Le candidat congolais au poste de Directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, -en remplacement de la franco marocaine Audrey Azoulay-, est un fin connaisseur des arcanes de l’Unesco. Homme discret mais habile négociateur, Fimin Edouard Matoko a gravi tous les échelons jusqu’au sommet. « Multisectoriel », il a accumulé des expériences dans l’éducation, la diplomatie, les relations internationales, lors de ses affectations à travers le monde.
D’emblée, il s’est positionné comme le candidat de « toute l’Afrique et au-delà » Car, en plus de son tropisme africain (il a été rappelé comme Sous-Directeur général afin de gérer la Priorité Afrique ainsi que les relations extérieures de l’Unesco, poste dont il a démissionné pour faire campagne), il s’intéresse à l’Asie, l’Europe, l’Amérique latine et l’Amérique du Nord. Polyglotte, il parle couramment le français, l’italien, l’anglais et l’espagnol ; il maîtrise le portugais et apprend le lingala et le swahili.
Face à ses deux compétiteurs, l’ancien ministre égyptien Khaled Ahmed El-Enany Ali Ezz et la chercheuse mexicaine Gabriela Ilian Ramos Patino, cet économiste de formation, auteur de «L’Afrique par les Africains : Utopie ou révolution ? » (Eds. Harmattan, 1996), a toute ses chances, malgré l’annonce récente de sa candidature. Dans l’entretien exclusif qu’il a bien voulu accorder à Financial Afrik avant les premières auditions devant le conseil exécutif de l’Unesco, il se confie sur sa vision des évolutions géopolitiques du monde et de ses savoirs, et sur la manière dont elles vont affecter les contours d’une organisation dont la première vocation, selon lui, est de « préserver le dialogue, la paix et la tolérance. » Avec, comme priorité, de préparer l’après 2030 !
Propos recueillis par Christine Holzbauer, à Paris
Vous avez obtenu le soutien de votre pays, la République du Congo, pour présenter votre candidature à la Direction générale de l’Unesco et succéder, ainsi, à la Française Audrey Azoulay lors de la 44eme session de la Conférence générale qui se tiendra en novembre à Samarkand (Ouzbékistan.) Qu’est-ce qui vous a décidé ?
Les petits pays hésitent à se lancer dans la course qui demande des moyens financiers par rapport aux grands pays. Ces derniers se disent puissants ou bien sont considérés comme puissants par les autres. Mais c’est en train de changer, comme on l’a vu avec l’élection de l’ancien Ministre des Affaires étrangères de Djibouti, Mahamoud Ali Youssouf, à la présidence de la commission de l’Union africaine. Au final, il l’a emporté sur le candidat du Kenya… A l’Unesco, contrairement à l’Union africaine ou à d’autres institutions comme la Banque africaine de développement (BAD), il n’y a pas de règles écrites ou prescrites pour les candidatures. C’est totalement ouvert. Au cours des vingt dernières années nous avons élu un DG japonais, suivi d’une DG bulgare puis d’une française. Donc, il n’y a pas de logique géographique.
En ce qui me concerne, j’ai obtenu le soutien de mon pays, la République du Congo, qui a confirmé ma candidature avant la date de clôture. J’ai estimé qu’après plus de trente ans de carrière, au cours de laquelle j’ai gravi un à un tous les échelons, je pouvais prétendre à diriger une organisation dont je connais tous les arcanes de l’intérieur. J’ai aussi été fortement encouragé par de nombreux collègues et des délégations d’états membres. Ce soutien de mes pairs m’a boosté et j’ai décidé de sauter le pas à un moment difficile pour les organisations internationales et alors que le multilatéralisme est en crise. La plupart des décisions pour régler les conflits et préserver la paix dans le monde se prennent, aujourd’hui, entre grandes puissances ou dans des instances restreintes.
Vous aviez pourtant atteint l’âge de la retraite et avez même dû partir pendant un moment. C’est Audrey Azoulay qui vous a demandé de revenir. Est-ce à dire que vous êtes « son » candidat, alors que la France s’est officiellement prononcée en faveur du candidat égyptien ?
Non, je ne dirai pas que je suis le candidat de l’actuelle directrice générale, d’abord parce que nous n’en avons jamais parlé. Si elle m’a fait revenir au siège, c’est que nous avions travaillé en très bonne intelligence et qu’elle a estimé que je pourrais mieux remplir ce qu’elle attendait d’un sous-directeur général aux relations extérieures jusqu’à la fin de son mandat. C’est moi qui ai fait le choix de démissionner de mes fonctions actuelles à l’Unesco pour avoir toute latitude de mener ma campagne. Non sans sacrifice personnel, y compris financier, mais je considère que c’est le prix à payer à partir du moment où je suis dans la course.
Tout le monde au Congo est mobilisé sur ma candidature jusqu’au sommet de l’Etat. Puisque le Président, lui-même, m’apporte son soutien, je ne suis pas inquiet quant aux moyens -diplomatiques, financiers et logistiques- qui vont être mis à ma disposition pour me permettre de battre campagne au cours des quatre prochains mois. A moi, maintenant, de convaincre les 58 états « grands électeurs » à l’Unesco (NDLR sur 195 états membres, actuellement, et 8,02 milliards d’habitants) de porter leur choix sur le candidat d’un « petit » pays. En novembre, lors de la Conférence générale de l’Unesco en Ouzbékistan, c’est le choix de ces « grands électeurs » qui sera entériné.
C’est vrai que l’Egypte a annoncé la candidature de Khaled Ahmed El-Enany Ali Ezz, il y a près de deux ans ! Quant à ma collègue mexicaine à l’Unesco, Gabriela Lian Ramos Patino, elle a, comme moi, officialisé sa candidature la dernière semaine avant la clôture. Mais rien ne sert de courir, comme dit l’adage ; l’essentiel est d’arriver à temps. Cela dit, trois candidatures, c’est peu pour l’Unesco par rapport aux élections passées. Je l’explique par le contexte international de crise et le « désamour » pour les institutions internationales. D’où, sans doute, le désintérêt de briguer un poste avec de tels handicaps de départ ; ce sera d’ailleurs le grand défi à relever pour le prochain DG et l’un des aspects que je vais mettre en avant dans ma campagne. Comment faire face à une éventuelle crise financière !
Justement, en octobre 2017, sous la première présidence de Donald Trump, les Etats-Unis avaient décidé de quitter l’Unesco, dénonçant sa mauvaise gestion et les « partis pris anti-israéliens persistants. » En juillet 2023, sous la présidence de Jo Biden, ils ont accepté d’en redevenir membre. Quand bien même ils resteraient, pensez-vous vraiment que l’administration Trump va soutenir un candidat africain ?
En Amérique latine, où j’ai longtemps vécu, on a l’habitude de dire Quien sabe ? Rien n’est joué d’avance et, d’ailleurs, lors de précédentes élections à l’Unesco, des retournements de situation inattendus se sont produits, parfois à la dernière minute. La géopolitique change, les alliances changent si rapidement que plus personne, aujourd’hui, n’est en mesure de dire qu’elles seront, demain, les relations entre les grandes puissances. Nous ne sommes plus dans un mouvement perpétuel mais dans un mouvement constant avec des conflits qui les opposent et des conflits qui les unissent.
C’est pourquoi, dans ma profession de foi, j’ai décidé de rester fidèle au mandat de l’Unesco qui est de promouvoir des valeurs d’humanisme. Puisque nous vivons ensemble sur cette planète, autant cultiver des valeurs de solidarité, de paix et de tolérance. Si je suis confirmé par les Etats membres, je m’emploierai à travailler pour que les valeurs qui nous unissent prévalent devant les intérêts géopolitiques. Je m’emploierai également à réaffirmer l’universalité de la mission de l’Unesco afin que tous les Etats membres puissent conserver un espace de dialogue, de solidarité et de compréhension mutuelle.
Quant à un nouveau retrait des Etats-Unis, ce qui -soit dit en passant- ne les dédouanerait pas de s’acquitter de leur cotisation en cours, il me semble que nombre de décideurs américains ont compris l’intérêt qu’il y avait pour eux à rester assis autour de la table. Ne serait-ce que pour ne pas se faire prendre la place par d’autres ! Et, notamment, en ce qui concerne les débats actuels autour de l’intelligence artificielle qui est l’une des grandes avancées introduites par la Directrice générale dans les programmes de l’Unesco.
Est-ce pour « plaire » à la France que Madame Azoulay s’est focalisée sur l’IA ? C’est d’ailleurs à Paris que s’est tenu, les 10 et 11 février 2025, le Sommet pour l’Action sur l’IA, coprésidé par l’Inde…
Pas du tout et je peux vous assurer que dans mes fonctions de sous-directeur général pour l’Afrique, j’ai activement participé, dès 2018, à l’organisation du premier forum continental consacré à l’IA qui s’est tenu à l’université Mohamed VI, au Maroc, une université très connectée. Quelques mois plus tard, à Paris, se tenait le premier forum sur le rôle de l’Unesco dans ce domaine. Ce qui a abouti, quelques années plus tard à l’adoption d’une recommandation sur l’éthique de l’IA. Pour moi, -et j’en ai fait ma mission-, l’Unesco est dans son rôle en proposant une norme, acceptée mondialement, qui assure la transparence de l’IA et n’exclut personne ; tout en aidant à la mise en place d’un système de rapport par les Etats membres pour s’assurer que cette recommandation, adoptée par tous, est suivie d’effet.
Les deux autres candidats sont, eux aussi, très focalisés sur l’IA. Vous, vous avez choisi de défendre « une meilleure gestion des systèmes éducatifs à l’heure de l’IA » avec une implication forte de l’Unesco pour un accès universel aux technologies. Pourquoi ?
Favoriser l’accès à l’éducation et, notamment, l’éducation des filles reste, pour moi, l’une des missions fondamentales de l’Unesco. A l’heure de l’IA, nous devons veiller à ce qu’il y ait le moins possible de discrimination dans l’accès aux technologies, partout dans le monde. C’est un engagement que l’Unesco a pris dès les années 70, les débats sur les Tics. Au moment où l’IA supplante tout sur son passage, même l’intelligence humaine si l’on n’y prend pas garde, ce débat sur la société de l’information est à nouveau au cœur de toutes les préoccupations !
Par exemple, en Afrique, les états réclament la maitrise des nouvelles technologies aussi bien dans l’éducation, la culture, la communication. Pour y parvenir, ils ont besoin de l’Unesco. Nous les accompagnons déjà par le biais de programmes de formation qui ont joué un rôle crucial dans le développement des radios communautaires. Ces programmes vont devoir être étendus à l’ensemble de la presse africaine afin de lui permettre de se professionnaliser.
Et en ce qui concerne la préservation du patrimoine culturel ?
C’est l’un des domaines où l’IA peut vraiment aider en permettant d’établir des preuves. La culture a longtemps été le parent pauvre, mais c’est en train de changer avec l’émergence des industries culturelles et les retombées économiques qu’elles peuvent engendrer. C’est vrai, aussi, en temps de conflit. Une convention de 1970 permet aux états de dénoncer les attaques sur leur patrimoine et vous ne pouvez pas imaginer le nombre de plaintes que nous recevons. Comment en effet constater, la destruction d’un site en cas de conflit puisque l’on n’y a pas accès ? Autre exemple, la lutte contre le braconnage : dans le parc national des Virunga en République démocratique du Congo (RDC), la fourniture de drones par l’Unesco a permis aux gardes forestiers de surveiller de vastes espaces, inaccessibles sans cela, et d’intervenir.
Quelles sont les autres valeurs clés que vous allez défendre lors de votre campagne ?
L’Unesco est un espace privilégié de dialogue et de solidarité. Or, ce dialogue est menacé par l’abandon du multilatéralisme au profit de l’unilatéralisme. La montée des Brics et des Crics, qui désignent des pays alignés derrière la Chine et la Russie, ou la constitution de nouvelles alliances régionales n’aident pas. Dans ce monde de plus en plus fragmenté, il nous faut réaffirmer avec force la mission universelle de l’Unesco : contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations, afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion !
Rien ne nous empêche, dans le même temps, de revoir nos programmes. Par exemple, nous souhaiterions voir davantage de filles embrasser des carrières scientifiques, en les aidant avec l’octroi de plus de bourses dans le cadre du programme « femmes et sciences » de l’Unesco/L’Oréal qui a le mérite d’exister. La recherche scientifique pèse pour au moins 2% de la production mondiale, mais en Afrique, où les besoins sont pourtant les plus considérables, elle est sous financée. Les universités de pointe du continent ont également besoin de mener à bien des recherches utiles aux Africains. Et pourquoi pas envisager de créer une nouvelle revue scientifique, au sud, à l’instar de la revue Lancet au nord, afin de permettre à des chercheurs africains et à d’autres de partager les résultats de leurs recherches avec le reste du monde ?
Seriez vous en train de prôner un nouvel ordre mondial de l’information et de la communication ?
Amadou-Mahtar MBow, le premier Africain à avoir été directeur général de l’Unesco, a mené de nombreuses réformes, en ce sens, au cours de ses deux mandats (NDLR : de 1974 à 1987) Moi, je suis surtout préoccupé par la nécessité de relancer la recherche fondamentale dans les sciences humaines. Laquelle a beaucoup alimenté la réflexion sur le développement humain dans les années 80/90 à l’Unesco et permis de réfléchir sur les transformations en cours, avant que les contraintes budgétaires ne prennent le dessus. Aussi, je souhaiterais que la collaboration avec des institutions comme le CODESRIA, à Dakar, soit relancée ou bien que les publications émanant des instituts de prospective soient mieux utilisées par les états.
Dans le même ordre d’idée, on oublie trop souvent que l’Unesco a 53 bureaux régionaux en plus de son siège à Paris. Le Bureau régional pour l’éducation en Afrique (BREDA) est le fer de lance de nos programmes sur le terrain. Là, encore, ce que l’on appelle les instituts de catégorie 1 pour la planification, l’éducation des adultes ou la formation technique mériteraient d’être réactivés. C’est vrai pour l’Afrique qui absorbe 45% des contributions volontaires des états et où nous avons 13 bureaux régionaux, comme pour le reste du monde.
J’imagine que vous, élu, le programme « Priorité Afrique » sera encore renforcé ?
Nous avons déjà augmenté les montants alloués aux projets réalisés en Afrique, lesquels sont mis en œuvre par nos bureaux régionaux et nationaux. Avec 30% d’allocations, le continent absorbe -aujourd’hui- plus de ressources pour la réalisation des projets que nous y menons que les autres régions du monde réunies. L’autre « priorité globale » de l’Unesco, c’est l’égalité des genres. Sauf volonté des états membres de les démanteler, ces deux programmes resteront prioritaires. Chaque époque, toutefois, a ses changements. Nous devons, maintenant, penser à l’après 2030, qui marque la fin de la période des objectifs du développement durable (ODD.) Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a déjà lancé un nouveau pacte pour le futur, mais il nous faut réfléchir, de notre côté, à une nouvelle hiérarchisation de nos ressources en fonction des objectifs que nous allons nous fixer. C’est un chantier immense pour lequel on a besoin de la recherche. 2025/2030 sera donc un mandat charnière pour préparer le futur de l’Unesco. Il s’agira, ensuite, de le construire.