Par FAWZI BANAO*, Docteur en sciences économiques et de gestion
Une fragilité structurelle des frontières héritée de l’histoire
Héritées de la période coloniale, les frontières des pays d’Afrique de l’Ouest se caractérisent par leur porosité et un faible contrôle institutionnel. Cette vulnérabilité est particulièrement visible dans les vastes territoires sahéliens, où l’État peine à assurer une présence effective. L’absence d’un maillage territorial dense complique la surveillance des frontières et laisse de nombreuses zones hors du contrôle direct des forces étatiques.
Par exemple, certains pays comme le Mali, avec une superficie de 1,24 million de km² pour 25 millions d’habitants, illustrent ces défis. La faiblesse des infrastructures administratives et sécuritaires favorise l’implantation durable de réseaux de contrebande et de trafic transnational, qui existent depuis plusieurs siècles.
L’insécurité frontalière, combinée à la persistance de vastes réseaux de contrebande depuis les indépendances, a progressivement fragilisé la présence étatique et facilité l’implantation de groupes armés terroristes. A titre illustratif, la zone des trois frontières (Mali, Niger, Burkina Faso), constituait autrefois un axe stratégique du commerce transsaharien. Dès le XIIIe siècle, cette route facilitait les échanges entre le Nord et le Sud, où le Nord fournissait des bijoux et des armes en échange d’esclaves et d’or venus du Sud. Ce commerce a instauré une « moralité à la fraude », où les échanges illégaux sont devenus une norme économique pour certaines populations locales.
La contrebande et le terrorisme : une menace conjointe à la souveraineté et à la mobilisation des ressources.
La contrebande de matières premières constitue à la fois l’une des principales sources de financement des groupes terroristes et de perte des recettes douanieres en Afrique de l’ouest. Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), la valeur marchande de la cocaïne transitant par l’Afrique de l’Ouest était estimée à 1,25 milliard de dollars en 2013.
Ainsi, la contrebande d’or représente un enjeu économique majeur. Une étude de l’OCDE (2018) révèle qu’environ 20 tonnes d’or transitent chaque année illégalement du Burkina Faso vers le Togo. De plus, un rapport de Reuters (2019) estime que 15,1 milliards de dollars d’or extrait illégalement du Sahel ont été acheminés vers les Émirats Arabes Unis.
Ces flux clandestins et illégaux de matières premières réduisent considérablement la capacité des États à collecter des ressources fiscales douanières, affaiblissant ainsi leur souveraineté économique. En effet, le terrorisme augmente la criminalité transfrontalière en perturbant le fonctionnement des administrations douanières par plusieurs mécanismes. D’une part, face à l’activité des groupes armés terroriste, la surveillance des marchandises entrantes diminue, facilitant ainsi l’importation illégale de biens et d’armes. D’autre part, l’insécurité force les gouvernements à délocaliser ou à abandonner des postes douaniers, réduisant ainsi l’efficacité des contrôles aux frontières. Par ailleurs, la corruption des agents douaniers s’intensifie sous l’influence des trafiquants et des groupes armés, compromettant davantage la capacité des États à sécuriser leurs échanges commerciaux.
L’accumulation de ces phénomènes entraîne ainsi une érosion des recettes publiques, privant les États de ressources essentielles pour le financement des infrastructures et du développement économique. L’incapacité à sécuriser les flux commerciaux aux frontières se traduit par une perte de contrôle stratégique, rendant les États vulnérables face aux réseaux criminels et terroristes transnationaux.
Recommandations pour une alliance entre sécurité et mobilisation des ressources
Face à cette menace croissante, il est impératif de renforcer la coordination entre les politiques sécuritaires et fiscales afin d’assurer à la fois la stabilité régionale et l’amélioration des recettes publiques. Plusieurs politiques publiques peuvent être mises en place pour répondre à ces défis.
Tout d’abord, l’adoption d’une loi de programmation sécuritaire et économique permettrait de lier la lutte contre la fraude douanière à une augmentation des recettes fiscales. Cette loi devrait inclure un renforcement des moyens de contrôle douanier en intégrant des technologies modernes comme les drones, la surveillance satellite et des bases de données intégrées pour détecter en temps réel les transactions frauduleuses.
Ensuite, étant donné que la criminalité transnationale dépasse les frontières nationales, il est crucial d’intensifier la coopération entre les administrations douanières et fiscales des pays de la région. Un partage efficace des informations permettrait d’harmoniser les procédures de contrôle et de mettre en place des opérations conjointes entre plusieurs États pour démanteler les réseaux de contrebande et limiter l’implantation des groupes criminels.
Enfin, la promotion de politiques économiques inclusives dans les zones transfrontalières permettrait de réduire les incitations économiques à la contrebande. Il est essentiel de créer des opportunités économiques légales pour les populations locales. L’accès à l’éducation et à la formation professionnelle doit être facilité pour offrir des perspectives alternatives aux jeunes.
*A propos de FAWZI BANAO
FAWZI BANAO est un chercheur en Economie de la Defense. Ses axes de recherche portent sur l’economie des frontières , la mobilisation de ressources et la gouvernance des pays du Sahel. Parallèlement à ses activités académiques, son expertise en matière de mobilisation de ressources fiscales est reconnue à l’échelle internationale (ex: l’Organisation mondiale des Douanes). Il est également à noter que Monsieur Banao occupe actuellement une place de choix en tant que membre du conseil scientifique de l’organisation continentale « African Tax Administration Forum » (ATAF).