La Côte d’Ivoire nourrit de grandes ambitions pour s’imposer comme le hub numérique de l’Afrique francophone. Avec l’Africa Gate to Growth Forum (AGGF), le pays veut se mettre au même niveau que des pays comme le Kenya, le Nigeria ou encore l’Afrique du Sud, qui dominent actuellement le marché des investissements technologiques. Objectif : attirer capitaux et talents, en misant sur un pont direct avec la Silicon Valley.
Un rendez-vous né d’une triple alliance
L’AGGF est l’initiative conjointe de plusieurs structures engagées dans l’émergence de l’écosystème startup en Afrique de l’Ouest, au premier rang desquelles CLK Avocats, dirigé par Maître Lassiné Kathann Camara, un cabinet spécialisé dans l’accompagnement juridique et financier de jeunes pousses en Côte d’Ivoire, présent également à New York. AfriNovaTech, piloté par Esaïe Diei, qui incube et finance des startups dans les fintechs, l’inclusion financière et la transformation numérique. Enfin, Africa FinTech Forum d’Alex Sea, une organisation qui fédère les acteurs du digital en Afrique et promeut la collaboration entre entrepreneurs, investisseurs et instances publiques.
Cette alliance s’appuie sur des partenariats stratégiques : le ministère de la Transition numérique et de la Digitalisation de Côte d’Ivoire, l’ARTCI (Autorité de régulation des télécommunications), l’ANSUT (Agence nationale du service universel des télécommunications/TIC), ou encore la Chambre de commerce et d’industrie.
« Nous voulons que la Côte d’Ivoire soit la cinquième “Startup Nation” d’Afrique, juste derrière les géants comme le Kenya, l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Égypte », confie Esaïe Diei, 1er vice-président de l’AGGF.
Un focus sur les technologies numériques et l’IA
Pour sa première édition, l’AGGF a choisi de mettre l’accent sur les technologies numériques et l’intelligence artificielle, perçues comme les moteurs de la prochaine révolution économique en Afrique. Des solutions de paiement mobile jusqu’aux algorithmes prédictifs pour l’agro-industrie, les opportunités sont multiples. L’idée est de favoriser un transfert de compétences entre les acteurs ivoiriens et les géants mondiaux de la tech, tout en stimulant l’investissement dans des secteurs à fort potentiel de croissance et de création d’emplois. « Nous avons fait un focus sur la technologie et l’intelligence artificielle afin de montrer aux investisseurs que l’Afrique est prête à relever les défis de la modernité, et d’inciter nos États à améliorer l’infrastructure numérique pour libérer pleinement ce potentiel », explique Maître Lassiney Kathann Camara, associé gérant de CLK Avocats.
Dix « Ivoires Tech Champions » en immersion dans la Silicon Valley
Parmi les initiatives-phares de l’AGGF, le consortium a sélectionné dix pépites technologiques ivoiriennes appelées à s’envoler pour la Silicon Valley. Une mission d’immersion qui débutera, selon Esaïe Diei, le 21 février prochain à l’université UC Berkeley, avant de se poursuivre dans des structures emblématiques de la high-tech mondiale : Plug and Play, Apple, Meta, Google ou encore Microsoft.
Un jury d’experts a planché cinq heures durant pour sélectionner ces « Ivoires Tech Champions » parmi soixante candidatures initiales, avec une attention particulière aux startups ayant déjà un produit commercialisé et un potentiel de croissance avéré. Outre les représentants des autorités (ministère, ARTCI, Chambre de commerce, CGECI), des fonds d’investissement (VC) internationaux ont participé à l’évaluation.
« Nous voulons permettre à ces startups de comprendre le mindset de la Silicon Valley, de consolider leur modèle économique et, pourquoi pas, de lever des fonds », souligne Esaïe Diei.
Combler le retard francophone sur les champions anglophones
Si l’on en croit les données de 2024, seuls environ 15 % des financements technologiques en Afrique sont captés par l’Afrique de l’Ouest, et à peine 10 % par les écosystèmes francophones dans leur ensemble. Les pays anglophones, au premier rang desquels le Nigeria et le Kenya, affichent des levées de fonds nettement plus importantes, grâce à un lien direct et ancien avec la Silicon Valley et les pôles mondiaux de financement.
L’an dernier, le Kenya s’est imposé en 2024 comme le principal bénéficiaire (638 millions de dollars), tandis que l’Afrique de l’Ouest a totalisé 587 millions de dollars, dont plus de 400 millions pour le Nigeria. La Côte d’Ivoire, quant à elle, a attiré 33 millions de dollars d’investissements l’an dernier, un score encore modeste mais qui souligne ses progrès récents.
« Africa Gate to Growth Forum, c’est de permettre à l’Afrique de devenir ce continent qu’elle est destinée à être, et d’accélérer cette croissance en facilitant la rencontre entre innovation et capitaux »,explique Maître Lassiney Kathann Camara.
L’AGGF veut désormais propulser le pays en « porte d’entrée » de l’Afrique francophone pour les investisseurs étrangers, grâce à des liens plus étroits avec la Silicon Valley (Y Combinator, 500 Startups, Founders Fund, etc.) et la création de futurs champions nationaux.
De l’agro-industrie à la fintech, des secteurs à fort potentiel
Pour se démarquer de Lagos, Nairobi ou Le Cap, la Côte d’Ivoire mise sur ses forces traditionnelles, notamment l’agro-industrie, tout en soutenant un écosystème fintech déjà prometteur. Esaïe Diei rappelle que Djamo, par exemple, s’est fait remarquer sur le marché ivoirien après son passage à Y Combinator. En 2024, la start-up a même levé 13 millions de dollars lors d’un tour de table de série B.
Avec le Start-up Act, voté récemment pour encadrer et accompagner les jeunes pousses, le gouvernement ivoirien montre lui aussi la volonté politique de fixer des règles claires, de proposer un cadre fiscal incitatif et de simplifier l’accès aux financements. Le “StartUp Boost Capital”, un fonds doté d’une enveloppe globale de 1 milliard de FCFA (environ 1,5 million de dollars), a déjà été mis sur pied pour financer jusqu’à 50 millions de FCFA par projet à forte composante technologique.
Un levier juridique pour rassurer les investisseurs
Alors que les start-up africaines aspirent à nouer des partenariats internationaux, l’environnement réglementaire demeure un enjeu majeur. « Nos clients investisseurs étrangers ont souvent du mal avec la perception du risque en Afrique, faute de données fiables et d’adaptation réglementaire. Pourtant, les taux de rentabilité sont sans égal », souligne Maître Camara.
Le fondateur de CLK Avocats insiste également sur la nécessité, pour les jeunes pousses, de soigner leurs aspects légaux et financiers : « Il ne suffit pas d’avoir un bon produit : il faut une structure adaptée, conforme aux exigences internationales, pour inspirer confiance aux capitaux ».
Le soutien de la diaspora tech
À l’image de l’Inde ou de la Chine, l’AGGF veut mobiliser la diaspora ivoirienne et plus largement francophone, au-delà des simples transferts d’argent à usage familial. Il s’agit d’encourager l’investissement productif, l’accompagnement d’experts africains travaillant dans les plus grands groupes internationaux et la création d’un fonds diaspora dédié à la croissance des jeunes pousses.
« Nos talents à Harvard, Stanford ou MIT doivent revenir porter l’innovation ici. Le Japon envoie mille de ses meilleurs profils à la Silicon Valley pour renforcer son leadership. Pourquoi pas nous ? », s’interroge Esaïe Diei.
Vers un forum annuel et continental
Si cette première opération de février à mars 2025 réussit, l’AGGF espère faire de ce programme un rendez-vous annuel incontournable. Avec le soutien d’acteurs comme Hafou Touré(HTS Partners) etAlex Sea (Africa FinTech Forum), le consortium cherche à multiplier les missions d’immersion pour les start-up ivoiriennes et, à terme, ouvrir la plateforme à d’autres pays.
L’idée : devenir le carrefour où se rencontrent investisseurs internationaux, diaspora, instances publiques et jeunes entrepreneurs africains, à l’instar du « FinTech Festival » de Singapour, devenu en moins de dix ans un événement mondial majeur.
Un pari à long terme pour la Côte d’Ivoire
En dépit de l’euphorie ambiante, le défi reste immense. Les régulateurs devront s’aligner sur les standards internationaux, notamment en matière de licences bancaires, de protection des données ou encore de propriété intellectuelle. Les infrastructures (Internet haut débit, data centers) et la formation (accompagnement post-études, soutien financier des projets) figurent également au cœur des préoccupations.
La Côte d’Ivoire semble néanmoins décidée à franchir un cap, portée par un secteur privé dynamique et l’ambition de l’AGGF de braquer les projecteurs sur l’Afrique francophone. Dans un contexte de concurrence acharnée entre hubs africains, la réussite de cette mission aux États-Unis pourrait bien marquer un tournant pour l’écosystème numérique ivoirien.
« On ne peut pas parler de technologie, de fintech ou d’IA si on n’a pas l’infrastructure nécessaire. C’est à nos États de mettre en place un environnement propice, et aux acteurs privés de concrétiser cette vision », conclut Maître Camara.