Ndongo Samba Sylla et Peter Doyle*
Au début du mois de novembre 2024, nous avions tiré la sonnette d’alarme sur le fait que les prévisions du FMI concernant l’inflation au Sénégal étaient complètement absurdes. Dans sa publication mondiale phare – Perspectives de l’ Économie Mondiale – publiée en octobre 2024, le FMI prévoyait que l’inflation sur 12 mois au Sénégal en décembre 2025 serait de -13,4 % et de 41,9 % pour l’année d’après. Ces prévisions n’étaient pas fondées. En effet, l’inflation sur 12 mois au Sénégal en décembre 2024 était de 0,8 %, ce qui confirme, si besoin était, que les prévisions du FMI étaient erronées.
Nous avions indiqué à l’époque que cet épisode reflétait une défaillance majeure de contrôle de qualité du FMI concernant ses propres travaux de base. Cependant, nous notions que le problème essentiel n’était pas sa mauvaise compréhension évidente de l’inflation. Nous soulignions plutôt que cette erreur sur une variable macroéconomique aussi centrale n’était que « la partie émergée de l’iceberg ». En effet, si le FMI s’est fourvoyé à ce point sur un indicateur macroéconomique de base tel que l’inflation sur un horizon aussi court, quelles assurances pourrions-nous avoir qu’il ne s’est pas trompé sur les autres et plus lourdement ?
Un récent audit public des finances publiques de 2019 à mars 2024 nous apprend que la dette publique du Sénégal à la fin de 2023 s’élevait à 18 558 milliards de francs CFA, soit 99 % du PIB officiel, et non 74 % du PIB comme indiqué précédemment. Une partie de cette dette élevée est due au FMI lui-même uniquement en raison des décaissements liés à son programme avec le Sénégal qui n’auraient pas dû être effectués parce que, sur la base de données correctes, les critères de performance du programme avaient été largement enfreints. Il ne s’agit pas ici, comme l’a récemment suggéré le chef de la mission du FMI, de « déclarations erronées » de la part du gouvernement sénégalais de l’époque.
Il s’agit plutôt de savoir comment les services du FMI ont pu perdre de vue plus de 20 % du PIB au cours d’un programme intensif avec ce gouvernement, et ainsi mal mesurer les critères de performance.
Le plus gros dans l’affaire est que le FMI n’a pas seulement perdu de vue plus de 20 % du PIB. Il a dû aussi à plusieurs reprises, mission après mission, pendant cinq ans, perdre toute trace de ces sommes à quatre endroits : dans la balance des paiements, dans l’enquête monétaire, dans les comptes nationaux et, bien sûr, dans les comptes publics.
Le fait que le FMI n’ait pas détecté ce problème en temps réel constitue donc un manquement majeur à son obligation de diligence. En effet, à chaque revue de programme avec le Sénégal, les services du FMI étaient tenus de déclarer à tous les actionnaires du FMI, y compris au peuple sénégalais, que les données reflétaient fidèlement les actions du gouvernement de Macky Sall.
Autrement, nous devons nous demander : s’agit-il simplement d’un « manque » de diligence raisonnable de la part du FMI, d’autant plus que le FMI a ignoré les avertissements de l’opposition sénégalaise concernant les fausses déclarations dès 2018 ? Peut-être s’agit-il plutôt d’une décision délibérée de ne pas examiner les chiffres de trop près, de peur que des transactions n’apparaissent dans le domaine public, ce qui aurait pu nuire à l’avenir politique du meilleur ami de la France au Sénégal, M. Macky Sall ?
Quoi qu’il en soit, le chef de la mission du FMI note que le FMI pourra agir « rapidement » pour résoudre les difficultés du Sénégal, dès que les sources des déclarations erronées auront été identifiées.
Tout sauf ça, serions-nous tentés de dire !
En fait, le même problème s’est posé en 2016 au Mozambique lorsqu’il est apparu que la dette publique, en proportion du PIB, était 10 % plus élevée que ce qui avait été confirmé précédemment par le FMI, dans le contexte d’un boom des actifs carbone. De toute évidence, le FMI aurait dû examiner comment il avait pu perdre de vue 10 % du PIB dans les données du Mozambique afin d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise. Mais il est rapidement passé à autre chose.
Cette « rapidité du FMI », il est maintenant clair, s’est faite aux dépens du Sénégal.
Ainsi, si, dans la précipitation, le FMI propose maintenant que le Sénégal stabilise son imposante dette publique en s’engageant à atteindre des objectifs élevés d’excédent primaire dans son budget – peut-être 4 % du PIB – un tel conseil n’aurait absolument aucun fondement, tout comme ses projections d’inflation pour décembre 2025 et 2026, et tout comme toutes ses assurances antérieures au fil des ans que les données macroéconomiques pour le Sénégal étaient saines.
Non, le FMI ne devrait pas conseiller ou agir à la hâte. Il devrait d’abord faire le ménage en son sein.
*Ndongo Samba Sylla est économiste sénégalais, Directeur de Recherche à l’International Development Economics Associates (IDEAs).
*Peter Doyle est économiste américain, ancien cadre du FMI et de la Banque d’Angleterre.