Par Eric Ntumba , Directeur Général de la Filiale Étrangère Lubumbashi et de Baobab Group Consulting, Richard Mpongo, Chef du bureau de Lubumbashi et de l’Est de la RDC d’Akili Consulting et Obed Kambala Betu, Management Associate – Senior Banking Officer, FirstBank Nigeria.
La situation sécuritaire dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) continue d’exercer une pression considérable sur l’économie nationale et, plus particulièrement, sur le secteur privé. Au-delà du coût humain dramatique, les conséquences économiques immédiates et attendues fragilisent l’environnement des affaires, dissuadent l’investissement et freinent le développement du pays.
Les faits et chiffres présentés ci-dessous visent à souligner l’ampleur de ces répercussions, en insistant sur la vulnérabilité grandissante des entreprises, dont les infrastructures subissent souvent des pillages et destructions qui paralysent l’activité.
Une dynamique de prédation économique
Plusieurs analyses indiquent que la reprise des activités de certains groupes armés, notamment le M23, est corrélée à une hausse significative des exportations de minerais par le Rwanda, principal instigateur de l’instabilité dans la région (Rwanda Development Board, 2025; SENS Magazine, 2024; Jacquemot, 2025; RMB, n.d.).
• Corrélation exportations–conflit : Les exportations rwandaises de minerais (coltan, cassitérite, wolfram, or) ont augmenté de 43 % entre 2022 et 2023, alors même que les affrontements s’intensifiaient en RDC (SENS Magazine, 2024; RMB, n.d.).
• Enjeu de contrebande minière : Cette dynamique favorise un cercle vicieux dans lequel les revenus tirés de l’exploitation illégale de minerais alimentent le financement de groupes armés, rendant toute stabilisation plus difficile. Conséquence : Les réserves minières de la RDC, censées contribuer à son développement, se retrouvent partiellement drainées au profit d’un pays voisin. Ce phénomène entretient la persistance du conflit et grève la capacité de la RDC à mobiliser ses ressources internes pour son industrialisation.
Fragilisation du système financier
Le conflit a un impact direct sur la stabilité financière de la RDC et perturbe le fonctionnement d’acteurs clés au cœur de son tissu économique.
• Poids du Grand Kivu : Les deux provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu représentent une part non négligeable du secteur bancaire et de la microfinance du pays (3 à 4 % des dépôts et crédits bancaires, plus de 50 % des institutions de microfinance).
• Hausse du risque de crédit : Les perturbations économiques et la baisse d’activité accroissent le risque de défaut, pesant ainsi sur la rentabilité et la solidité des établissements financiers.
• Impact sur l’inclusion financière : La microfinance, très présente dans ces provinces, voit ses opérations entravées, limitant l’accès au financement pour les PME/PMI et l’économie informelle, pourtant essentielles au développement local. Conséquence : Les conflits en cours, par leur effet négatif sur l’écosystème financier, affectent la confiance des investisseurs et dégradent par-delà l’environnement des affaires. Ils freinent la croissance endogène, alimentée notamment par l’épargne et l’entrepreneurat local.
Perception du risque pays et fuite des capitaux
La persistance du conflit dans l’Est alourdit la prime de risque associée à la RDC et se traduit par un climat défavorable aux investissements.
• Réduction des IDE : L’insécurité chronique et l’instabilité politique découragent les investisseurs étrangers actifs ou potentiels, entraînant un recul et un empêchement des Investissements Directs Étrangers (IDE).
• Fuite de capitaux : Selon certaines estimations, la RDC aurait enregistré des sorties nettes de capitaux dépassant 1,2 milliard de dollars en 2022 (CNUCED, n.d.; Akomatey, 2017; World Bank, n.d.)
• Taux d’emprunt élevés : Une perception de risque pays élevée renchérit le coût du crédit pour les entreprises congolaises, limitant leur compétitivité sur la scène internationale. Conséquence, cette situation érode la base productive du pays, limite sa diversification économique du fait de la baisse ou la diversion des IDE et accentue la dépendance vis-à-vis de l’extérieur pour ses besoins en capitaux.
Perturbations dans les secteurs HORECA et tourisme
Le secteur de l’hôtellerie-restauration et du tourisme, notamment autour du Lac Kivu ou dans le parc des Virunga, est particulièrement touché par l’insécurité récurrente.
• Baisse de la fréquentation : La prise de localités stratégiques et les alertes sécuritaires adressées aux voyageurs entraînent une chute drastique du nombre de touristes et de visiteurs professionnels.
• Perte de revenus : Les hôtels, restaurants et agences de voyage subissent des pertes directes (annulations, fermetures temporaires) et indirectes (diminution de l’approvisionnement local, suppressions d’emplois).
• Effet domino : Les activités connexes (transport, commerce de détail, artisanat) pâtissent également du recul de la demande touristique. Conséquence : L’instabilité prive la RDC de revenus touristiques potentiels et nuit à la vitalité d’un secteur pourtant créateur d’emplois et de valeur ajoutée locale.
Des infrastructures d’entreprises directement ciblées
Les affrontements et l’occupation de certaines zones entraînent la destruction, le sabotage ou le pillage d’installations privées, fragilisant d’autant plus le tissu économique local.
• Pillages d’entrepôts et d’usines : Plusieurs entreprises minières, agroalimentaires ou industrielles font état de vols massifs de matériel et de marchandises, rendant la reprise des activités coûteuse et complexe.
• Atteinte aux capacités de production et à la compétitivité : La destruction ou la dégradation de machines, de stocks et de bâtiments freine considérablement l’outil productif et dégrade la compétitivité des sociétés concernées.
• Climat d’incertitude : Les chefs d’entreprises craignent une extension de la zone de conflit, ce qui peut les pousser à suspendre leurs investissements, à arrêter leurs activités ou à les relocaliser ailleurs, y compris à l’étranger. Conséquence : Le secteur privé, déjà fragilisé par l’instabilité globale, se retrouve confronté à des pertes directes considérables. Ces pillages et destructions constituent un frein majeur à la relance économique et à l’emploi dans les zones touchées.
Dégradation des infrastructures de télécommunication
Les affrontements et l’occupation de certaines zones entraînent la destruction ou l’impossibilité d’accéder aux antennes et équipements de télécommunication.
• Coupures de réseau prolongées : Des localités entières, comme Kitshanga ou Ngungu, ont été privées de service pendant plusieurs mois, isolant les communautés et pénalisant les entreprises.
• Manque à gagner : Les opérateurs mobiles subissent une baisse de revenus liée à la réduction du trafic et à la diminution des transferts d’argent, tandis que les commerçants ne peuvent plus utiliser pleinement les solutions de paiement numérique.
• Conséquences humanitaires : Le manque de communication aggrave les difficultés de coordination de l’aide et l’accès aux services de santé ou d’urgence.
Conséquence : Le secteur des télécoms, pourtant vecteur de modernisation et de croissance économique, est ralenti, réduisant l’essor de l’économie numérique locale et du bien-être socio-économique.
Baisse des recettes fiscales et parafiscales
Les conflits empêchent la RDC de tirer pleinement parti de son potentiel économique et dégradent les finances publiques, notamment dans les provinces concernées.
• Moindre mobilisation des recettes : L’insécurité limite les activités formelles, favorise l’informel et réduit les capacités de l’État à collecter l’impôt. • Chute des exportations légales : L’instabilité et la contrebande minière amenuisent les déclarations officielles, diminuant d’autant les redevances et taxes. • Charge budgétaire accrue : Les dépenses militaires et sécuritaires mobilisent des ressources considérables qui pourraient être investies dans l’éducation, la santé ou l’infrastructure.
Conséquence : Le budget de l’État se trouve sous tension permanente, rendant difficile la mise en œuvre de politiques publiques ambitieuses pour le développement.
Conclusion Un appel à protéger le secteur privé pour éviter le chaos Le conflit récurrent dans l’Est de la RDC, nourri par des intérêts économiques et miniers, pèse lourdement sur l’ensemble du secteur privé, freinant ainsi le développement du pays. Les destructions et pillages d’infrastructures d’entreprises constituent un signal d’alarme supplémentaire : si les acteurs économiques ne peuvent plus travailler sereinement, c’est l’ensemble de la société congolaise qui en subira les conséquences, à travers la montée du chômage, la baisse des revenus et la persistance d’un climat d’insécurité.
Il est urgent que tous les acteurs – gouvernement, secteur privé, partenaires internationaux – prennent conscience de l’ampleur de ces impacts et agissent de manière concertée pour rétablir un climat propice aux affaires, à l’investissement et à la reconstruction.
Protéger le secteur privé, colonne vertébrale de la croissance économique et de la création d’emplois, est indispensable pour éviter le chaos et permettre à la RDC de libérer enfin son potentiel économique. Le message est clair : « laissez-nous travailler pour bâtir un avenir stable et prospère, car c’est de cette stabilité que dépend la relance le développement durable de tout le pays ».