« Booster le financement du logement abordable » sera le thème de la 57e conférence du Réseau Habitat et Francophonie, une organisation internationale qui promeut depuis 1987, le logement social pour tous, avec une cinquantaine de membres issus d’une quinzaine de pays francophones. L’événement réunira à Libreville (Gabon) les 14 et 15 mai 2025, des experts et décideurs publics pour échanger sur les bonnes pratiques permettant de financer plus, mieux, et surtout durablement le logement abordable.
L’état des lieux des politiques du logement dans l’espace francophone, les modèles de financement innovants portés par les États, les banques, les collectivités ou le secteur privé, les réformes juridiques et la sécurisation foncière ainsi que les outils pour renforcer les capacités des acteurs de la chaîne de production du logement… sont autant de sujets qui seront discutés.
Retour sur les enjeux de cette rencontre avec Prudence Adjanohoun, secrétaire général du Réseau Habitat et Francophonie et chargé de mission à l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui nous livre quelques pistes de réflexion.-
Parmi les grands défis auxquels l’espace francophone est confronté depuis plusieurs décennies, figure l’accès à un logement décent à prix abordable : un enjeu désormais clairement identifié et un constat largement partagé par l’ensemble des acteurs intervenant au plus près des populations.
Si la volonté politique existe dans de nombreux pays, elle se heurte parfois à plusieurs obstacles, à commencer par l’accès au foncier. Une fois les questions liées au cadre législatif et aux titres de propriété posées, il apparaît que le foncier, en particulier en zone urbaine, peut coûter plus cher que l’acte de construire. C’est un point central de nos réflexions depuis plusieurs années.
Le second enjeu est la structuration de l’écosystème, avec les exigences croissantes en matière de professionnalisation et de coordination des acteurs. Produire du logement abordable suppose de répondre à une demande solvable mais aussi qualitative. Chaque acteur – public comme privé – doit jouer son rôle dans la chaîne de production et de gestion du parc.
Le troisième pilier, et non des moindres, reste le financement qui devient dans certains contextes, une véritable arlésienne.
Dans les pays d’Afrique francophone, les chocs pétroliers de 1973 et 1979 ont freiné l’appui international au secteur du logement. Cela a conduit certains pays à imaginer des solutions endogènes. Le Sénégal, par exemple a créé en 1979, la Banque de l’Habitat du Sénégal, devenue une référence internationale.
En France, dès 1892, Jules Siegfried initie la première loi autorisant la Caisse des Dépôts et les Caisses d’Épargne à financer les organismes d’habitations à bon marché. Ce socle a permis la constitution d’un parc Hlm logeant aujourd’hui plus de 11 millions de personnes, principalement grâce à l’épargne collectée via le livret A. Ce modèle a été renforcé en 1953 par la « participation des employeurs à l’effort de construction » (PEEC), ou 1 % logement.
Au Maroc, le Groupe Al Omrane a su mettre en place des programmes ambitieux, permettant de proposer des logements à 14 000 dollars grâce à des subventions de l’État et une taxe parafiscale sur le ciment. Le fonds FOGARIM garantit, quant à lui, les crédits bancaires pour les ménages à revenus modestes ou irréguliers.
En Belgique, et plus particulièrement en Wallonie, le modèle des fonds du logement basé sur l’octroi de crédits sociaux permet à des familles nombreuses d’accéder à la propriété, de financer des travaux ou des économies d’énergie.
Au Québec, la Société d’habitation du Québec (SHQ) finance le logement social et communautaire principalement à travers le programme AccèsLogis. Ce programme soutient la construction de logements abordables destinés aux ménages à faibles revenus, aux personnes âgées ou en situation de vulnérabilité. La SHQ offre également des suppléments au loyer pour permettre à certains ménages de se loger dans le parc privé. Son action combine équité sociale, partenariat local et soutien à un développement régional équilibré.
Les modèles existent et doivent être adaptés à chaque contexte.
La première clé du financement réside dans l’engagement des États à soutenir le secteur en mettant en place différents outils dont l’épargne populaire, y compris celle des diasporas. Cette ressource peut être démultipliée par l’effort de bancarisation des ménages et l’essor des solutions numériques. La deuxième clé est la contribution des entreprises, notamment dans un continent africain en pleine croissance économique. La troisième clé est l’engagement des institutions financières. Quatre exemples majeurs l’illustrent :
- La Caisse Régionale de Refinancement Hypothécaire de l’Union économique et monétaire ouest- africaine (CRRH – UEMOA), qui refinance les prêts à l’habitat des banques commerciales et des SFD grâce à des ressources longues mobilisées sur les marchés ou auprès des bailleurs de fonds ;
- Shelter Afrique Development Bank, regroupant 44 États africains, appuie la production de logements via des produits financiers adaptés ;
- La facilité SHI de l’Agence française de développement (AFD), qui soutient la structuration des politiques publiques de l’habitat ;
- La Société financière internationale (SFI), branche du Groupe de la Banque mondiale dédiée au secteur privé, a renforcé son soutien au développement du logement abordable en Côte d’Ivoire à travers un prêt de 27 millions de dollars.
Quelques enseignements structurants peuvent être retenus de nos différentes expériences :
- Les leviers du financement : formalisation des titres fonciers, gestion du patrimoine foncier, professionnalisation des acteurs, accès à des financements de long terme à des taux concessionnels, création de sociétés de développement immobilier à capitaux mixtes ;
- Le logement social doit être perçu comme écosystème intégrant État, collectivités, architectes, urbanistes, banques, promoteurs… ;
- Le financement des ménages est essentiel mais aussi celui des organismes producteurs de logements ;
- L’instauration de la confiance est l’une des conditions du long terme entre États, investisseurs et citoyens ;
- L’importance de crédits acquéreurs étalés sur une longue durée ;
- Le développement du locatif social pour élargir l’accès ;
- La lutte contre la spéculation foncière par la mise en place de Commissions d’attribution indépendantes et de système d’autocontrôle du secteur.
Des pistes de solutions émergent :
- Structurer la mobilisation de l’épargne populaire comme levier pour le financement à long terme du logement social ;
- Créer ou renforcer les agences nationales de l’habitat et les fonds de garantie pour flécher les ressources vers les logements sociaux ;
- Promouvoir la recherche-action, à travers la réalisation de rapports, cartes interactives et indicateurs comparatifs, afin de fournir un cadre analytique devant aider les gouvernements, banques, institutions de développement et promoteurs à concevoir des solutions sur mesure, viables et inclusives ;
- Mobiliser les ressources régionales à travers des instruments comme la Caisse de refinancement hypothécaire ;
- Développer les compétences des spécialistes du logement sur l’ensemble des métiers du logement abordable et standardiser les procédures pour améliorer la qualité et la durabilité des constructions.
- Appuyer la microfinance pour les populations les plus modestes, à condition d’avoir accès à des ressources longues ;
- Explorer les fonds d’investissement et la titrisation comme alternatives ;
- Instaurer une fiscalité incitative, comme une taxe parafiscale sur les matériaux nobles.
La 57e Conférence du Réseau Habitat et Francophonie s’annonce comme un grand moment d’échanges de bonnes pratiques entre les principaux acteurs du secteur. Nous aurons à cœur de bâtir des solutions innovantes afin de relancer la coopération internationale autour de cet enjeu du financement du logement abordable.