Par Pr Amath NDiaye, FASEG-UCAD.
Après la passation de service avec l’ancien président Macky Sall le 2 avril 2024, le président Diomaye a pris les rênes du Sénégal dans un contexte économique marqué par des défis majeurs. Un an après son entrée en fonction, il est temps de dresser un bilan économique succinct de cette première année de gouvernance.
Une Croissance Modeste et Peu Inclusive face aux Défis Démographiques
Malgré l’exploitation croissante des hydrocarbures, la croissance économique du Sénégal reste modeste. Entre janvier 2024 et janvier 2025, le taux de croissance (hors agriculture et sylviculture) s’élève à 3,9 %, selon les données de la DGPPE/DPEE/DSC (2025). Cette progression repose sur la contribution des secteurs primaire (+1,0 %), secondaire (+8,5 % grâce aux activités pétrolières), et tertiaire (+0,4 %), ainsi que sur une hausse des recouvrements de taxes sur biens et services (+12,7 %). Cependant, cette croissance reste insuffisante pour répondre aux défis socio-économiques majeurs.
Avec un taux de croissance démographique annuel de 2,8 %, le PIB par habitant n’augmente que faiblement (+1,1 %), un surplus limité qui risque de freiner l’amélioration des conditions de vie. La prépondérance des secteurs capitalistiques, comme l’industrie extractive, accentue par ailleurs les inégalités en générant peu d’emplois directs. Cette situation contribue à la persistance du chômage et de la pauvreté, deux problématiques majeures ressenties par une grande partie de la population.
Secteurs Porteurs et Fragilités Structurelles de l’Économie Sénégalaise
La croissance économique du Sénégal s’appuie sur la performance du secteur secondaire (+8,5 %), portée par des branches industrielles dynamiques :
– Textile : La production a bondi de +58,6 % grâce à l’amélioration des capacités de production de l’usine DOMITEXKA.
– Activités extractives (+47,1%) : La relance de l’exploitation pétrolière reflète la montée en puissance des ressources naturelles.
– Métallurgie et produits chimiques : La fabrication d’ouvrages en métaux (+86,3 %) et de produits chimiques de base (+63,3 %) a bénéficié d’investissements industriels et d’une hausse des exportations.
– Produits agroalimentaires : Une hausse de +7,3 % montre l’importance de ce secteur pour l’économie locale.
Le commerce extérieur s’est également amélioré avec une réduction du déficit commercial de 731,1 milliards de FCFA en 2024 par rapport à 2023. Les exportations ont progressé de +33,1 %, notamment grâce aux ventes de pétrole, d’huiles brutes (+28,6 milliards) et d’or brut (+12,8 milliards). Cependant, les exportations agricoles, comme les arachides (-37,3 milliards), ont chuté, illustrant une dépendance encore excessive à certains produits.
Parallèlement, des secteurs clés peinent à croître. Le secteur primaire (+1,0 %) a subi une forte baisse de l’activité de pêche (-17,9 %) et une réduction des récoltes arachidières. Le secteur secondaire a également enregistré des contre-performances dans certaines branches industrielles, notamment le BTP (-3,9 %), la fabrication de ciment (-14,4 %), et les matériels de transport (-27,2 %). La progression limitée du tertiaire (+0,4 %) reflète la faible diversification des activités économiques.
Fiscalité et Dépenses Publiques : Entre Hausse des Recouvrements et Risques pour l’Économie
La contribution au PIB des recouvrements de taxes sur biens et services (+12,7 %) a été notable. Cependant, cette hausse témoigne aussi d’une pression fiscale accrue sur les entreprises et les ménages, avec des risques potentiels pour la consommation, l’investissement, et l’emploi.
Les dépenses publiques, quant à elles, ont progressé de manière significative, atteignant 4871,7 milliards de FCFA à fin décembre 2024 (+13,9 % par rapport à 2023). Cette augmentation s’explique principalement par la hausse des intérêts sur la dette publique (+44,5 %), des transferts et subventions (+13,1 %), et de la masse salariale (+12,5 %). Toutefois, les recettes fiscales n’ont crû que de 1,0 %, ce qui accentue le déficit budgétaire et limite les marges de manœuvre financières de l’État.
Stratégies pour une Croissance Inclusive et une Transformation Économique Durable
Pour rendre la croissance plus inclusive et pérenne, plusieurs mesures stratégiques s’imposent :
– Diversification économique : Il est crucial de renforcer les secteurs à fort potentiel d’emplois, comme les PME, l’agriculture à moderniser et le secteur informel, afin de réduire la concentration des richesses et les vulnérabilités économiques.
– Réduction de la dépendance aux industries extractives : Encourager les investissements productifs dans le secteur manufacturier, les services, et les nouvelles technologies permettra de stimuler la valeur ajoutée locale.
– Réforme de la fiscalité : Une fiscalité plus équilibrée, élargissant l’assiette fiscale tout en allégeant les charges pesant sur les contribuables, contribuerait à un financement durable du développement.
– Soutien à l’offre en période d’austérité budgétaire : Face aux contraintes budgétaires, il est primordial de faciliter l’accès des entreprises au crédit et de réformer les agences de financement et de promotion de l’emploi (DER, ANPEJ, FNPEF) pour améliorer leur efficacité.
Une réflexion pourrait être menée pour confier les missions de ces agences à des institutions de micro finance, comme CMS ou ACEP, qui disposent d’une expérience éprouvée dans le financement des jeunes et des femmes. Cela permettrait d’optimiser les ressources disponibles et de dépolitiser la gestion de ces fonds.
Vision 2050 : Une Stratégie à Long Terme pour un Développement Durable
Dans ce contexte d’austérité budgétaire, pour atteindre les ambitions de la Vision 2050, l’État devra s’appuyer sur des partenariats solides avec le secteur privé national et international. Cette vision doit se traduire en actions concrètes, avec des projets stratégiques favorisant une transformation économique durable, inclusive, et résiliente sur le long terme.
En somme, le bilan économique de la première année de présidence de Diomaye reflète des progrès notables dans certains secteurs stratégiques, mais également des défis structurels importants. La croissance économique, bien que soutenue par l’exploitation des hydrocarbures et des branches industrielles dynamiques, reste encore trop peu inclusive pour améliorer durablement les conditions de vie des Sénégalais. Face à une démographie croissante, des inégalités persistantes et une pression budgétaire accrue, il devient urgent d’adopter des réformes structurelles pour diversifier l’économie, réduire la dépendance aux secteurs extractifs et renforcer l’efficacité des dépenses publiques.
L’avenir du Sénégal dépendra de sa capacité à mettre en œuvre des stratégies innovantes et à réformer la gouvernance économique, tout en s’appuyant sur des partenariats public-privé solides et une mobilisation efficace des ressources internes. Seule une approche concertée et résolument orientée vers la transformation économique durable permettra d’atteindre les objectifs ambitieux fixés par la Vision 2050 et d’offrir aux générations futures un avenir plus prospère et résilient.