La monnaie est un équivalent général, c’est-à-dire un bien ou un instrument qui exprime la valeur d’échange de toutes les autres marchandises. C’est un moyen de paiement universel, c’est-à-dire qu’il est accepté par tous les membres d’une communauté (nationale ou internationale).
Tout comme le gramme qui permet de mesurer le poids des objets, ou le mètre qui permet de mesurer la distance, la monnaie permet d’évaluer les prix des biens et services et de les comparer.
Pour bien comprendre ce qu’est la monnaie , il faut analyser ses trois fonctions essentielles d’unité de compte, d’intermédiaire des échanges et de réserve de valeur.
La monnaie est une unité de compte.
Avant la monnaie, il y avait le troc ; c’est-à-dire que les biens s’échangeaient directement entre eux. Le principal inconvénient du troc est qu’il nécessite une double coïncidence des besoins, c’est-à-dire que pour qu’une transaction ait lieu, chaque partie doit avoir ce que l’autre veut et être disposée à l’échanger. Cela peut rendre les échanges très difficiles, surtout dans des situations où les besoins ne se croisent pas facilement.
Certains biens sont difficiles à transporter, surtout en grandes quantités. Par exemple, des animaux ou des denrées alimentaires peuvent être encombrants et difficiles à déplacer, ce qui rend les échanges moins pratiques.
En résumé, le troc est peu pratique pour une économie moderne en raison de la difficulté à trouver des correspondances exactes entre les besoins, de l’inefficacité des échanges multiples et de la difficulté à transporter, à stocker ou à diviser les biens échangés. La monnaie surmonte ces obstacles de manière beaucoup plus fluide et présente plusieurs avantages majeurs par rapport au troc que sont :
– la facilité de comparaison des prix– Sans une unité de compte commune, il faudrait comparer directement chaque bien avec un autre (troc), ce qui complique les échanges.
Par exemple, combien de kilos de blé valent une vache ? La monnaie permet d’éviter ces comparaisons compliquées en attribuant un prix unique à chaque bien.
– la comptabilité et la gestion financière – Dans une économie, les entreprises et les ménages tiennent des comptes en utilisant une unité de valeur commune (exemple : l’euro, le dollar). Cela permet de calculer les profits, les pertes, les salaires, etc.
– la facilité de l’évaluation des dettes et des contrats– Lorsqu’un contrat de travail fixe un salaire ou qu’un emprunt est accordé, les montants sont exprimés en une monnaie bien définie, ce qui évite toute ambiguïté sur la valeur due.
Au-delà d’une simplification technique, l’introduction de la monnaie résulte d’un choix collectif. L’unité de compte est à cet égard l’institution à laquelle on se réfère pour procéder à l’échange. L’unité de compte n’est donc pas qu’une facilité de calcul, elle est aussi un rapport social (via l’acceptation collective). La fonction de la monnaie n’est cependant pas seulement de mesurer : elle sert aussi d’intermédiare pour l’échange de biens et services.
La fonction d’intermédiaire des échanges
L’utilité de la fonction d’intermédiare est souvent (chez Adam Smith, par exemple) décrite en opposition à une économie de troc où un agent disposé à échanger un bien contre un autre ne trouvera pas nécessairement une contrepartie détenant le bien qu’il désire et disposée à accepter le sien en échange. L’usage d’une « monnaie d’échange » permet de régler ce problème classique de double coïncidence des besoins, qui peut limiter les possibilités d’échange.
La monnaie est facile à manipuler et à utiliser dans différentes situations, ce qui n’est pas le cas avec des biens encombrants ou difficiles à transporter, comme des céréales ou des objets de grande taille. Elle facilite les échanges commerciaux en offrant un simplification du système des prix, plus de flexibilité, de portabilité et de sécurité que le système le troc.
Par exemple, si une économie compte 5 biens (A, B, C, D, E), dans une économie de troc, chaque bien doit être échangé directement contre un autre bien. Voici le système de 10 prix que nous aurons :
- PAB, PAC, PAD, , PAE,
- PBC, PBD, , PBE,
- PCD, PCE
- PDE
PAB se définit comme le rapport d’échange ou prix relatif de A = unités de bien B qui s’échangent contre 1 unité de bien A. PBC = unités de biens C qui s’échangent contre 1 unité de biens B. La même définition s’applique à tous les prix (Pxy ).
On peut trouver le résultat en appliquant la formule suivante :
Le nombre total de prix possibles est donc de 10, alors que dans une économie monétaire le nombre total de prix serait de 5.
L’économie de troc est viable dans des sociétés primitives ou de petite taille, mais elle devient un frein au développement économique dès que l’échange se complexifie. Exemple, pour 100 biens dans une économie de troc, on aurait besoin de 4950 prix alors que dans une économie monétaire, on aurait juste besoin de 100 prix exprimés en monnaie. Pour 1 000 biens, dans une économie de troc, on aurait besoin de 499 500 prix différents ! Ce qui est absurde. L’invention de la monnaie a permis d’améliorer l’efficacité des transactions, d’accélérer les échanges et de favoriser l’émergence de marchés dynamiques.
La monnaie est une réserve de valeur
La troisième fonction de la monnaie est celle de réserve de valeur ; autrement dit elle nous permet de conserver le produit de notre travail et notre patrimoine. Elle permet de différer, dans le temps, l’utilisation de notre pouvoir d’achat.
Dans le Delta du Sénégal, un paysan cultive des oignons tout au long de l’année, avec patience et dévouement. Une fois la récolte arrivée à maturité, il la vend sur le marché local. Grâce à la monnaie, il peut conserver la valeur de son travail sous une forme monétaire durable.
Si la monnaie n’existait pas, il lui serait difficile voire impossible d’échanger immédiatement toute sa production contre d’autres biens. Il pourrait essayer de troquer ses oignons contre du mil, du poisson ou du matériel agricole, mais cela lui imposerait de trouver des partenaires d’échange ayant précisément ce dont il a besoin et acceptant en retour ses oignons en quantité. Or, un tel troc serait non seulement complexe mais aussi risqué, car sa récolte est périssable : en quelques semaines, sans moyens de conservation adaptés, ses oignons commenceraient à pourrir.
La monnaie lui offre une solution simple et efficace. En échangeant ses oignons contre de l’argent, il peut conserver la valeur de son travail sans craindre les pertes dues au temps. Plus tard, il pourra utiliser cette monnaie pour acheter des semences, du matériel agricole, payer la scolarité de ses enfants ou encore subvenir aux besoins de sa famille selon ses priorités.
J.M. Keynes (1883-1946)ajoute que les agents peuvent souhaiter conserver de la monnaie pour des motifs de précaution (se prémunir contre les aléas du futur) et des motifs de spéculation (attente que se présentent d’autres opportunités de placement). Par rapport aux autres actifs (biens immobiliers, or, actions, obligations, etc) susceptibles d’être détenus en concurrence comme réserve de valeur, Keynes met en avant la liquidité de la monnaie. Elle est l’actif le plus liquide nous permettant satisfaire un besoin sans délai.
Réserve de valeur, confiance et stabilité monétaire
La fonction de réserve de valeur est cruciale pour la monnaie, car elle permet de conserver le pouvoir d’achat dans le temps. Sans cette capacité à préserver la valeur, les autres fonctions –notamment celles d’unité de compte et d’intermédiaire des échanges – pourraient être fortement compromises.
En effet la monnaie ne peut être un bon moyen d’échange que si les agents économiques ont confiance en sa capacité à conserver sa valeur. Une monnaie qui perd rapidement son pouvoir d’achat décourage l’épargne et rend difficile la planification économique, ce qui, à terme, affecte également les échanges quotidiens. De ce point de vue, l’inflation peut être considérée comme l’un des ennemis majeurs de la monnaie, notamment parce qu’elle érode son pouvoir d’achat et sa fonction de réserve de valeur. Une inflation galopante peut mener à une perte de confiance, poussant les agents économiques à se tourner vers des actifs plus stables ou à adopter des comportements de consommation immédiate plutôt que d’épargner.
Le cours légal de la monnaie désigne la reconnaissance par l’État d’une monnaie comme moyen de paiement obligatoire pour régler les dettes, les transactions et les obligations fiscales. Autrement dit, lorsqu’une monnaie a cours légal, cela signifie que tous les acteurs économiques (particuliers, entreprises, administrations) doivent l’accepter pour effectuer des paiements. Cependant, l’État n’a pour autant pas de contrôle absolu sur les pratiques monétaires et il ne suffit pas qu’il décrète qu’un instrument est monnaie pour qu’une acceptation unanime s’ensuive nécessairement. Par exemple, en France, l’épisode de l’émission disproportionné entre 1789 et 1796 de plusieurs milliards d’assignats gagés sur les biens confisqués au clergé 7 s’est soldé par un échec, malgré la déclaration de leur cours forcé en 1790 et la sanction de peine de mort en cas de non-acceptation adjointe à ce cours forcé dès 1793. La valeur des assignats durant la période s’est continûment dépréciée par rapport à la monnaie métallique, et, démonétisé par un refus général avant de l’être par la loi en 1796, l’assignat a contribué au discrédit du régime politique révolutionnaire.
Dès lors, la notion de confiance apparaît comme centrale dans le cas de la monnaie : pour tout citoyen, cette confiance dépendra bien sûr de sa perception de la santé économique du pays.
Si la monnaie perd sa valeur trop rapidement (à cause d’une hyperinflation par exemple), les agents économiques vont chercher à s’en débarrasser au plus vite en achetant des biens réels, des devises plus stables (comme le dollar ou l’euro) ou des actifs financiers. Un exemple classique est l’Allemagne des années 1920, où le mark perdait tellement de valeur que les salaires étaient versés plusieurs fois par jour pour éviter qu’ils ne se déprécient immédiatement. Plus récemment, le Venezuela ou le Zimbabwe ont connu des crises similaires : les citoyens ont préféré utiliser des dollars ou des cryptomonnaies plutôt que leur monnaie locale.
Si une monnaie n’est plus une bonne réserve de valeur, les investisseurs et les ménages cherchent des alternatives comme :
– l’achat d’or, de bitcoins ou d’autres actifs jugés « refuges » – les placements dans l’immobilier ou
– les achats de devises étrangères.
Quand une monnaie est massivement abandonnée au profit d’autres devises, cela entraîne une dollarisation ou euroisation de l’économie. Cela peut fragiliser le pays, car il perd le contrôle de sa politique monétaire (exemple : l’Équateur, qui a adopté le dollar après l’effondrement du sucre équatorien en 2000). Plus récemment, en Novembre 2024, l’Argentine, sous la présidence de Javier Milei, a envisagé la dollarisation pour lutter contre l’inflation persistante. Cependant, en raison de réserves insuffisantes de la banque centrale, cette initiative n’a pas été mise en œuvre, bien que l’utilisation du dollar dans les transactions quotidiennes soit encouragée.
La demande de franc CFA dans certains pays d’Afrique de l’Ouest non membres de l’UMOA (Union Monétaire Ouest-Africaine) s’explique en partie par la perte de confiance dans leur propres monnaies nationales sujettes à une forte inflation ou à une dépréciation rapide. Cela pousse les agents économiques à rechercher une monnaie plus stable pour épargner et sécuriser leur richesse. Le franc CFA est arrimé à l’euro avec une parité fixe, ce qui lui confère une certaine stabilité. Il inspire davantage confiance, même s’il est critiqué pour son lien avec le
Trésor Public français. Dans le commerce transfrontalier, le CFA est souvent préféré car il est plus facile à utiliser que certaines monnaies nationales. Par exemple, dans les échanges entre le Burkina Faso (zone CFA) et le Ghana (qui utilise le cedi), il n’est pas rare que des commerçants ghanéens préfèrent être payés en CFA plutôt qu’en cedis.
En conclusion, la monnaie est un attribut de la souveraineté nationale mais sa capacité à remplir ses trois fontions essentielles d’unité de compte, d’intermédiaire des échanges et de réserve de valeur, dépend de la santé de l’économie, qui à son tour détermine le niveau de confiance et la valeur que le public place en la monnaie. Une économie compétitive, stable et bien gérée renforce la crédibilité de la monnaie, ce qui, à son tour, facilite l’exercice de ses fonctions primordiales.
Pr Amath NDiaye UCAD-FASEG, 20/2/25
Références :
1. Banque de France (2022) : Paiements et infrastructures de marché, chapitre 1.
2. Chaineau André (1999) : Qu’est ce la monnaie, 2ème édition Economica 1999.
3. Couppey-Soubeyran J. et Arnould G. (2015) : Monnaie, banques, finance, PUF, 2015.
À propos de Pr Amath NDiaye / FASEG-UCAD
Prof. Amath Ndiaye est un éminent économiste sénégalais, titulaire d’un Doctorat d’État en Sciences Économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (2001) et d’un Doctorat de 3e cycle en Économie du Développement de l’Université de Grenoble, France (1987). Depuis 1987, il enseigne à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Expert reconnu, il a collaboré avec des institutions prestigieuses telles que la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, et le FMI, se spécialisant notamment dans les domaines des taux de change, de la croissance économique, et du développement institutionnel. Il était expert-membre du comité de pilotage de la Commission de l’Union Africaine pour la Création de la Banque Centrale Africaine.. Prof. Ndiaye est l’auteur de nombreuses publications influentes, notamment sur les régimes de change et la croissance économique en Afrique de l’Ouest. Trilingue, il maîtrise le wolof, le français et l’anglais.