsi par une meilleure précision des activités réglementées et l’extension du champ d’application de la réglementation à de nouvelles activités. Ainsi, les acteurs économiques ayant la qualité de non-résidents peuvent réaliser des opérations d’investissements directs ou de portefeuille (placements) dans l’UEMOA. Quant aux résidents, ils peuvent effectuer des opérations investissements directs ou de portefeuille hors de l’UEMOA, des opérations de prêts, de dépôts, de crédits commerciaux et d’avances, de cautions ou de garanties et d’acquisition de créances avec les non-résidents, et importer et exporter des biens et services.
En outre, le régime du négoce international de biens ainsi que des opérations de préfinancement d’exportation de biens et services par un non-résident au profit d’un résident est précisé aux fins de formaliser la pratique en vigueur et de faciliter la réalisation de ces transactions par les résidents avec le reste du monde. Par ailleurs, la possibilité est offerte aux non-résidents de réaliser des transactions sur instruments dérivés avec les banques de l’UEMOA, par la conclusion de contrat de gré à gré pour couvrir le risque de change relatif à leurs opérations d’investissements ou autres dans les pays membres de l’UEMOA.
A noter que la nouvelle réglementation reprend les dispositions antérieures traitant de la coopération entre l’UEMOA et la CEDEAO dans le cadre de l’Agence Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (AMAO), en indiquant que les opérations de change et les règlements de toute nature entre, d’une part, les Etats membres de l’UEMOA et, d’autre part, les autres Etats membres de la CEDEAO, sont réalisés conformément aux textes régissant l’AMAO. Lorsqu’on sait que l’AMAO est une institution spécialisée de la CEDEAO composée des banques centrales des Etats membres y compris la BCEAO, l’on perçoit les difficultés juridiques que la sortie du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO ne manquera pas de poser dans les rapports BCEAO-AMAO/CEDEAO.
Quant à la garantie du respect de la centralisation des réserves de change, elle est assurée par les obligations de domiciliation de certaines opérations atteignant un plafond à déterminer par la BCEAO et de cession des devises y relatives. Il en est ainsi de l’obligation de domiciliation des opérations d’exportation de biens et de services à destination de l’étranger, des opérations d’investissements directs ou de portefeuille atteignant un certain plafond (par les résidents à l’étranger ou par les non-résidents dans l’Union), de prêts ou d’emprunts avec l’étranger, de cautions ou garanties et d’acquisition de créances par des résidents sur des non-résidents. Il en va de même de l’obligation de cession de devises à la BCEAO qui a été élargie au produit des opérations d’investissements directs ou de portefeuille des non-résidents dans un Etat membre de l’UEMOA et des opérations d’emprunts de résidents auprès de non-résidents ainsi qu’aux dividendes perçus par les résidents à l’étranger.
Pour garantir l’application du R06, le régime de responsabilité des acteurs est renforcé dans le sens de son durcissement. Ainsi, seules les banques installées sur le territoire d’un Etat membre de l’UEMOA peuvent avoir la qualité de servir d’intermédiaire dans les opérations financières avec l’étranger, par agrément du Ministre chargé des Finances, après avis conforme de la BCEAO. Elles sont solidairement responsables avec les importateurs, les exportateurs et les opérateurs, du strict respect des règles régissant l’apurement des dossiers de domiciliation d’importation et d’exportation de biens ainsi que des opérations d’investissement direct étranger ou de portefeuille dans un Etat de l’UEMOA et d’emprunt d’un résident auprès d’un non-résident, ce qui ne manquera pas de soulever des difficultés lorsqu’on sait que les banques ne sont que des intermédiaires.
Dans la même dynamique, dorénavant, seules les personnes morales peuvent exercer l’activité d’agréé de change manuel qui est mieux encadrée. L’innovation majeure est relative à la possibilité de suspension ou du retrait de l’agrément d’une banque en qualité d’intermédiaire agréé en cas d’infraction au R06. L’on s’était en effet habitué au fait qu’une banque soit automatiquement un intermédiaire agréé. Sur ce point, le R06 vient nous rappeler qu’une banque pourrait être interdite d’exercer des opérations financières avec l’étranger, à titre de sanction. C’est manifestement une épée de Damoclès qui pèse lourdement sur les banques….
Dans l’attente de l’adoption des instructions d’application, le nouveau R06 s’inscrit donc dans la dynamique de mieux encadrer et sécuriser juridiquement les mouvements de capitaux vers les pays tiers par les acteurs économiques ayant la qualité de résidents et, dans l’UEMOA, par les acteurs économiques ayant la qualité de non-résidents. Tirant les conséquences du non-rapatriement effectif des devises et de leur cession à la BCEAO pour alimenter les réserves de change de l’UEMOA, le R06 durcit la réglementation applicable aux acteurs chargés de sa mise en œuvre.
Cependant, l’on doit relever que si la recherche de l’atteinte des objectifs susvisés a pu amener le législateur communautaire à affirmer de manière absolue le principe de la liberté de mouvement des capitaux entre Etats membres de l’UEMOA, ce principe doit être lu de manière combinée avec l’article 96 du traité révisé de l’UEMOA (norme de droit supérieure) qui réserve cette liberté aux seules personnes ayant la qualité de résident dans les Etats membres (« Dans le cadre du présent Traité, les restrictions aux mouvements, à l’intérieur de l’Union, des capitaux appartenant à des personnes résidant dans les Etats membres sont interdites »). En outre, même si le principe de la liberté de mouvement des capitaux avec les pays tiers n’est pas affirmé, l’on peut néanmoins déplorer le nombre élevé d’activités soumises à autorisations préalables qui peut aboutir en pratique, à freiner ou à ralentir les initiatives des acteurs économiques.
Enfin, il peut être déploré le fait que la supervision de la mise en œuvre du R06 ne concerne que les organismes intervenant en matière de change sans mention des acteurs économiques notamment les importateurs et exportateurs effectuant des opérations importantes, pour vérifier en particulier l’apurement de leurs dossiers de domiciliation d’importation et d’exportation de biens. Dramane SANOU Docteur en Droit-Université Paris 1 Panthéon Sorbonne Avocat aux Barreaux du Burkina Faso et de Paris.
A propos de l’auteur
Dramane SANOU Docteur en Droit-Université Paris 1-Panthéon Sorbonne Avocat aux Barreaux du Burkina Faso et de Paris.
Avocat, Maître SANOU a une vaste expérience du système bancaire et financier de l’UEMOA acquise notamment auprès de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et de la Commission Bancaire de l’UMOA. Il publie régulièrement des articles sur les problématiques bancaires et financières de l’UEMOA et de la CEMAC.