Par Ousmane DIENG.
Le débat (public et politique) fait rage au Sénégal sur la situation des finances publiques notamment le niveau réel du déficit budgétaire et de l’endettement rapporté au PIB nominal. Nous n’avons pas pu nous retenir à l’idée de parcourir le rapport final que la Cour des Comptes accessible sur le site web de cette Juridiction.
Au regard des enjeux pour le Sénégal, face d’une part, aux exigences à se conformer aux critères de convergence de l’UEMOA, et d’autre part, à l’endroit des investisseurs, despartenaires financiers dont le rôle est prépondérant dans la conduite des politiques publiques, pour le bien-être des populations et à travers notamment un cadre macroéconomique assaini. Nous partageons notre analyse sans pour autant commenter des constats qui relèveraient des juridictions compétentes.
En résumé, notre note d’analyse a pour objectif d’éclairer les investisseurs et le marché sur la base d’une grille de lecture combinant la comptabilité, la finance et l’économie.
Périmètre du Mandat de la Cour des comptes dans le cadre du présent rapport
Le rapport de la Cour sur la période 2019 à mars 2024 a été établi en application de la loi n°2012-22 du 27 décembre 2012 portant Code de Transparence dans la Gestion des Finances publiques.Toutefois, la Cour a relevé l’absence de diligences requises au titre de cette même loi, à l’entame du nouveau mandat présidentiel de 2019. Mais n’était-il pas du ressort de cette même Cour d’exiger la production et la transmission de ce rapport pour des besoins de transparence à l’endroit de l’opinion.
Les diligences de la Cour portent sur la situation des finances publiques notamment les opérations relatives au budget général (recettes et dépenses), aux comptes spéciaux du Trésor (CST), à la gestion de la trésorerie de l’Etat et à la situation de l’endettement de l’administration centrale budgétaire.
La Cour note que la situation de la commande publique a été exclue du périmètre de son audit en raison de contraintes de délais et de l’étendue des travaux. Toutefois, cet audit peut faire ultérieurement l’objet de mandat spécifique ».
En résumé, le rapport de la Cour ne couvre pas les objectifs d’audit à savoir le respect du Code des marchés publics, de la réalité, de l’exhaustivité, et de la correcte évaluation des dépenses de fonctionnement et des investissements de l’Etat.
A notre avis, au-delà du critère d’exhaustivité des dépenses et des recettes, une transaction (recette ou dépense ou flux de trésorerie) pourrait ne pas revêtir un caractère fictif (donc réel), correctement rattachée à la période budgétaire (cut-off) et comptabilisée dans le compte approprié, sans pour autant être correctement évaluée pour le bon montant (valeur à la clôture).
Du Déficit budgétaire rapporté au PIB nominal
La Cour des Comptes, à la page 8 de son rapport (non signé) stipule que le rapport du Gouvernement soumis à ses vérifications indique ce qui suit : « le champ institutionnel de l’exercice est circonscrit à l’Administration centrale, ce qui veut dire que le périmètre n’intègre pas les collectivités territoriales et le secteur parapublic. Néanmoins, les transferts reçus par ces entités de l’Etat central et les risques budgétaires et financiers induits dans le cadre de leur gestion et qui impactent les finances publiques, sont retracés dans le présent rapport ».
Globalement la Cour note que la situation des recettes budgétaires sur la période sous revue (2019 à mars 2024) affiche un montant cumulé de 16 160,8 Milliards FCFA. En résumé, l’analyse des recettes fait ressortir une concordance entre les données sur les recettes retracées dans le rapport du Gouvernement et les lois de règlement / projet de loi de règlement 2023. Cependant, des anomalies relatives à des rattachements de recettes, à la non-exhaustivité des créances et des dépenses fiscales sont relevées.
En résumé, les manquements relevés par la Cour des Comptes sont relatifs au rattachement irrégulier des recettes en vertu du principe de la Comptabilité de Caisse.
Par conséquent, le rapport cite : « En 2022 et 2023, les déficits budgétaires sans rattachements irréguliers, rapportés au PIB, sont supérieurs respectivement de 0,46% et 0,27% aux déficits affichés dans le TOFE (Tableau des Opérations financières de l’État). Cependant, cette hausse des déficits n’entraine pas un besoin de financement additionnel en raison de la disponibilité de la trésorerie issue des recettes rattachées ».
A notre avis, les régularisations proposées par la Cour sur les recettes et dépenses budgétaires (l’impôt et les droits de douanes) devraient être retranscrites dans le PIB corrigé en lieu et place de maintenir inchangé ce PIB. Que l’on ne se trompe pas, dans le calcul du PIB (approche par la demande), en sus de la dépense publique, la consommation des ménages, l’Investissement, les exportations et les importations sont prises en compte.
Des marges de manœuvre s’offrent au Gouvernement pour réduire la dépense publique à travers la rationalisation du train de vie de l’Etat sans pour autant réduire drastiquement l’investissement à financer davantage en monnaie local (franc CFA) au regard notamment de la stabilité monétaire de la zone UEMOA. Semble-t-il que l’endettement public serait excessif et frôle le montant du PIB. De quel endettement parle-t-on ? Il convient de noter que la dette bancaire ou la dette de marchés financiers sont les seules sources de financement de l’économie. Nous invitons le Gouvernement et les Entreprises à explorer des financements structurés, à notre portée pour soutenir l’économie.
Pour un changement de référentiel comptable et la mise au rebut de la comptabilité de caisse
Le Sénégal gagnerait à migrer vers une comptabilité d’exercice en lieu et place d’une comptabilité de Caisse afin de se conformer à l’Article 6 de la Directive n°009/2009/CM/UEMOA qui stipule : « Les opérations budgétaires sont prises en compte au titre de l’exercice auquel elles se rattachent, indépendamment de leur date d’encaissement ou de décaissement ».
Par conséquent, la norme communautaire n°009/2009/CM/UEMOA invite au passage d’une comptabilité de Caisse à une Comptabilité d’exercice (d’engagement), fondée sur le principe des droits et obligations constatées. Cette Directive de l’UEMOA atténue fortement, le constat de la Cour des Comptes et de l’ajustement du déficit budgétaire rapporté au PIB nominal proposé à 6,56% au lieu de 6,10% en 2022 et à 5,17% au lieu de 4,90% en 2023. La Cour pourrait veiller à la transposition dans le droit national Sénégalais de la Directive Communautaire relative au Plan Comptable de l’Etat après une période transitoire de 10 ans, soit une entrée en vigueur en 2019.
D’autant plus que la Cour a relevé la non-production de la situation par le Gouvernement des dépenses fiscales (exonérations) au titre des années 2022 et 2023, faute de contraintes liées à la disponibilité des données de l’année N qu’enl’année n+2. Par conséquent, la Cour a constaté que l’absence de rapports d’évaluation des dépenses fiscales pour les gestions 2022 et 2023 est contraire à la Décision n°08/2015/CM/UEMOA du 2 juillet 2015 instituant les modalités d’évaluation des dépenses fiscales dans les États membres de l’UEMOA.
Quid alors de l’obligation d’abroger la Comptabilité de Caisse et la mise en application de la Directive n°09/2009/CM/UEMOA relative au plan comptable de l’Etat (PCE) au sein de l’UEMOA. Cette directive répond à la nécessité d’instaurer dans l’Union des règles permettant une gestion transparente et rigoureuse des finances publiques, en vue de conforter la croissance économique. Elle comporte un plan comptable répondant aux nouvelles exigences émises par ladite directive et aux standards internationaux.
L’endettement rapporté au PIB
Des voix autorisées notamment celle de la Banque Africaine de Développement explorent la prise en compte des ressources naturelles de nos Etats dans le Calcul du PIB. Nous sommes favorables et soutenons ce changement de paradigme en sus de la mise en place d’un mécanisme de garantie des monnaies locales dans un contexte de retour des barrières commerciales. A cela, ils’y ajoute le faible niveau des réserves de changes courant à peine 3,6 mois d’importations en 2023, contre 4,4 mois en 2024 et un objectif de 5,1 mois en 2025 et sous réserve des conséquences de la guerre commerciale que l’Administration TRUMP vient d’amorcer.
Le Gouvernement du Sénégal à travers le Ministre de l’Economie prévoit un objectif de ramener le ratio Dette publique rapporté au PIB à 70% au regard notamment du ratio ajusté par le rapport de la Cour des Comptes au terme de l’audit sur la situation des finances publiques à l’entame de chaque Mandat Présidentiel.
Il convient de préciser que les produits financiers dite SUKUK qui sont émis par les Etats sont assimilés à des opérations de Titrisation de créances ou d’actifs. Par conséquent, ils sont régis par le règlement du Marché Financier Communautaire dont l’AMF-UMOA en est le gendarme. De telles émissions sont neutres sur l’endettement du Cédant (Etat, Collectivitéterritoriale et Entreprise).
En effet, un Fonds Commun de Titrisation de Créances (FCTC) émet des Titres sur le marché financier Régional en placement public ou privé à l’attention des Investisseurs, sur la base des actifs cédés par les Etats, les Collectivités territoriales et des Entreprises.
S’agissant des actifs de l’Etat du Sénégal notamment desbâtiments cités dans le rapport de la Cour des Comptes, la première émission du SUKUK de l’Etat du Sénégal était adossé sur la cession de l’usufruit de certains Bâtiments administratifs en sus de contrat d’engagement d’achat et de contrat d’engagement de vente.
En résumé, de telles opérations sur le marché financier sous le contrôle du régulateur et des Commissaires aux Comptes en charge de contrôler la gestion du FCTC sont des opérations de trésorerie et non d’endettement additionnel de la part du Cédant de ses actifs ou de ses créances.
Par conséquent, en dehors de la rationalisation des dépenses publiques, nous invitons le Gouvernent et en particulier le Ministre de l’Economie à une meilleure lecture de ce ratio ajusté de la dette publique rapportée au PIB. Cette lecture lucide serait un préalable à toute proposition d’ajustement des politiques publiques et à privilégier un endettement en monnaie local (en Franc CFA) sur le marché financier régional de l’UEMOA, auprès du secteur bancaire et des Institutions bilatérales et multilatérales. Cette option nous parait moins hasardeuse que celle de vouloir s’entêter à trouver des voies et moyens d’expérimenter, à l’échelle du Sénégal, des sous monnaies au Franc CFA et n’ayant de cours légal que dans certains territoires.
En conclusion
Au regard de la stabilité monétaire de notre espace économique, nous recommandons aux investisseurs de continuer à investir dans les pays de l’UEMOA y compris au Sénégal et au-delà. En effet, l’ajustement de la Démocratie constitue une sûreté additionnelle au Sénégal à travers une force de proposition et pour le meilleur ;toutefois, le coût du financement devrait se renchérir.
Auteur de l’article : Ousmane DIENG
Economiste et Financier, M. Ousmane DIENG (ancien auditeur) est le Managing Partner de DIELYA Capital, un Cabinet de Conseil basé à Abidjan et spécialisé dans la le Conseil Financier, la Stratégie, l’efficacité opérationnelle et la conduite des politiques économiques.